Montréal, nouvel eldorado pour les despotes africains?

Par La rédaction | 5 juin 2017 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Plusieurs ministres, hauts fonctionnaires, responsables militaires et hommes d’affaires appartenant aux régimes les plus corrompus d’Afrique francophone investissent depuis quelques années dans l’immobilier québécois sans que cela ne soulève de question, rapporte Le Journal de Montréal.

Dans une enquête menée conjointement avec un journaliste du Monde Afrique et d’African Arguments, le quotidien relève que ces personnalités proches de dictateurs et de dirigeants africains ont souvent fait, ou font encore, l’objet d’enquêtes pour divers délits ou crimes financiers, soit dans leur pays d’origine, soit en Europe, notamment en France.

Et s’ils s’intéressent aujourd’hui au Canada, tout particulièrement au Québec, c’est qu’ils les jugent plus sûrs pour eux que le Vieux Continent, où les poursuites judiciaires à leur encontre se multiplient.

LA FRANCE DEVENUE RISQUÉE

Pendant des décennies, ces dirigeants ont placé une partie de leur fortune dans l’immobilier en France, aux États-Unis ou au Royaume-Uni. Mais leurs luxueuses propriétés ont souvent été saisies au cours des dernières années.

« Londres a commencé à lutter contre le blanchiment présumé sur le marché immobilier de la capitale, estimé à 115 millions d’euros [175 millions de dollars canadiens] par an par un comité parlementaire britannique. En France, l’affaire dite “des biens mal acquis” a conduit la famille présidentielle de Guinée équatoriale devant les tribunaux et continue d’inquiéter des dirigeants du Gabon et de la République du Congo », précise Le Monde Afrique.

La première de ces personnalités à avoir été mise en examen en France dans le cadre des « biens mal acquis » est le neveu du président congolais, Wilfrid Nguesso, qui a acquis en 2007 une maison de plus d’un million de dollars à Montréal par le biais d’une société immatriculée au Luxembourg.

De même, un haut responsable au sein de l’administration congolaise, Tite Kaba, et son épouse ont investi plus de 3,5 millions d’euros (5,3 millions de dollars) dans l’immobilier québécois entre 2008 et 2017, soit directement, soit par l’intermédiaire de sociétés leur appartenant. Autre exemple, le sénateur gabonais Zéphirin Rayita et le président de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes du Gabon, Lin Mombo, ont acheté conjointement un immeuble de deux étages dans la métropole québécoise pour près de trois millions de dollars.

PROPRIÉTÉS PAYÉES COMPTANT

Le Bureau d’enquête du Journal de Montréal a ainsi recensé « des dizaines de propriétés entre les mains de ministres, d’ex-ministres et autres personnalités proches de dictateurs et de dirigeants corrompus d’Afrique », représentant au total « plus de 30 millions de dollars ». Ces biens immobiliers appartiendraient à « une quinzaine de personnalités aux relations troubles » issues du Tchad, du Congo, du Gabon, du Sénégal, du Burkina Faso et de l’Algérie.

La plupart des Africains fortunés repérés dans le registre foncier canadien ont acheté sans hypothèque et détiennent ces immeubles pour les louer et en tirer un revenu. « Peu d’entre eux les occupent eux-mêmes, mais certains prêtent une copropriété à l’un de leurs enfants, étudiant dans une université de Montréal », indique le quotidien montréalais. Celui-ci précise qu’« aucune loi particulière n’empêche un haut gradé d’une dictature ou d’un régime corrompu d’investir au Canada ». Résultat : « le Québec accueille de plus en plus de personnalités politiques issues de [ces] régimes », poursuit-il.

À tel point qu’« il semble que le Québec ait été identifié par ces clans comme un territoire où, avec quelques tours de passe-passe juridiques, on peut financer, sans susciter d’enquête, des biens immobiliers avec des moyens de paiement pour le moins douteux, soutient l’avocat William Bourdon, fondateur de l’association Sherpa, joint à Paris par le JdeM. Ce sont des régimes népotiques, des kleptocraties. Le pouvoir est mis au service d’un enrichissement personnel massif, et ces familles diversifient leurs investissements en fonction des conseils qui leur sont prodigués par les grands cabinets de juristes et d’experts-comptables. »

« PEU DE QUESTIONS »

Le Québec possède de nombreux atouts pour une personne cherchant à investir un surplus de fonds dans l’immobilier, souligne le Journal, notamment en raison de sa proximité avec le marché américain, de sa bonne réputation dans le monde et de sa stabilité bancaire. Le Québec, en tant que région francophone, constitue en effet « une alternative intéressante » à la France, selon Marc Guéniat, enquêteur pour le compte de l’ONG suisse Public Eye, en entrevue avec le quotidien montréalais.

« Nos avantages économiques et réglementaires sont attrayants pour les autres », confirme au journal Messaoud Abda, expert en conformité financière, qui relève qu’« aucun des investisseurs identifiés ne fait l’objet de procédures criminelles au Canada ».

Le pays est d’autant plus attractif pour les dirigeants inquiétés sur le Vieux Continent que l’origine des fonds qu’ils utilisent pour acheter des bien immobiliers « ne suscite que peu de questions », note Le Monde Afrique, rappelant au passage que l’organisme Transparency International « pointe les faiblesses législatives du Canada pour lutter contre le blanchiment d’argent ».

En théorie, les courtiers immobiliers et les institutions financières doivent détecter les opérations douteuses, puis les déclarer au Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada (CANAFE), qui doit ensuite transmettre ces informations à la police ou à la Gendarmerie royale. Mais en pratique, le CANAFE « n’a reçu que 279 déclarations entre 2003 et 2013, tandis qu’il y a eu plus de cinq millions de ventes immobilières durant la même période », constate Le Monde.

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