Norbourg : après le scandale, le supplice

12 février 2013 | Dernière mise à jour le 12 février 2013
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Onze millions de dollars d’honoraires d’avocats pour 55 millions des investissements perdus dans la plus grande fraude de l’histoire financière des épargnants québécois, est-ce trop?

L’affaire Norbourg a soulevé un tsunami de poussière, et à raison. Il faudra bien un jour établir un bilan pour s’assurer que toutes les leçons de cette histoire ont été comprises et les correctifs apportés.

Pour l’instant, reportons-nous au 23 mars 2011. Ce jour-là, le juge de la Cour supérieure André Prévost entérine l’entente hors cour de 55 millions de dollars intervenue entre 9217 requérants d’un recours collectif et cinq organismes : la Northorn Trust, l’Autorité des marchés financiers (AMF), KPMG, la Société de fiducie Concentra et Rémi Deschambault, ancien contrôleur externe de Norbourg.

À elle seule, l’AMF casquera 20 millions de dollars, qui s’ajoutent aux 31,8 millions versés aux 930 investisseurs qui répondaient aux critères de son fonds d’indemnisation. Seul le deuxième montant a fait l’objet d’une cotisation spéciale des conseillers, entre 2008 et le 31 décembre 2011.

« Nous estimions qu’aller en procès nous aurait coûté minimalement 20 millions de dollars en frais de toutes sortes, principalement en honoraires d’avocats, explique le porte-parole de l’AMF Sylvain Théberge. Nous avons jugé plus raisonnable et profitable de retourner cet argent aux investisseurs. Nous l’avons comptabilisé à même les budgets d’opération de l’Autorité. »

L’une des conditions à la mise en œuvre de l’entente était le désistement de la requête en autorisation d’exercer un recours collectif contre la Caisse de dépôt et placement du Québec. « La Caisse ne fait pas partie des payeurs, souligne Me Serge Létourneau, avocat des requérants dans le recours collectif. Du côté des demandeurs, il n’y avait pas de raison de la poursuivre. La Caisse a eu un comportement d’affaires qui, sans être exemplaire, n’engageait pas sa responsabilité civile justifiant une poursuite. » Rappelons que c’est la Caisse qui avait vendu les fonds Évolution à Vincent Lacroix.

C’est Ernst & Young qui a obtenu le mandat de recevoir et redistribuer les 55 millions issus de l’entente hors cour.

« Ernst & Young a accompli un excellent travail, affirme Wilhelm Pellemans, médecin et requérant principal dans le recours collectif. Comme dans toutes les organisations de cette nature, toutefois, la vitesse ne constitue pas leur principale caractéristique. »

Honoraires des avocats des demandeurs

Ce qui a soulevé la controverse, c’est la réclamation d’honoraires qu’ont présentée les avocats des demandeurs au recours collectif : 20 % des 55 millions obtenus, soit 11 millions de dollars, taxes en sus.

En matière de recours collectif, le tribunal doit entériner non seulement les ententes hors cour, mais aussi les conventions d’honoraires d’avocats.

Le juge André Prévost, de la Cour supérieure, explique ainsi les divergences : « Le Tribunal a reçu les commentaires d’une cinquantaine de membres dont quatre ont pris la parole lors de l’audience. Ces membres se déclarent satisfaits du règlement. Même s’ils n’ont pu obtenir les dommages réclamés en sus du capital investi, ils sont heureux que cette affaire se termine enfin, car l’attente a été longue et pénible pour plusieurs d’entre eux. (…) Ils considèrent (toutefois) que les honoraires réclamés sont trop élevés. Ils font valoir, non sans une certaine justesse, que le règlement du recours collectif tient non seulement aux efforts déployés par les avocats en demande, mais aussi à plusieurs facteurs externes tels le suivi du dossier par les médias et le support qu’ils leur ont apporté, l’omniprésence d’un certain nombre de membres sur la scène publique, ainsi que les recours Caisse de dépôt et placement du Québec et Perfolio. Pourraient s’ajouter à ces facteurs le jugement reconnaissant Vincent Lacroix coupable de plusieurs dizaines d’infractions à la Loi sur les valeurs mobilières, ainsi que sa réponse à quelque 200 chefs d’accusation en vertu du Code criminel. »

« Cela suffit-il pour écarter les conventions d’honoraires signées par les demandeurs ? demande le juge. Le Tribunal ne le croit pas. »

Dans ce cas-ci, il y avait deux conventions : l’une concernant les investisseurs floués dans le fonds Perfolio, l’autre concernant les autres investisseurs de Norbourg. Les deux divergent considérablement.

Dans Perfolio, les investisseurs floués déboursent collectivement un montant de 35 000 $ (250 $ chacun), non remboursables et incluant les taxes. Si aucun montant n’est récupéré, ils ne paieront rien de plus. En cas de victoire, déduction faite des sommes déjà versées, les investisseurs enrichissent les avocats selon le gain obtenu :

  • Sur le premier 1,5 million : 20 %
  • Pour la tranche de 1,5 à 3 millions : 5 %
  • Pour la tranche de 3 à 10 millions : 2 %
  • Pour la tranche de plus de 10 millions : 1 %

Les investisseurs floués de Perfolio ont reçu 6,4 millions de dollars, ce qui donne des honoraires aux avocats de 6,887 % ou 440 460 $.

Pour les autres investisseurs dans Norbourg, la convention d’honoraires signée par le Dr Pellemans pour les demandeurs est beaucoup plus simple, mais aussi coûteuse : 20 % des sommes récupérées. Si le recours collectif n’apporte aucun fruit, les avocats ne perçoivent rien de leurs clients.

Que dit aujourd’hui le Dr Pellemans de cette contestation d’honoraires ? « Je n’ai aucun commentaire à faire sur ce sujet, répond-il. C’est qu’à la demande du juge en chef de la Cour supérieure, j’ai signé un document indiquant que je ne commenterais pas au sujet des honoraires d’avocats ni au sujet d’une autre partie impliquée dans ce dossier. Toutes les parties ont signé ce document. »

Quant au juge Prévost, il explique longuement sa décision d’entériner les conventions d’honoraires. Il se base sur la jurisprudence existante, notamment celle de son collègue Yves Alain qui dans Bouchard c. Abitibi Consolidated affirme que « le montant dû aux procureurs des représentants du groupe et ses sinistrés sur la base de cette convention d’honoraires doit être approuvée par le Tribunal à moins qu’elle ne soit pas juste et raisonnable dans les circonstances. »

Ce qui fait dire au juge Prévost que « la convention bénéficie donc en quelque sorte d’une présomption de validité. (…) (Le juge) ne doit pas substituer son jugement à l’accord des parties. »

Le Code de déontologie des avocats établit les critères justes et raisonnables qu’un avocat doit utiliser pour fixer ses honoraires. On y retrouve notamment l’expérience, le temps consacré à l’affaire, la complexité et l’importance du dossier, la responsabilité assumée et le résultat obtenu.

Sur tous ces critères, le juge donne raison aux avocats des demandeurs. Qui plus est, « en matière de recours collectifs, les conventions d’honoraires prévoyant un pourcentage de 20 à 25 % du résultat obtenu semblent être généralement la norme », écrit le juge Prévost.

Concernant l’expérience, le magistrat écrit qu’en « maintes occasions depuis 2006, le juge soussigné a été en mesure d’apprécier la compétence et la crédibilité de cette équipe d’avocats chevronnés. Sans doute ces attributs ont-ils pu contribuer à valoriser la position des demandeurs au cours des négociations de règlement. »

Les avocats estiment avoir consacré plus de 7500 heures au dossier Norbourg, pour un taux horaire moyen de 320 $. Le juge Prévost estime réaliste le nombre d’heures et convenable le taux horaire.

« Une fraude étant à l’origine du dossier, la documentation qui y est reliée comporte des données s’étalant sur plusieurs centaines de milliers de pages, qui ont dû être colligées, analysées et arrimées les unes avec les autres, écrit le juge. (…) Les procédures déposées par les parties comprennent plusieurs centaines de paragraphes. Plus d’une trentaine d’interrogatoires préalables ont été effectués. S’ajoutent des incidents ayant donné lieu à 15 jugements écrits et plus d’une douzaine de jugements oraux, ainsi qu’à 24 conférences de gestion. » Bref, le dossier était « compliqué, vigoureusement contesté et constituait un lourd fardeau pour les avocats en demande », constate le juge.

Quant au tarif horaire de 320 $, « pour les avocats expérimentés, comme Me Larochelle et Me Létourneau, opine le juge Prévost, le taux horaire de 400 $ est même conservateur surtout si on le compare à celui qui a cours dans les grands cabinets d’avocats de Montréal ».

En ce qui a trait au risque ou à la responsabilité assumée par les avocats, il était « colossal », selon le tribunal. « L’exercice d’un recours collectif comporte des risques financiers qu’un représentant peut difficilement évaluer et ensuite accepter, d’autant plus que son niveau de responsabilité personnelle s’étend aux débours et aux dépens pour l’ensemble des membres du groupe. Lorsque, comme en l’instance, l’avocat accepte dès le départ d’assumer la responsabilité des coûts et des risques liés à l’exercice du recours collectif et à son rejet éventuel, à l’exclusion du représentant, il apparaît justifié que l’ampleur de ces risques soit reflétée dans les honoraires à pourcentage négociés avec son client. (…) En l’absence d’une telle entente, il est raisonnable de présumer que dans de nombreux dossiers, un membre refuserait de se porter représentant aux fins de l’exercice d’un recours collectif. »

Finalement, le résultat obtenu est « exceptionnel », estime le juge Prévost. « Les membres du groupe récupèrent près de la totalité du capital investi, écrit-il. En matière de fraude, ce résultat est inédit. »

Si la convention d’honoraires avait été similaire à celle établie dans le dossier Perfolio, ce n’est pas 11 millions de dollars que les avocats auraient reçus, mais 965 000 $, pour un travail étalé sur près de six ans, à raison de 129 $ l’heure.

« Si nous avions fait appel du jugement Prévost, cela nous aurait coûté d’autres frais d’avocats, sans avoir la certitude de gagner, affirme Réal Ouimet, un des leaders des investisseurs floués par Norbourg et Vincent Lacroix. Nous préférions en rester là. Nous étions très contents que ça se règle. »

Les investisseurs n’ont pas tout récupéré

Contrairement à une croyance répandue, les investisseurs de Norbourg n’ont pas récupéré toutes leurs billes. Les investissements s’élevaient à 187,6 millions de dollars lorsque le scandale a éclaté, en 2005. De ce montant, 74,6 millions ont pu être récupérés directement dans les fonds.

Restaient 113 millions de dollars à trouver. Le Fonds d’indemnisation des services financiers (FISF) de l’AMF, financé par les cotisations des conseillers, a remboursé 31,8 millions de dollars et le ministère du Revenu du Québec, 10,8 millions. Ajoutée aux 55 millions provenant du recours collectif, la récupération indirecte s’élève aujourd’hui à 97,6 millions de dollars.

Ainsi, en moyenne, on estime que les investisseurs ont dû toucher 91,7 % de leurs investissements avant paiement de leurs avocats, ou 85,5 % après ce paiement. «Selon les prévisions en vigueur au moment de l’entente, et une fois l’ensemble des distributions terminées, pas seulement celles du recours collectif, une fraction de plus de 90% du capital investi aura été recouvré par le liquidateur», explique Me Jacques Larochelle, avocat du recours collectif.

« Les récupérations des différents détenteurs varient de façon importante », nuance toutefois Martin Daigneault, premier vice-président d’Ernst & Young pour le Canada, responsable de la redistribution des montants. La Cour supérieure a décidé que la redistribution se ferait fonds par fonds. Certains d’entre eux offraient encore un rendement au moment de la saisie des actifs de Norbourg, ce qui signifie que certains investisseurs ont récupéré plus de 100% de leur mise, tandis que d’autres fonds étaient à sec. D’autre part, à peine 10 % des investisseurs répondaient aux critères du FISF pour recevoir une compensation. Finalement, à l’exception des 138 détenteurs de parts dans Perfolio, qui ont obtenu pleine compensation, le recours collectif a compensé 74,2 % des pertes encourues au 30 juin 2011.

Or, pour près de 45 % des investisseurs, la récupération provient essentiellement du recours collectif. En tenant compte des frais d’avocats, ils ont récupéré environ 60 % de leur mise.

« L’administration de la faillite personnelle de Vincent Lacroix et des faillites des Sociétés Norbourg n’est pas encore terminée, souligne Martin Daigneault, notamment en raison de divers recours judiciaires en cours. Nous ne sommes toutefois pas en mesure de déterminer les sommes à recevoir et le moment où elles seront versées. »

Taux de récupération des investissements dans Norbourg

(avant paiement des avocats)

Plus de 95 %

22,5 %

90 à 94,9 %

14,5 %

85 à 89,9 %

10,6 %

80 à 84,9 %

7,2 %

75 à 79,9 %

44,9 %

74,2 à 74,9 %

0,3 %

Source : Martin Daigneault, Quatrième rapport du liquidateur à la Cour, 20 octobre 2011

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