Norbourg : des victimes à géométrie variable

Par Ronald McKenzie | 24 octobre 2011 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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Le 4e rapport du liquidateur Ernst & Young selon lequel les victimes de Norbourg auraient récupéré entre 75 % et 95 % de leur capital a fait tiquer deux conseillers et un client floué que nous avons consultés.

Déposé à la Cour supérieure du Québec jeudi dernier, le rapport présente le tableau suivant.

Récupération des investisseurs sur leur capital moyen investi

Plus de 95 % 22,5 %
De 90 % à 94,9 % 14,5 %
De 85 % à 89,9 % 10,6 %
De 80 % à 84,9 % 7,2 %
De 75 % à 79,9 % 44,9 %
De 74,2 % à 74,9 % 0,3 %
*Au 31 août 2011.

Ces données ont étonné les personnes que nous avons jointes.

« J’ai environ 125 clients qui ont été lésés. Personne n’a reçu 75 %. Les distributions qu’ils ont touchées ne représentent que 60 % du capital qu’ils ont investi », estime Marc Beaudoin, président du cabinet Beaudoin, Rigolt et Associés, à Sherbrooke.

« Net de tous les frais qu’ils ont dû supporter, mes clients ont récupéré 70 % de leur argent. Évidemment, ce pourcentage ne prend pas en compte la perte du rendement depuis 2005 », dit un conseiller qui a requis l’anonymat.

« En incluant les frais d’avocat, c’est 64 % que j’ai récupéré. Et si j’ajoute la TPS et la TVQ qu’il a fallu payer sur ces frais [1,5 million de dollars], c’est encore moins », lance Réal Ouimet, ancien directeur du service de police de Bromont qui a perdu plus de 300 000 $ dans l’affaire Norbourg,

Ernst & Young explique que la variation des taux de récupération vient des divers niveaux d’admissibilité aux indemnités versées, selon leur origine. Comme on peut le constater, la plus importante cohorte des investisseurs lésés (44,9 %) ont récupéré à peine plus des trois quarts des épargnes qu’ils avaient investies dans les fonds Norbourg et Évolution.

Également, seulement le tiers (37 %) des investisseurs floués ont récupéré plus de 90 % de leur mise de fonds.

Ernst & Young précise que les épargnants qui ont investi dans les fonds que Vincent Lacroix n’a pas dilapidés au 25 août 2005 ont retrouvé la totalité de leurs placements. Il ajoute qu’il devrait percevoir des « sommes additionnelles » provenant de la faillite personnelle de Vincent Lacroix et de celles de certaines sociétés qu’il contrôlait.

Cependant, comme le règlement de ces faillites n’est pas terminé, Ernst &Young « n’est pas en mesure de déterminer quelles seront les sommes à recevoir et quand ces sommes lui seront versées ». Heureusement, on apprend qu’elles « seront distribuées aux investisseurs promptement et augmenteront ainsi leur récupération globale ».

« Cet argent devrait aller à ceux qui ont été les moins indemnisés », propose Marc Beaudoin.

Fait à noter, ce 4e rapport d’Ernst & Young ne fait pas état des honoraires que ce cabinet comptable a facturés jusqu’ici. En août dernier, le quotidien La Presse révélait que la firme comptable avait facturé des honoraires de 2,7 millions de dollars, avant taxes, depuis 2005. Ces sommes ont été payées à même le rendement sur l’argent des fonds communs des investisseurs qui a été récupéré en 2005, dit La Presse.

Nous avons communiqué avec Ernst & Young pour obtenir plus de détails, mais la firme n’avait pas retourné notre appel au moment de mettre en ligne.

À propos de frais, rappelons que l’Autorité des marchés financiers (AMF) a engagé des dépenses totalisant 32 millions de dollars pour régler ce scandale, dont 12 millions en frais d’avocats. Près de 9,4 millions ont été versés à deux firmes d’avocats qui ont assuré la défense de l’AMF dans le cadre du recours collectif intenté contre celle-ci par certains investisseurs. À lui seul, le cabinet Heenan Blaikie a facturé 9,2 millions de dollars à l’AMF.

Un malheur ne vient jamais seul Au-delà des chiffres et des taux de récupération, la manière avec laquelle les autorités ont choisi d’indemniser les victimes continue de déconcerter les personnes à qui nous avons parlé.

« Malheureusement pour mes clients, je n’étais pas dans une organisation liée à Vincent Lacroix, ironise Marc Beaudoin. Si ç’avait été le cas, ils auraient été entièrement dédommagés par le Fonds d’indemnisation des services financiers. À la place, ils ont dû payer une facture d’avocats de 10 millions de dollars. »

Comme un malheur ne vient pas seul, Marc Beaudoin a dû vérifier que chacun de ses clients a bel et bien reçu son chèque de remboursement. En effet, certains d’entre eux avaient demandé que l’argent soit placé à la firme de fonds AIC. Or, Financière Manuvie a fait l’acquisition d’AIC en 2009, ce que semblait ignorer Ernst & Young. Résultat : des chèques ont été envoyés à une adresse périmée. « C’est moi qui a été pris pour les réveiller », déplore l’homme d’affaires.

Ce méli-mélo n’est pas anodin. Selon TVA Nouvelles, une somme de 2,3 millions de dollars dormirait ainsi dans les coffres d’Ernst & Young.

Ébranlé personnellement et professionnellement, notre conseiller qui préfère taire son nom estime que le véritable coupable de ce scandale demeure la Caisse de dépôt et placement du Québec. « On ne le dira jamais assez : les fonds Norbourg et Évolution portaient le sceau de la Caisse de dépôt, censée être l’un de nos fleurons. »

Ronald McKenzie