Opinion – Abolition des commissions : quelles solutions?

Par Yves et Marjorie Banville, collaboration spéciale | 14 Décembre 2016 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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Bien qu’elle fasse l’objet de très peu de couverture médiatique, une réforme majeure s’opère présentement dans le monde des services financiers, et plus précisément dans celui des fonds communs de placement. Il va donc sans dire que la population doit en être informée.

L’objectif annoncé de la réforme est d’introduire une plus grande transparence dans le cadre de la relation client-conseiller et de mettre en place des mesures visant à assurer le plus grand intérêt du client. En ce sens, le MRCC 2 (modèle de relation client-conseiller, phase 2) est en cours de déploiement : les clients verront dorénavant apparaître la rétribution de leur conseiller sur leurs relevés de placement. La prochaine étape, qui est à l’étude et pour laquelle une décision sera rendue sous peu par les autorités, concerne la possibilité d’abolir les rétributions intégrées, plus souvent appelées commissions intégrées.

Dans le modèle actuel, c’est-à-dire à commissions intégrées, une portion des frais de gestion associés à un produit est attribuée au professionnel pour le service-conseil qu’il offre. La solution de remplacement envisagée est le modèle à honoraires dans lequel le client et le conseiller s’entendent sur cette même rétribution. Précisons que ce modèle cohabite déjà avec le modèle à commissions intégrées. Nous n’aborderons pas ici le modèle à frais différés, soit une ramification du modèle actuel, puisqu’il est en train de s’éteindre de pair avec l’arrivée du MRCC 2. Ce modèle en voie de disparition est issu des fonds qui ont vu le jour en 1987 et qui sont devenus des hybrides quasi monstrueux.

Il importe de mentionner que la réforme ne s’appliquera vraisemblablement pas de la même façon à la distribution des fonds communs de placement dans les succursales bancaires, puisque les conseillers qui y travaillent sont des salariés. Par contre, il faut savoir que le client qui se procure un produit en succursale paie tout de même les frais de gestion dans leur ensemble, ceux-ci incluant la portion service-conseil normalement attribuée au conseiller.

LE POUR ET LE CONTRE

Dans ce contexte, notre texte vise à informer le public des grands changements qui s’annoncent et de soulever des questions importantes aux Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) dont l’Autorité des marchés financiers (AMF) fait partie.

Ces dernières se sont jusqu’à maintenant appuyées entre autres sur une recherche effectuée par le professeur Douglas Cumming (2015) et sur le rapport Brondesbury (2015). Fait à noter, ces recherches, qui portent pourtant sur l’avenir de notre profession, ne valaient sûrement pas la peine d’être traduites en français. Ainsi, nous nous proposons d’examiner les principaux avantages et inconvénients de chacun des deux grands modèles pour ensuite émettre des recommandations éclairées.

L’avantage incontestable du modèle actuel est l’accès pour les investisseurs à l’ensemble des produits disponibles sur le marché, incluant ceux des banques. En effet, celui-ci permet aux conseillers rattachés à un courtier indépendant d’offrir la vaste majorité des produits, dans le plus grand intérêt du client.

En ce qui a trait à son principal inconvénient, il s’agit de la disparité de la rétribution d’un fournisseur et d’un produit à l’autre, qui accentue le risque de servir les intérêts du conseiller au détriment de ceux du client. Cette rétribution varie généralement entre 0,5% et 1% de l’actif.

Quant au modèle à honoraires, il semble que son principal avantage demeure l’introduction d’un système de libre concurrence efficient, puisque le client aurait dorénavant la possibilité de négocier les honoraires avec son conseiller. Les frais de service-conseil varient généralement entre 0,5 % et 1,5 % de l’actif. Il faut souligner que ces honoraires sont taxables.

En revanche, dans l’état actuel des choses en ce qui concerne le modèle à honoraires, l’accès pour les investisseurs à l’ensemble des produits disponibles sur le marché est largement compromis. En effet, à l’heure présente, seules CI, EdgePoint, Fidelity, Invesco, Mackenzie et Sentry offrent la solution des comptes à honoraires au nom du client.

Quelques autres firmes la proposent également, mais en imposant des seuils d’investissement si importants que plusieurs personnes ne peuvent y adhérer. Ainsi, les fonds des autres familles ne peuvent être souscrits que par l’entremise d’une plateforme de distribution du courtier ou d’une plateforme indépendante. La seule plateforme indépendante que l’on retrouve au Québec est celle de B2B Banque.

Notons que ces plateformes ne sont pas offertes gratuitement et que le client, ainsi que son conseiller, s’en trouvent relativement captifs. À titre d’exemple, un compte REER ouvert auprès de B2B Banque comporte des frais annuels de 135 $ plus taxes et entraîne des frais de fermeture de compte de 250 $ plus taxes advenant un transfert intégral. Ces frais augmentent de façon non négligeable au fur et à mesure que d’autres types de comptes s’ajoutent (CELI, ouvert, CRI, etc.).

À la lumière de ces considérations et en admettant que les conseillers doivent être payés tout comme les institutions financières doivent être profitables, seules deux avenues semblent envisageables afin d’atteindre l’objectif de la réforme, soit d’assurer l’intérêt du client et de préserver sa liberté de choix. Ne perdons pas de vue qu’une réforme est un « changement de caractère profond, radical apporté à quelque chose [..] visant à en améliorer [le] fonctionnement » (dictionnaire Larousse).

1- Poursuivre avec le modèle actuel, en encadrant mieux la pratique en ce qui a trait à la rémunération versée aux conseillers par les différents fournisseurs. Il semble toutefois qu’une telle avenue ne puisse pas être retenue, comme l’a souligné Mathieu Simard, conseiller expert en fonds d’investissement à l’AMF. Nous pouvons supposer qu’une pareille mesure irait à l’encontre de la Loi sur la concurrence, qui « a pour objet de préserver et de favoriser la concurrence au Canada dans le but de stimuler l’adaptabilité et l’efficience de l’économie canadienne […] de même que dans le but d’assurer aux consommateurs des prix compétitifs et un choix dans les produits » (art.1.1).

2- Aller de l’avant avec le modèle à honoraires en amenant les fournisseurs et les distributeurs à mettre en place des solutions permettant à tous les investisseurs d’avoir accès à l’ensemble des produits disponibles sur le marché. Plus précisément, il faudra que les comptes à honoraires au nom du client soient offerts par un nombre élargi de fournisseurs, et ce, pour des seuils d’investissement accessibles, ou encore que l’accès aux plateformes autogérées indépendantes soit diversifié et démocratisé en matière de frais. Par ailleurs, il faudra que le législateur veille à ce que les investisseurs ne soient pas pénalisés dans le cadre des changements obligés qui devront s’opérer dans leur portefeuille afin de pouvoir continuer à être servis par leurs conseillers. Nous faisons ici référence notamment aux dispositions dans les comptes ouverts, qui entraîneront dans bien des cas un gain en capital. Sinon, il est évident que le client n’en sortira pas gagnant.

Devant l’ampleur des défis qui attendent le législateur dans la mise en œuvre de la solution 2, ne revenons-nous pas à la case départ?

Plus largement, nous considérons que le législateur devrait profiter de cette occasion de réforme pour se pencher également sur d’autres problèmes majeurs qui subsistent au sein de l’industrie. Nous pensons entre autres :

  • aux fonds distincts qui sont exclus de la réforme;
  • aux frais de transfert substantiels qui s’observent dans certains cas lorsque le client passe d’une famille de fonds à une autre;
  • à l’application de la réforme au sein des succursales bancaires.

Yves et Marjorie Banville sont conseillers en sécurité financière et représentants en épargne collective rattachés à Services en placements PEAK.

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Yves et Marjorie Banville, collaboration spéciale