Panama Papers : l’ARC critiquée

Par La rédaction | 19 février 2019 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
4 minutes de lecture
Photo : grafner / 123rf

Trois ans après le début du scandale des Panama Papers, seuls une douzaine de contribuables ou de sociétés canadiens, sur les 900 identifiés, se sont vu réclamer de l’argent par l’Agence du revenu du Canada (ARC), rapporte le Journal de Montréal

Le quotidien précise que l’ARC lui a confirmé avoir jusqu’à présent demandé 9,1 millions de dollars en impôts impayés et pénalités à ces 12 entités, accusées d’avoir caché de l’argent dans un paradis fiscal. Toutefois, ajoute le quotidien, comme les personnes concernées ont le droit de contester cette réclamation devant la justice, « rien ne dit que les sommes seront effectivement récupérées ».

Cette absence de résultats étonne le JdeM, qui souligne que selon une compilation du Consortium international des journalistes d’investigation (CIJI), plusieurs autres pays ont réussi à recouvrer une partie des montants détournés par certains de leurs riches ressortissants. C’est notamment le cas de l’Allemagne, qui a déjà récupéré quelque 210 millions de dollars, de l’Espagne (122 M$), de l’Équateur (82,6 M$), de l’Australie (45,5 M$) et du Mexique (27 M$). Au total, 17 pays avaient ainsi récupéré quelque 700 millions en date de décembre dernier.

« IL Y A CLAIREMENT UN BESOIN D’EN FAIRE PLUS »

« C’est vraiment juste la pointe de l’iceberg à laquelle l’Agence s’est attaquée à date. Il y a clairement un besoin de la part du gouvernement Trudeau d’en faire plus, même s’ils ont déjà investi plus d’argent dans la lutte à l’évasion fiscale », commente pour le Journal Toby Sanger. Et le directeur exécutif de l’organisme Canadiens pour une fiscalité équitable se dit « surpris et déçu » par ce maigre bilan de l’ARC.

Publiés en 2016 par le CIJI, les Panama Papers avaient à l’époque déclenché un immense scandale dans plusieurs pays occidentaux, dont le Canada. Dans un document déposé la semaine dernière à la Chambre des communes, l’Agence du revenu indique y avoir identifié au moins 724 particuliers, 135 sociétés et 35 fiducies canadiennes. Ce qui l’a menée à réaliser des audits auprès de 197 de ces personnes et 38 de ces compagnies, et à envoyer 12 avis de cotisation pour des impôts impayés, précise le Journal.

Interrogé par le quotidien montréalais, un porte-parole de l’ARC justifie ce faible nombre par le fait que « les vérifications de ces arrangements fiscaux complexes à l’étranger sont longues et nécessitent beaucoup d’efforts, compte tenu des renseignements et des documents requis pour confirmer l’inobservation fiscale possible ».

« Le fait d’être nommé dans des listes telles que les Panama Papers n’implique pas automatiquement que le contribuable a commis un évitement fiscal agressif ou une fraude fiscale. Il n’est pas illégal d’avoir des comptes ou des fiducies à l’étranger aussi longtemps que le revenu est déclaré et que les impôts sont payés au Canada », ajoute-t-il.

LE CANADA PARMI LES CANCRES

La ministre du Revenu national, Diane Lebouthillier, défend elle aussi le travail du gouvernement fédéral en rappelant que, depuis trois ans, Ottawa a investi un milliard de dollars pour combattre l’évasion fiscale. « Nos investissements historiques ont notamment permis à l’Agence d’embaucher plus de 1 300 vérificateurs. Nous avons ainsi effectué deux fois plus de vérifications liées à l’inobservation à l’étranger dans les trois dernières années qu’en 10 ans sous les conservateurs. La trappe se referme sur les fraudeurs », soutient la ministre dans une déclaration écrite envoyée au Journal.

Cette déclaration n’a cependant pas convaincu l’opposition. « C’est un bilan pathétique, carrément. Le gouvernement Trudeau se targue d’avoir investi un milliard dans la lutte à l’évasion fiscale, et la seule chose qui en a découlé sont quelques avis de cotisation. Ce qui manque le plus cruellement à ce jour, ce sont des condamnations criminelles pour évasion fiscale », dénonce par exemple le député néodémocrate Pierre-Luc Dusseault.

« Étant donné l’ampleur des révélations dans ces documents, on pouvait s’attendre à beaucoup plus que ça. Je m’attendais à ce que ça se compte plus en centaines, le nombre de personnes et entreprises à qui on reconnaîtrait avoir posé des gestes fiscaux problématiques », ajoute Gabriel Sainte-Marie, député du Bloc québécois. « Quand on regarde les résultats, on voit que le Canada est près d’être dernier dans le classement. Nous sommes parmi les cancres plutôt que parmi les premiers de classe. Ça doit absolument changer, et rapidement », conclut-il.

Dans une entrevue accordée à Conseiller en 2016, le spécialiste Alain Deneault estimait que le Canada devait « faire son examen de conscience » en matière de lutte contre l’évasion fiscale. Auteur du livre-enquête intitulé Une escroquerie légalisée. Précis sur les « paradis fiscaux », le chercheur au Réseau pour la Justice fiscale expliquait notamment que l’ARC devrait « commencer par aller au bout des processus judiciaires lorsqu’elle parvient à épingler des particuliers fortunés qui contournent le fisc en s’installant dans des paradis fiscaux ».

Autrement dit, ajoutait-il, ne pas faire ce qui a été fait, par exemple, dans le cas des clients de la firme KPMG qui avaient placé leurs avoirs à l’île de Man, et qui ont pu négocier hors cour un arrangement avec l’Agence. Sa conclusion? « Le gouvernement fédéral devrait montrer une attitude résolue envers les fraudeurs fiscaux de façon à envoyer un message et à décourager ceux qui seraient tentés de suivre leur exemple. »

La rédaction