Paradis fiscaux : la Commission des finances veut frapper fort

Par Rémi Maillard | 6 avril 2017 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Les membres de la Commission des finances publiques ont déposé hier leur rapport final portant sur la lutte contre les paradis fiscaux, annonce l’Assemblée nationale dans un communiqué

Intitulé Le phénomène du recours aux paradis fiscaux, ce document d’une soixantaine de pages contient notamment 38 recommandations, adoptées à l’unanimité par les parlementaires. Plus précisément, 27 d’entre elles devront être mise en œuvre par le gouvernement du Québec, avec le concours de Revenu Québec, du ministère des Finances et de la Caisse de dépôt et de placement, tandis que les 11 autres seront à discuter avec Ottawa.

Entrepris en 2015, ce vaste travail était destiné à passer en revue « les stratégies et les mécanismes employés à des fins d’évasion et d’évitement fiscaux », rappelle le communiqué. Il y a quelques semaines, des membres de la Commission avaient laissé filtrer certaines de ces recommandations dans les médias, pressant le gouvernement provincial d’agir plus efficacement dans ce dossier.

« DES PERTES FISCALES IMPORTANTES POUR LES GOUVERNEMENTS »

« Ce rapport est l’aboutissement d’un processus de recherche, d’apprentissage, de consultations et d’auditions publiques. Nous avons constaté que la majorité des témoins et de la population est préoccupée par les conséquences du recours aux territoires à faible fiscalité par certains contribuables. On parle de pertes fiscales importantes pour les gouvernements qui se traduisent par l’effritement de leur capacité à financer les services publics, (…) sans parler de l’injustice envers les autres contribuables », commente le président de la Commission, Raymond Bernier, député de Montmorency.

Pour mener à bien ses travaux, la Commission a procédé à de nombreuses consultations particulières et à plusieurs auditions publiques, auxquelles ont été conviés « 22 groupes ou individus », dont des experts en droit, fiscalité et finances publiques, ainsi que des banques et des firmes comptables, souligne le communiqué. L’audition de ces dernières avait d’ailleurs dû être reportée à deux reprises en raison de leur peu d’empressement à se rendre devant les élus et ce n’est que contraintes et forcées qu’elles s’étaient finalement résolues à venir témoigner.

Parmi les 38 recommandations émises par la Commission, trois concernent par exemple la possibilité d’instaurer au Québec une taxe sur les profits détournés, baptisée « Google tax », afin d’imposer les sociétés en fonction des profits qu’elles y réalisent par l’entremise d’Internet. Pour avoir un tableau aussi précis que possible des bénéfices ainsi réalisés sur le sol québécois, les parlementaires proposent que Revenu Québec et l’Agence du revenu du Canada travaillent conjointement sur cette question. Enfin, ils suggèrent au ministère des Finances provincial de réaliser une étude sur l’impact économique que pourrait avoir l’instauration d’une telle taxe, qui existe déjà au Royaume-Uni depuis 2015.

QUÉBEC DOIT ÊTRE « PLUS SÉLECTIF DANS LE CHOIX DE SES FOURNISSEURS »

La Commission préconise par ailleurs la création d’un registre central public des sociétés, l’examen des déclarations pays par pays et une réduction progressive des investissements de la Caisse de dépôt et placement du Québec « dans les entreprises qui font de l’évitement fiscal abusif ou de l’évasion fiscale ». Concrètement, elle recommande au gouvernement québécois de se montrer « plus sélectif dans le choix de ses fournisseurs », notamment en enjoignant à la Caisse d’« éliminer de ses fournisseurs ceux qui ont été reconnus coupables de faire de l’évitement fiscal abusif ou de l’évasion fiscale ou d’avoir eu recours aux paradis fiscaux ». De même, celle-ci est invitée à « priver de contrats gouvernementaux les cabinets professionnels » qui auraient été reconnus coupables de ce type d’infractions.

Enfin, la Commission des finances publiques réclame l’adoption d’une loi « visant à protéger et éventuellement récompenser les lanceurs d’alerte qui permettront de déceler l’évasion fiscale ou l’évitement fiscal abusif » et elle appelle Québec et Ottawa à veiller à la bonne application des conventions fiscales canadiennes en vigueur.

Un « cancer de l’économie mondiale »

Les paradis fiscaux ont pris des « proportions inquiétantes » depuis la crise financière de 2008-2009, ont mis en garde hier les membres de la Commission réunis en conférence de presse.

Issus de tous les partis représentés à l’Assemblée nationale, ceux-ci ont notamment affirmé qu’il s’agissait d’un problème « réel et menaçant », et même d’un « cancer de l’économie mondiale » qui génère chaque année des pertes de 800 millions à deux milliards de dollars pour l’État québécois, rapporte La Presse canadienne.

DE 8 À 15 G$ DE PERTES CHAQUE ANNÉE POUR LE FISC

La Commission estime que ce montant représente une partie non négligeable des 3,5 milliards que le Trésor public a perdus en 2012, toutes sources d’évasion et d’évitement fiscaux confondues. Selon les données dont elle dispose, plus de 50 % des capitaux mondiaux transitent aujourd’hui par les quelque 70 paradis fiscaux répertoriés sur la planète.

Au pays, les contribuables les plus riches posséderaient des avoirs totalisant plus de 170 milliards dans ces États ou territoires fiscalement « accueillants », ce qui entraînerait un manque à gagner de huit à 15 milliards par an pour le fisc canadien.

Rémi Maillard

Journaliste multimédia. Santé, environnement, société, finances personnelles. Également intéressé par les affaires publiques, les relations internationales, la culture… Passionné de cyclisme.