Parfois, l’équité l’emporte sur l’égalité!

Par Me Julien Busque | 25 septembre 2015 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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De nombreux parents nous informent, au moment de la préparation de leur testament, qu’ils ont déjà, de leur vivant, commencé à faire des dons à leurs enfants ou qu’ils souhaitent le faire avant leur décès, soit au moment où ils considèrent que leurs enfants en ont davantage besoin.

Mais au-delà de cette volonté bien réelle, quelles sont les conséquences d’une telle décision ? Est-il préférable de procéder au moyen d’un don ou au moyen d’un prêt ? Doit-on prendre des mesures particulières afin de protéger les biens ainsi donnés ? Comment faire pour s’assurer qu’un enfant n’est pas privilégié aux dépens d’un autre ? Car s’il y a un sentiment qui souvent domine dans la volonté des parents, c’est bien ce respect de l’égalité dans le partage des biens entre leurs enfants. Mais cette fameuse égalité est-elle toujours possible ?

DON OU PRÊT

Il est important de faire quelques distinctions entre le don et le prêt. Si un parent donne des biens, de l’argent ou encore un bien immobilier à un enfant, ce dernier n’a pas, sauf stipulation contraire à l’acte de donation, à en faire rapport à la succession du parent au moment du partage des actifs entre les héritiers[1].

La donation d’un immeuble doit, sous peine de nullité absolue, être constatée par acte notarié en minute[2]. Il est donc probable que, sur les conseils du juriste, le parent y ait traité de la question de rapport du don. Un examen minutieux de ce document devra être réalisé au moment de la rédaction du testament et les clauses nécessaires au respect des volontés des parents devront être prévues en conséquence.

S’il s’agit de la donation d’une somme d’argent importante, il peut aussi être approprié, bien qu’il ne soit pas essentiel de procéder ainsi, de le faire par acte notarié. Dans tous les cas où il y a donation, il importe aussi de retenir que cette dernière est irrévocable : les biens donnés appartiennent désormais à l’enfant et ce dernier peut en disposer à son gré. C’est ainsi qu’en cas de survenance de son propre décès, les biens concernés se retrouveront dans le patrimoine des héritiers de l’enfant, lesquels ne seront pas nécessairement ceux qu’aurait voulu avantager le parent.

De telles conséquences devront donc être prises en considération au moment de l’établissement du don. Des mesures de protection additionnelles pourront être mises en place par le parent, dépendamment de la valeur du don effectué[3]. Par ailleurs, les parents pourront prévoir, à l’acte de donation, que les biens transférés seront insaisissables par les créanciers de l’enfant pour les mettre à l’abri de ces derniers. Il sera aussi permis de déclarer que les biens donnés à l’enfant, les fruits et revenus qui en découlent et tout bien qu’il pourrait acquérir en remplacement seront propres à ce dernier, protégeant ainsi ces biens de toute réclamation éventuelle que pourrait faire son conjoint en vertu du partage des droits matrimoniaux dans le cadre d’un divorce ou d’une séparation.

En toutes circonstances, il sera également opportun, lors de l’établissement du don, de s’assurer que celui-ci n’aura pas pour effet de compromettre la sécurité financière des parents. Le donateur pourrait par exemple effectuer plusieurs dons de petites sommes plutôt que le don unique d’une très grosse somme afin de bien évaluer sa situation financière à chaque fois. Il faudra néanmoins se garder de créer, chez l’enfant donataire, des attentes à l’égard de ce don « répété ». Si on lui remet des sommes fixes à des moments précis chaque année, à Noël par exemple, il peut suffire d’un seul manquement pour créer des insatisfactions chez l’enfant et transformer la fête en déception !

Si le parent décide de prêter de l’argent à son enfant, les règles seront différentes. S’il s’agit d’une somme importante, il pourrait prendre une garantie sur les biens appartenant à son enfant débiteur, un peu de la même façon que le ferait un tiers créancier[4]. Aussi, au décès du parent et sauf stipulation contraire au testament, la dette de l’enfant demeurera due à la succession et devra donc être prise en compte dans le partage des biens entre les héritiers, et ce, même si cette dette n’est pas encore échue au moment du partage[5]. Toutefois, il est possible, pour le parent, de stipuler à son testament qu’il y aura remise de dette prenant effet à l’ouverture de sa succession et, dans un tel cas, la dette sera éteinte au moment de son décès.

Il faudra aussi porter une attention particulière au document utilisé à titre de « reconnaissance de dette » ainsi qu’aux modalités qui y sont prévues, notamment en matière de versement d’intérêts et de date de paiement.

ET LES PETITS-ENFANTS?

Pour beaucoup de parents se posera aussi la question du legs en faveur de leurs petits-enfants. Comment faire si, par exemple, un de leurs enfants a trois enfants et que l’autre en a un seul ? Beaucoup de grands-parents souhaitent que chacun de leurs petits-enfants reçoive le même montant d’héritage, peu importe qu’il soit enfant unique ou pas. Ce faisant, les grands-parents vont-ils, en voulant créer l’égalité entre leurs petits-enfants, créer une certaine inégalité entre leurs propres enfants ?

Les cadeaux effectués au fil des ans, voire les différentes formes de soutien financier accordées aux enfants et à leurs descendants, pourront aussi faire l’objet de discussions et exiger la présence de précisions aux testaments des parents. En effet, les parents auront pu, sans que cela soit constaté par un don formel, aider davantage un enfant qui était plus fragile financièrement ou s’occuper plus fréquemment des enfants d’un autre, compte tenu de la proximité géographique de ces derniers. Ils pourront aussi avoir acheté des vêtements à l’un d’eux, défrayé le coût du matériel scolaire ou des activités sportives, sans nécessairement l’avoir fait pour l’ensemble des petits-enfants, considérant que certains n’en n’avaient absolument pas besoin. Les autres enfants sont-ils alors susceptibles de crier au favoritisme et de se sentir lésés le temps venu du grand partage ? C’est probablement plus spécifiquement ici que la notion d’équité prend tout son sens.

Il deviendra en effet parfois extrêmement difficile pour les parents de régler tous ces aspects et un appel à la bonne foi des enfants sera indispensable si l’on veut préserver l’harmonie entre eux. Il n’existe pas de règles juridiques, légales ou fiscales leur permettant de trancher et de se sentir ainsi libérés de ces décisions, prétextant qu’ils les ont prises sur la base d’éléments qui leur étaient imposés. Il n’existe pas non plus, sous cet aspect, de bons ou de mauvais testaments, la volonté des parents étant alors le seul guide.

Le meilleur conseil consiste, selon nous, à recommander aux parents de discuter ouvertement de ces questions avec leurs enfants, afin de leur faire connaître leurs intentions. Comme pour bien d’autres aspects, cette préoccupation des parents fera alors appel aux valeurs morales inculquées à leurs enfants au cours des années, autre élément important de leur héritage.

En conclusion, force est de constater que toute cette question d’égalité, voire d’équité, dans le partage des biens entre les enfants, parfois même les petits-enfants, n’est pas une tâche facile pour les parents. Tout le monde le sait, en matière de succession, argent et émotions font rarement bon ménage ! Il est donc primordial, pour les parents, que les documents qui reflètent leurs intentions soient clairement rédigés !

Me Jullien Busque

Me Julien Busque, notaire, Pl. Fin., est conseiller principal, Fiducie et service conseil à Banque Nationale – Gestion Privée 1859.

[1] Art. 867 C.c.Q. [1] Art. 1824 C.c.Q. [1] Le don pourrait notamment, si sa valeur est importante, se faire par l’utilisation d’une fiducie. [1] Cette garantie pourrait être, par exemple, une hypothèque immobilière sur l’immeuble acquis par l’enfant à même la somme prêtée par ses parents. [1] Art. 879 C.c.Q.


• Ce texte est paru dans l’édition de septembre 2015 de Conseiller. Il est aussi disponible en format PDF. Vous pouvez également consulter l’ensemble du numéro sur notre site Web.

Me Julien Busque