Plus difficile d’investir dans le cannabis au Québec

Par La rédaction | 29 mars 2018 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Les Québécois n’ont pas la possibilité de profiter pleinement des occasions d’investissement qui se multiplient ailleurs au pays dans l’industrie du cannabis, rapporte La Presse.

En effet, comme plusieurs compagnies du secteur ne font pas traduire en français les documents réglementaires requis par la Loi sur les valeurs mobilières (LVM), cela revient à exclure la province de leurs opérations de financement.

« Lors d’un appel public à l’épargne réalisé au Québec, l’article 40.1 de la LVM prévoit que les divers types de prospectus (et les documents qui doivent y être intégrés par renvoi) et certains autres documents de placement, comme la notice d’offre prévue par règlement, doivent être établis en français ou en français et en anglais », rappelle l’Autorité des marchés financiers (AMF) dans le quotidien. Celle-ci ajoute que les émetteurs de valeurs mobilières ont parfaitement le droit de sélectionner les provinces ou territoires canadiens dans lesquels ils souhaitent placer leurs titres.

« TRADUIRE LES PROSPECTUS COÛTE CHER »

Or, souligne La Presse, les émissions de titres excluant le Québec se multiplient au pays depuis le début de l’année, au point qu’on en dénombrerait déjà « plus d’une dizaine » dans l’industrie du cannabis émanant notamment des sociétés Canopy Growth, Aurora, CannaRoyalty, Harvest One Cannabis ou encore Atrium Mortgage Investment. Une situation qui exaspère plusieurs investisseurs québécois, qui envisagent désormais de se trouver une adresse dans une autre province.

« Je n’aime pas beaucoup l’idée, car je préfère de loin verser mes impôts au Québec, mais avec tous les bons deals qui nous passent sous le nez, c’est vraiment frustrant. Les traders les plus sérieux viennent à la conclusion que ça prend une compagnie enregistrée ailleurs pour avoir accès à ces deals », soutient par exemple l’investisseur montréalais Mickael Dufresne.

Selon La Presse, une partie du problème repose sur l’obligation légale de traduire les prospectus, ce qui « semble représenter un fardeau », par exemple pour la compagnie torontoise Atrium Mortgage Investment, qui a justement récemment présenté un financement par actions excluant le Québec. « C’est uniquement une question de coûts », confirme au journal Rob Goodall, le PDG de la société. « Le Québec est un grand et important marché. Malheureusement, dans le cas d’une émission d’actions d’une valeur de 30 millions de dollars, ce n’est pas économique pour nous », ajoute-t-il, précisant que les coûts de traduction et de dépôt du prospectus dans la province se chiffreraient à 75 000 dollars.

« IL Y A DÉFINITIVEMENT UN DÉSAVANTAGE »

« Pour un deal de moins de 100 millions, les compagnies de l’extérieur de la province ne se badrent pas du Québec. (…) Pour un émetteur, la première question est de savoir s’il a besoin de la province. Si le courtier pense être capable de distribuer le financement au Canada anglais, ça va lui éviter une dépense », estime Louis Doyle.

Dans La Presse, le directeur général de l’organisme Québec Bourse et ex-vice-président de la Bourse de croissance TSX juge que « tous ces facteurs font en sorte qu’il y a beaucoup d’émissions dans plusieurs secteurs » qui se font partout au pays sauf dans la province. « Dans le cas d’une émission très prisée, c’est certain que le Québécois ne l’aura jamais au prix d’émission et qu’il se retrouve perdant. Et c’est sans parler des bons de souscription ou des fractions de bons de souscription offerts en bonis dans certaines émissions par prospectus versus l’achat de l’action en Bourse et [le fait de] devoir payer une commission. Il y a assurément un désavantage. »

« Ce qui est contre-productif, c’est que demain matin, une compagnie peut faire une émission qu’on ne peut pas acheter au Québec, mais les investisseurs québécois peuvent [échanger] le titre par la suite alors que tous les documents ne restent disponibles qu’en anglais », estime pour sa part Pierre Lortie, conseiller principal, affaires, au sein du cabinet d’avocats Dentons. Interrogé par La Presse, cet ancien PDG de la Bourse de Montréal connaît bien l’article 40.1 de la LVM et, d’après lui, ce n’est pas forcément le prospectus qui augmente les coûts de façon importante, mais « plutôt l’obligation de traduire les documents antérieurs par référence », c’est-à-dire les rapports financiers et autres documents connexes.

« ON APPLIQUE LA LOI TELLE QU’ELLE EXISTE »

« On se retrouve dans un scénario où on oblige à produire un prospectus de plusieurs centaines de pages et à encourir les coûts associés à la traduction pour des clients qui ne le liront pas de toute façon, confirme Louis Doyle. Il s’en est fait des démarches auprès de l’AMF et du gouvernement pour accepter le prospectus en anglais et un sommaire d’une dizaine de pages en français. Ça fonctionne ainsi dans la communauté européenne. Ça m’apparaît très raisonnable. C’est vers ça qu’il faut aller. »

Pour le président du conseil d’administration de l’Ordre des traducteurs, terminologues et interprètes agréés du Québec, la question des coûts de traduction est cependant un faux problème. « Il s’agit avant tout d’une question de protection du public. Pourquoi l’épargnant anglophone aurait-il toute l’information pertinente alors que l’épargnant francophone devrait se contenter, par exemple, d’un résumé pour prendre sa décision d’investissement? » questionne Réal Paquette. « On ne peut pas prendre une décision de placement sur un résumé », insiste-t-il.

En marge d’une conférence prononcée lundi devant le Cercle canadien de Montréal, le PDG de l’Autorité s’est lui aussi dit conscient de la frustration des investisseurs québécois tout en indiquant que seul le législateur pouvait faire évoluer la situation, rapporte par ailleurs La Presse. « Le problème est réel. On applique la loi telle qu’elle existe aujourd’hui. On ne peut que constater la réalité », a indiqué Louis Morisset, ajoutant qu’il était difficile pour l’AMF de se montrer proactive, « à moins qu’il y ait une volonté gouvernementale qu’on s’y intéresse ».

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