Pas si endettés, les Québécois

Par La rédaction | 29 août 2017 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Bien que le taux d’endettement des Québécois atteigne des sommets, leur situation financière est aujourd’hui dans l’ensemble plutôt satisfaisante, notamment raison du faible niveau des taux d’intérêt, selon une étude publiée hier par Desjardins.

Son auteure, Hélène Bégin, y détaille les raisons pour lesquelles le ratio d’endettement des ménages, même s’il est historiquement haut au Québec, ne constitue pas en réalité un outil fiable. « D’autres indicateurs plus complets s’avèrent beaucoup moins alarmants », souligne-t-elle. Ainsi, en tenant compte de la faiblesse des taux d’intérêt ou de la forte progression de la valeur des actifs depuis une quinzaine d’années, elle juge que « la situation financière des Québécois s’avère relativement saine ».

En outre, ajoute l’économiste principale au Mouvement, « la proportion des ménages qui risquent d’être incapables de rembourser leurs emprunts demeure relativement contenue », tandis que l’accroissement de leurs dettes « a même été accompagnée par une hausse un peu plus rapide de la valeur des actifs, améliorant du coup leur bilan financier ».

LES PRIX DES PROPRIÉTÉS, FACTEUR CLÉ

La vague d’accession à la propriété entamée au début des années 2000 jumelée à la forte hausse des prix de l’immobilier ont contribué à gonfler les emprunts hypothécaires des ménages de la province et, par conséquent, le total de leurs engagements financiers, rappelle Hélène Bégin. Le prix moyen d’une résidence au Québec est ainsi passé de 106 468 $ en 2000 à quelque 283 288 $ en 2016, soit pratiquement le triple, souligne-t-elle. Résultat, ce phénomène s’est « naturellement reflété sur l’endettement hypothécaire ». Vu l’importance de ce type de prêt, « il s’agit de l’élément qui influence le plus le taux d’endettement global », observe l’économiste.

Néanmoins, même si le ratio des dettes par rapport au revenu a grimpé en flèche, « la grande majorité des ménages ne sont pas nécessairement pris à la gorge pour autant ». Un paradoxe qui s’explique à la fois par la faiblesse des taux d’intérêt depuis plusieurs années et par un taux de chômage relativement faible, ce qui assure des revenus réguliers aux particuliers, explique Hélène Bégin. Mais gare aux accidents de parcours, met-elle en garde, car « le contexte économique et financier peut parfois changer très rapidement » et le risque d’une détérioration de la situation financière des ménages reste « préoccupant ».

L’économiste principale de Desjardins en veut pour preuve la situation dans les années 1990. À cette époque, rappelle-t-elle, le ratio du crédit des ménages par rapport au revenu personnel disponible était inférieur à 100 % au moment où les taux hypothécaires avoisinaient 10 %. Pourtant, plusieurs ménages ont alors été dans l’incapacité de rembourser leurs dettes et la proportion de prêts hypothécaires en souffrance a explosé. « Les paiements d’intérêt pour tous les types d’emprunt accaparaient une lourde part du revenu des ménages au début des années 1990, de sorte que plusieurs étouffaient financièrement », note-t-elle.

« LE MEILLEUR INDICATEUR EST LE RSD »

Or, depuis quelques années, c’est inverse qui se produit, relève Hélène Bégin, puisque le niveau des dettes comparé au revenu ne cesse d’augmenter tandis que les taux d’intérêt végètent dans un creux historique. Celle-ci constate que « le poids des paiements d’intérêt assumé par les ménages n’a même jamais atteint une aussi mince proportion de leurs revenus» et « la faiblesse des taux d’intérêt ait en sorte qu’une part importante du paiement mensuel va directement au remboursement du capital emprunté, permettant ainsi de dégager une valeur nette ».

Autrement dit, résume l’analyste, « les deux indicateurs relatifs à l’endettement, soit les dettes par rapport au revenu et le poids des paiements d’intérêt, dégagent deux constats différents ». Alors que le premier, qui tient seulement compte du poids des emprunts, a atteint un niveau sans précédent au Québec, le second s’est au contraire allégé durant les dernières années. Toutefois, « chacune de ces mesures a le désavantage d’être incomplète et ne permet pas de cerner l’importance des ménages vulnérables financièrement », insiste l’économiste.

D’après elle, c’est le total des paiements en capital et intérêts par rapport au revenu qui reflète le mieux la capacité des ménages à assumer leurs obligations financières. Cet indicateur, qui correspond au ratio du service de la dette (RSD) « permet d’évaluer correctement si le poids des paiements mensuels a augmenté ». Or, note Hélène Bégin, le RSD moyen a peu fluctué depuis une quinzaine d’années au Québec se maintenant autour de 16,7 %. Par conséquent, la part du revenu brut consacrée au remboursement des emprunts n’a guère varié pour l’ensemble des Québécois. « Selon cet indicateur plus complet, la capacité financière des ménages de rembourser leurs dettes est demeurée stable au fil des ans, tout comme le risque de défaut de paiement », écrit-elle.

TENIR COMPTE DE LA VALEUR DES ACTIFS

Dans son étude, Hélène Bégin observe par ailleurs que les ménages dont le poids des dettes par rapport au revenu est élevé demeurent minoritaires dans la province, puisque l’an dernier, seuls 5 % des ménages endettés avaient un RSD supérieur au seuil critique de 40 %, soit un pourcentage stable depuis plusieurs années. Cependant, précise-t-elle, il faut également tenir compte des quelque 5 % de ménages présentant un ratio compris entre 30 % et 40 %, car ils présentent eux aussi un risque potentiel dans la mesure où ils risquent de se trouver très vite dans une mauvaise passe en cas d’imprévu, comme une séparation, une maladie grave ou une perte d’emploi.

Les personnes surendettées disposent cependant parfois d’actifs suffisants pour assurer leur survie financière, ce qui leur donne la possibilité de les vendre, qu’il s’agisse d’une résidence ou d’une partie de leurs placements, indique aussi l’économiste. Citant une récente enquête réalisée pour le compte de Canadian Financial Monitor, elle note que la forte progression des dettes s’appuie sur une hausse soutenue de la valeur des actifs depuis une quinzaine d’années, notamment grâce à l’essor des prix de l’immobilier résidentiel.

« Le bilan financier des ménages ne doit pas tenir compte uniquement des emprunts, mais aussi des actifs accumulés au fil du temps. L’essor du prix des maisons et la progression des marchés boursiers, bien qu’interrompu lors de certaines périodes, ont gonflé la valeur du patrimoine des Québécois depuis le début des années 2000 », conclut Hélène Bégin.

Un ratio « alarmiste et incomplet »

Le ratio d’endettement mesure « les dettes correspondent à l’encours de tous les types de prêts à la consommation, les soldes de cartes de crédit, les marges de crédit personnelles, les prêts hypothécaires contractés par l’ensemble des particuliers ainsi que le financement automobile sous forme de location », rappelle Hélène Bégin. Celle-ci précise que le remboursement de ces emprunts est étalé sur plusieurs années, notamment les prêts hypothécaires qui peuvent être amortis sur une période allant jusqu’à 25 ans.

Or, pour calculer le ratio d’endettement, ce chiffre est ensuite mis en relation avec les revenus annuels après impôts de l’ensemble des ménages. « C’est comme si toutes les dettes contractées devaient être remboursées avec les revenus après impôts d’une seule année, insiste l’économiste. Ainsi, note-t-elle, « un ménage avec un revenu après impôts de 75 000 $, dont les dettes totales s’élèvent à 150 000 $, a automatiquement un taux d’endettement de 200 % ».

Sa conclusion? « Ce ratio des dettes par rapport au revenu compare des montants sur des périodes différentes, ce qui rend son interprétation plutôt boiteuse. Cette mesure, largement véhiculée en raison de la simplicité de calcul et de la disponibilité des données, a une lacune importante : elle ne tient pas compte des taux d’intérêt qui déterminent en partie la capacité de remboursement des emprunteurs. Il s’agit par conséquent d’une mesure incomplète pour juger de la situation financière des ménages. »

La rédaction