Planification financière en ligne : complications à l’horizon?

Par Christine Bouthillier | 30 septembre 2019 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Alors que l’on discute de la vente d’assurance sur Internet depuis des années, voilà que l’Autorité des marchés financiers (AMF) donne aussi son aval à l’offre de planification financière en ligne. Un pas de plus vers l’automatisation des services financiers, qui n’est pas sans soulever plusieurs questions.

En mai dernier, l’AMF a déposé son Règlement sur les modes alternatifs de distribution, qui encadre selon les mêmes modalités l’offre d’assurance sur le web et la planification financière en ligne. Sans tambour ni trompette, en une petite phrase, cette dernière venait d’être autorisée : « Le Règlement vise tous les cabinets qui, par l’entremise d’un espace numérique, permettent la conclusion d’un contrat en assurance, ou encore, l’obtention d’un service en planification financière ou en expertise en règlement de sinistres », peut-on lire dans l’avis de l’Autorité publié au même moment.

Le règlement est entré en vigueur tout juste un mois plus tard, à l’exception de certaines dispositions, ce qui laisse peu de temps pour s’ajuster, même si l’idée était déjà dans l’air depuis la présentation du projet de loi 141 en octobre 2017.

Qu’est-ce que ça implique?

Seuls les cabinets inscrits auprès de l’AMF qui comptent au moins un planificateur financier en leurs rangs pourront offrir ce type de service. Cependant, il serait tout à leur avantage d’en compter plus, car un Pl. Fin. devra être en mesure de répondre aux questions de l’usager dès qu’il en ressent le besoin. Faute de quoi la transaction devra être suspendue s’il y a un risque que le client fasse fausse route.

Les firmes seront également soumises aux mêmes lois et règlements que les professionnels. Sachez que les cabinets devront s’assurer que les renseignements présentés sont compréhensibles et que le client est en mesure de prendre une décision éclairée.

Erreurs à venir

Une telle chose est-elle possible? On le sait, le niveau de littératie financière des Québécois n’est pas très élevé. Sur six concepts financiers, seuls deux étaient appréhendés correctement par plus de 60 % des résidents de la province, révélait un sondage de l’Ordre des comptables professionnels agréés du Québec en 2016.

Un épargnant laissé à lui-même devant un écran d’ordinateur sera-t-il en mesure de couvrir les sept champs de la planification financière sans se tromper? Permettez-moi d’en douter. Ce n’est pas pour rien que le titre de Pl. Fin. est réservé et que l’obtenir nécessite des études particulières : il s’agit d’un domaine plutôt complexe, qui va de l’assurance à la fiscalité, en passant par la finance, les aspects légaux, la succession, les placements et la retraite.

Sans compter le temps que cela prendrait à un usager pour entrer (correctement!) toutes les informations nécessaires à une planification financière complète sur une plateforme en ligne. On choisit souvent le web pour sa simplicité, alors remplir des formulaires pendant des heures ne sera peut-être pas tellement attrayant pour d’éventuels clients.

C’est possiblement pour cette raison qu’il y a peu de cabinets qui ont emprunté cette avenue. Selon la présidente de l’Institut québécois de planification financière, Jocelyne Houle-LeSarge, seules deux entreprises ont osé s’y aventurer.

Ces firmes doivent divulguer à l’AMF combien de planifications financières en ligne par année elles ont réalisées. Pour l’instant, l’Autorité n’en recense aucune. Les clients ne semblent donc pas non plus se bousculer au portillon.

Notons toutefois que la Loi sur la distribution de produits et services financiers ne définit pas la planification financière et n’exige pas qu’elle couvre les sept champs. Les plateformes web pourraient donc très bien se spécialiser dans l’un ou l’autre de ces domaines.

Des avantages

Certains des conseillers que j’ai interrogés ne semblent pas s’inquiéter outre mesure des conséquences pour les Pl. Fin. de l’offre en ligne. Étant donné la complexité de telles opérations, plusieurs doutent que les clients troquent l’humain pour la machine.

Mieux, ils estiment que le web pourrait servir de vitrine pour leurs services. Un épargnant pourrait être tenté de débuter sa planification lui-même et, devant le défi que cela représente, se tourner par la suite vers un professionnel en chair et en os.

« Que fais-tu de ceux qui ne seraient pas allés voir un Pl. Fin. de toute façon? Ne vaut-il pas mieux planifier ses finances soi-même en ligne que pas du tout? » m’a récemment demandé une collègue.

Vu sous cet angle, ça semble en effet un pas dans la bonne direction. Mais dans certains cas, une erreur peut avoir de fâcheuses conséquences. Pensons simplement à l’assurance vie et aux surprises que  pourrait avoir la succession d’un consommateur s’il a souscrit le mauvais produit…

Le marché de la planification financière en ligne reste pour le moment assez inexploré. Reste à voir quel virage il prendra au cours des prochaines années.


Christine Bouthillier est directrice principale de contenu à Conseiller.

Christine Bouthillier

Titulaire d’un baccalauréat en science politique et d’une maîtrise en communication de l’Université du Québec à Montréal, Christine Bouthillier est journaliste depuis 2007. Elle a débuté sa carrière dans différents hebdomadaires de la Montérégie comme journaliste, puis comme rédactrice en chef. Elle a ensuite fait le saut du côté des quotidiens. Elle a ainsi été journaliste au Journal de Montréal et directrice adjointe à l’information du journal 24 Heures. Elle travaille à Conseiller depuis 2014. Elle y est entrée comme rédactrice en chef adjointe au web, puis est devenue directrice principale de contenu de la marque (web et papier) en 2017, poste qu’elle occupe encore aujourd’hui.