Planification testamentaire lors d’une seconde union

Par Sophie Ducharme | 1 juin 2010 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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Autres temps, autres mœurs, de plus en plus d’enfants naissent au sein d’une union qui n’est pas la première pour leurs parents. Famille recomposée, nouveau conjoint, enfants issus d’une union précédente… voilà parfois un joli casse-tête en matière de planification testamentaire.

Pourtant, en prenant soin d’exprimer précisément ses dernières volontés, votre client pourrait éviter plusieurs conflits potentiels. Beaucoup de couples, engagés dans une deuxième union, n’ignorent pas que leur succession pourrait donner lieu à des rivalités entre leur conjoint actuel et les enfants de leur premier mariage. Lorsque la personne qui représentait le lien commun central de cette nouvelle famille n’est plus, il n’en faut parfois pas davantage pour raviver de vieilles rancunes au sein de ses membres. Dommage, car il s’agit souvent d’une absence de planification adéquate jumelée à un manque d’information, le moment venu. C’est pourquoi il s’avère primordial pour le client d’exprimer ses dernières volontés dans un testament notarié clair. Certaines stratégies successorales pertinentes peuvent répondre aux besoins précis qu’exige sa situation familiale.

Débutons avec des exemples de mesures toutes simples mises en œuvre pour parer aux risques de tensions.

– De certaines catégories de biens – Biens à caractère familial

Il peut être indiqué d’exclure des biens légués au deuxième conjoint tous les objets qui affichent une valeur familiale sentimentale particulière pour les enfants de la première union : cadeaux reçus durant cette relation, bijoux ou autres objets transmis de génération en génération, tel l’ensemble de vaisselle de grand-mère. Votre client ménagerait les susceptibilités en les attribuant plutôt à des héritiers pour qui ils sont précieux. La liquidation d’une succession est certes une affaire d’argent et de finances, mais elle revêt également un caractère très sentimental.

Résidences

Très souvent, mieux vaut laisser la résidence au conjoint et remettre de l’argent aux enfants. Cas très fréquent, le nouveau couple vivant en union de fait achète ensemble leur résidence et en devient propriétaire à 50 % chacun. Si l’un décède sans avoir expressément avantagé son conjoint dans un testament, sa part sera alors dévolue à ses enfants en pleine propriété. Le survivant du couple se retrouvera donc copropriétaire avec les enfants de son défunt amoureux… Pis encore, imaginons que les enfants soient mineurs; ils seront alors représentés par leur tuteur, soit l’ex-conjoint du défunt ! Heureusement il existe des formes de legs qui peuvent prévenir ce genre de situations malheureuses.

En effet, outre le legs en pleine propriété au conjoint, le testateur peut prévoir un droit d’habitation ou d’usufruit pour son conjoint, sa vie durant ou pendant une période de temps fixe. Ce legs aura pour effet de lui permettre de continuer d’habiter la maison après le décès, les enfants devenant propriétaires de la part de leur parent décédé. Il sera prudent, dans ce cas, de prévoir qui devra assumer les frais liés à l’entretien courant, aux taxes foncières ou encore aux réparations majeures. À défaut de clauses particulières prévus au testament, l’usufruitier (le conjoint survivant qui habitera la maison) acquittera les frais d’entretien alors que les enfants, appelés nus-propriétaires, acquitteront les réparations majeures.

Parfois, dans ces situations, tout n’est pas si simple. On imagine facilement les risques de conflits pouvant découler de l’inconfort des enfants si, par exemple, le détenteur du droit d’habitation de la maison décide de cohabiter avec un nouveau conjoint quelque temps après le décès du parent ! C’est pourquoi on incite souvent les gens à prévoir un délai du droit d’usufruit, par exemple, au premier événement d’un délai fixe de deux ou trois ans, ou lorsque le conjoint survivant quittera de son plein gré la maison, ou encore au décès de ce dernier.

Bref, rappelons-nous surtout qu’il existe plusieurs modèles de legs qui peuvent être personnalisés selon les besoins et volontés de chacun et que, sans testament à cette fin, les conjoints de fait ne pourront hériter l’un de l’autre.

Le choix d’un ou de plusieurs liquidateurs

Soucieux de ne froisser personne, certains testateurs vont désigner comme coliquidateurs de leur succession leur second conjoint et l’un des enfants issus de leur première union. L’objectif est noble, mais le Code civil du Québec stipule que les liquidateurs doivent agir de concert. Les décisions devront donc être prises à l’unanimité ou à la majorité, si le testament le prévoit explicitement. Il faut penser qu’un désaccord persistant pourrait paralyser la succession.

Nous avons connus le cas d’un testateur qui avait prévu, à titre de liquidateurs, sa nouvelle conjointe ainsi que son fils issu d’une précédente union. Deux mois après le décès, même si les biens légués n’ont toujours pas été transférés aux héritiers, le fils demande à Madame de renoncer à sa charge pour cause d’incompatibilité de caractère. Cette dernière refuse. Le fils désire s’adresser à la Cour pour exiger la destitution de Madame en invoquant que le conflit persistant entre eux va nécessairement nuire à la liquidation de la succession de son père.

Or, il importe de rappeler que pour destituer un liquidateur ou un fiduciaire, il faut faire la preuve de manquements graves dans l’administration du bien d’autrui. De plus, en matière testamentaire, la volonté du testateur est souveraine, et l’on ne peut contourner aisément les intentions clairement rédigées au testament de ce dernier.

Dans certains cas, la nomination d’un troisième coliquidateur, institutionnel cette fois, pourrait résoudre le problème en donnant des garanties de neutralité et d’impartialité.

Premier conjoint, héritier ou pas ?

Comme vous le savez, un divorce en bonne et due forme produit un ensemble d’effets juridiques importants. Les dispositions du testament antérieures au divorce, en faveur du premier conjoint de votre client, sont en principe révoquées, de même que sa nomination à titre de liquidateur, le cas échéant. Sa désignation comme bénéficiaire de l’assurance vie devient également caduque.

Si votre client souhaite que, malgré le divorce, son ex-conjoint continue à profiter de certains de ces privilèges, il devra le spécifier clairement dans son testament ou dans sa police d’assurance vie mise à jour.

Il est important de comprendre qu’à défaut d’un divorce officiel, le premier conjoint conserve la plupart de ses droits, même si les époux sont séparés depuis longtemps et vivent en union de fait avec une autre personne. Si votre client séparé désire retirer à son époux les avantages conférés de manière à avantager son conjoint actuel, il devra le faire expressément.

Et le second ?

La création d’une fiducie testamentaire peut se révéler opportune pour assurer la sécurité financière d’un conjoint subséquent, grâce au revenu généré par le capital, lequel pourra être remis, au décès du conjoint, aux enfants.

Mettez toutes les chances de votre côté

Un testament notarié constitue la meilleure protection contre les mésententes et les contestations. Dressé par un professionnel du droit, il est inscrit dans le registre de la Chambre des notaires du Québec, ce qui en facilite le repérage au décès. Contrairement aux testaments établis sous d’autres formes, il ne requiert aucune vérification par un tribunal. Mais surtout, votre client recevra les conseils judicieux d’un expert !

Certains testateurs voudraient ajouter à leur testament une clause exigeant l’arbitrage ou la médiation en cas de mésentente entre leurs héritiers et leurs liquidateurs. Or, on ne peut pas imposer un tel procédé de règlement des litiges, mais tout au plus le suggérer.

Il peut aussi s’avérer fort judicieux de prévoir une clause de lecture du testament obligatoire chez le notaire, lors du décès. À cette occasion, tous pourront entendre la même chose au même moment et auront l’occasion de poser leurs questions à l’expert. Ainsi cette formalité peut contrer bien des insatisfactions liées à un manque d’information ou encore à une mauvaise perception de la situation.

Certaines études anthropologiques nous enseignent l’importance et la signification réelle du testament dans le processus de deuil. Léguer officiellement quelque chose à quelqu’un est une manière de lui signifier qu’il existait pour nous. C’est en quelque sorte la reconnaissance des liens qui nous unissaient. Sur le plan symbolique, ce geste est très important et peut même parfois faciliter le deuil.

Bref, bien planifier le transfert de son patrimoine au moment du décès représente pour votre client sans aucun doute l’un des plus beaux legs à faire à ses proches, mettant ainsi toute les chances… de leur côté !

Sophie Ducharme, notaire, Pl. Fin., vice-présidente, Fiducie et succession, Trust Banque Nationale.

Sophie Ducharme