Planifier votre relève : êtes-vous prêts? – partie 2

Par Sophie Stival | 20 Décembre 2011 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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Apprendre à ralentir Beaucoup de conseillers souhaitent un jour ou l’autre ralentir. La pratique solo étant de moins en moins valorisée, plusieurs d’entre eux sont aujourd’hui entourés d’adjoints, d’associés. Ceci leur permet d’assurer un service à la hauteur des exigences plus nombreuses de la profession. Une plus grosse équipe peut aussi alléger la tâche du conseiller principal. Mais, là encore, certains dangers peuvent le guetter.

« Certains conseillers, à leur insu, envoient des messages de désengagements à leurs clients », explique M. Lafond. Comment ? En ne les rappelant pas eux-mêmes, en déléguant de plus en plus le service à la clientèle aux adjoints. « Certains se le feront reprocher par les clients. »

Tout est dans l’art du « savoir-faire ». Le conseiller oublie parfois de présenter son équipe aux clients, il ne précise pas les devoirs de chacun, leurs forces. La gestion de personnel est une tâche, faut-il le souligner, qui s’ajoute à une liste déjà importante. En faisant le point, on peut en venir à la conclusion que le mieux serait de vendre sa pratique. Qu’on cède son portefeuille de clients à son enfant, à un associé étranger ou pas, le processus est semblable. Seul le déroulement sera différent. Dans un transfert familial, la démarche sera souvent plus longue et l’approche, plus qualitative.

Céder sa pratique à son enfant Tout parent rêve de céder sa pratique à sa descendance. La réalité est toutefois plus complexe. En premier lieu, on devra mesurer l’intérêt de l’enfant pour la profession. Il faut ensuite s’assurer que les valeurs fondamentales du cédant soient en harmonie avec celui qui acquiert le portefeuille, explique Robert Lafond. Et la qualité la plus importante, c’est bien entendu l’honnêteté. « Ça ne s’acquiert pas, mais ça se mesure. »

Les compétences doivent aussi être évaluées. La jeune génération est parfois ferrée dans les nouvelles technologies ou la vente, mais a certaines faiblesses dans d’autres domaines. « L’idée, c’est de combler les lacunes grâce au réseau, aux collègues, et d’entourer la relève afin qu’elle développe son plein potentiel », explique M. Lafond.

Celui qui achète une pratique n’a pas toujours les moyens financiers de le faire. Dès lors, on tentera d’harmoniser les objectifs du cédant à ceux de l’acquéreur. Les possibilités sont nombreuses. Par exemple, le parent pourra décider s’il souhaite continuer à travailler quelques jours par semaine. L’enfant jugera si ça lui convient aussi. On modélisera la transaction en lui donnant une valeur marchande. Bien sûr, celui qui vend peut toujours trancher en cas de points de vue inconciliables et offrir son portefeuille à un étranger.

Évaluer la pratique L’évaluation quantitative de la pratique est la même pour le conseiller qui cède sa pratique à son enfant que celui qui vend à un associé ou un étranger.

Robert Lafond recommande de choisir au moins trois méthodes de calcul. Généralement, on utilise une méthode basée sur un multiple des flux monétaires générés par le portefeuille en excluant les intérêts et les amortissements (le fameux EBITDA ou bénéfice avant intérêts, impôts et amortissement – BAIIA). Cette valeur nous donne une première idée de la valeur de la pratique.

Ensuite, on évaluera la pratique en fonction d’un taux de rendement exigé par le vendeur sur le capital. On pourra enfin comparer dans le marché ce qu’une telle clientèle vaut. La plupart des institutions financières qui vendent des fonds communs vont offrir le service d’évaluation des pratiques et offrir à l’acheteur de le financer. Ceci dans le but de conserver les fonds avec l’institution, précise M. Lafond.

Il suffit ensuite de faire une moyenne des trois résultats obtenus. Ces évaluations financières seront également pondérées selon des critères qualitatifs. Par exemple, on donnera une plus faible pondération aux clients plus âgés, aux personnes célibataires qui n’ont pas d’héritier par rapport à des clients-entrepreneurs à qui l’on peut offrir des assurances collectives, des régimes de retraite, etc. En gros, on fragmente la clientèle en fonction des revenus, de l’âge, du statut matrimonial, etc. Après avoir établi le juste prix qui convient aux deux parties, on vérifiera si un financement est possible.

La propriété de la clientèle Bien des conseillers se demandent s’ils sont véritablement propriétaires de leur portefeuille, de leur clientèle. Qu’en est-il réellement ? Selon Robert Lafond, la pratique des indépendants leur appartient. « Dans le cas d’actifs placés dans des fonds communs, même si contractuellement parlant le bloc d’affaires n’appartient pas au travailleur autonome, il existe une règle non écrite qui respecte les transferts entre entreprises », dit-il.

Chez une grande firme de courtage comme BMO Nesbitt Burns, la propriété des comptes clients est celle de l’institution financière, rappelle Gérard Taillon, premier vice-président et directeur général, BMO Nesbitt Burns, Québec. Lorsque survient un transfert ou une succession, la firme est toujours impliquée. « Cependant, on reconnaît très bien au conseiller le droit de service exclusif pour ses propres clients », ajoute-t-il.

Lorsqu’il est question de céder une pratique, il ne faut pas oublier que le client passe avant le conseiller et la firme, dit M. Taillon. On évitera le plus possible de faire des transactions qui ne respectent pas la philosophie du conseiller qui part à la retraite ou qui s’en va chez un concurrent.

Grossir l’équipe La relève des conseillers s’insère dans un continuum d’interventions chez BMO Nesbitt Burns. « On se fait un devoir de demander, lors des rencontres annuelles, quels sont les objectifs de la pratique de chacun sur un horizon d’un an, trois ans, cinq ans et 10 ans », précise M. Taillon. Ce faisant, la firme peut déterminer si le conseiller aura besoin d’un adjoint ou d’une aide quelconque pour y parvenir.

La personne qui se joindrait alors à un conseiller d’expérience serait aussi intégrée en pensant qu’elle pourrait un jour reprendre le flambeau ou remplacer le conseiller si quelque chose lui arrivait, explique M. Taillon. La polyvalence de la relève, la synergie entre les pairs sont également prisées. Dans le cas de pratiques solitaires, la firme essaiera d’associer des courtiers qui ont des clientèles semblables pour qu’ils puissent s’entraider et se substituer lors des vacances, par exemple.

Négocier son entente cas par cas Si un conseiller quitte du jour au lendemain BMO Nesbitt Burns, on évaluera la rétention de la clientèle à 50 %, dit d’emblée M. Taillon. On analysera ensuite la qualité de celle-ci et on ajoutera des points. « En général, une pratique majoritairement à honoraires a de bonnes chances de recevoir au moins une fois la valeur de ce qu’elle génère. Ensuite, certains négocieront une prime pouvant aller jusqu’à une fois et demie », explique-t-il.

« Il y a autant de façons de faire et de types de transactions qu’il y a de conseillers », affirme M. Taillon. Le partage décroissant des commissions en est une. Ceux qui adopteront cette option signeront généralement des conventions d’association. Une approche que choisissent souvent les conseillers qui transmettent leur pratique à leur enfant.

Jean-Pierre Gosselin sert ses clients depuis maintenant 40 ans. En 2006, il a tout simplement cédé son portefeuille de clients comme on vendrait sa maison libre d’hypothèques. Le montant qu’il a retiré immédiatement, il le gère aujourd’hui comme il l’entend. Ce dernier croit fermement au pouvoir du conseiller de garder un lien d’affaires avec sa succession, s’il le souhaite. On peut demeurer consultant, offrir ses services de conseiller senior, travailler à temps plein, à temps partiel…

C’est évidemment au vendeur de s’assurer que cette entente est possible. « Plusieurs de mes collègues ne comprennent pas qu’en cédant à un jeune ils récupèrent leur capital, comme s’ils vendaient une tabagie ou un bloc d’appartements. À cela, on peut ajouter un lien commercial », termine M. Gosselin.

Quand on planifie sa relève à l’avance, on fait en sorte que tout se passe bien. Êtes-vous prêts?

Cet article est tiré de l’édition de décembre du magazine Conseiller. Consultez-le en format PDF.

Sophie Stival