Plusieurs autres clients lésés

Par Priscilla Franken | 2 novembre 2016 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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Selon nos informations, au moins trois autres clients ont écrit à l’AMF et/ou BMO Assurance pour se plaindre des agissements de M. Thibault, relativement à des souscriptions conclues entre 2004 et 2008.

À chaque fois, c’est plus ou moins le même scénario qui est dépeint : profusion de signes extérieurs de richesse, explications fausses relatives au fonctionnement de la police, promesses de rendements mirobolants, analyse des besoins bâclée ou inexistante, aucun profil d’investisseur établi, capital assuré beaucoup trop important en regard des besoins réels, stratégie de levier injustifiable, déclarations mensongères quant aux revenus de l’assuré, falsification de données et de signature, incapacité du client à payer ses primes au bout d’un an ou deux, etc.

Cinq plaintes contre un seul représentant relativement à des polices émises par le même assureur, c’est déjà beaucoup. Mais cela ne signifie pas qu’il y a seulement cinq victimes. Conseiller a retracé et pris contact, au total, avec 15 autres anciens clients de M. Thibault qui ont souscrit des polices AIG entre 2002 et 2008, pour des montants variant d’un à 30 millions de dollars.

Parmi ces personnes, six nous ont dit avoir perdu de l’argent à cause de l’ex-représentant; cinq ont refusé de répondre à nos questions; deux ne savent pas si elles ont perdu de l’argent ou non, une dit n’avoir rien perdu parce qu’elle a su « flairer que ce n’était pas clair » et une dernière affirme n’avoir jamais eu de problème avec sa police.

La plupart des personnes qui s’estiment lésées ont préféré ne pas porter plainte, soit parce qu’elles se sentent coupables d’avoir été manipulées, soit parce qu’elles ont peur pour leur réputation, soit parce qu’elles pensent que cela ne les mènera à rien.

« Je lui ai acheté une police puis j’ai attendu qu’elle ait dix ans pour pouvoir m’en débarrasser et arrêter les pertes. Non seulement j’ai perdu de l’argent mais je n’ai plus d’assurance aujourd’hui », nous confie un ancien client.

« J’ai été naïf. Ça m’a pris deux ou trois ans pour réaliser que ça sentait pas bon, explique un autre. Je n’ai jamais porté plainte parce que je ne collecterai pas cinq sous. C’est une perte de temps. Pourtant, sa place est en prison, ça ne fait aucun doute. Notre système n’est pas assez sévère envers ce genre de personnes. »

« Il était très éloquent et séducteur, témoigne un troisième. Il m’invitait souvent au restaurant, il avait de l’argent qui lui sortait des oreilles. Après le crash de 2008, j’ai voulu changer mes placements mais lui n’était pas d’accord, et ça continuait à fondre. J’ai perdu beaucoup d’argent et j’ai été naïf. »

En entrevue avec Conseiller, M. Thibault dit ne pas avoir eu vent d’autres plaintes. « Je ne suis aucunement au courant. Je ne suis plus dans le domaine des assurances et je ne sais pas ce qui est arrivé avec les contrats que j’avais conclus. Si trois clients sur 150 ne sont pas contents… vous savez, les gens veulent des choses extraordinaires. Quand c’est extraordinaire, ça va très bien. Quand ce n’est plus extraordinaire, c’est de la faute d’un autre », explique-t-il.

CONDAMNÉ POUR DES FAITS SIMILAIRES CINQ ANS PLUS TÔT

Autre fait troublant, avant les plaintes de MM. Duval et Girouard, M. Thibault avait déjà écopé d’une première condamnation… pour des faits similaires à ceux que les deux plaignants détaillent : le 18 décembre 2003, le comité de discipline de la CSF le reconnaissait coupable d’avoir donné des explications fausses ou erronées à deux clients au sujet de la souscription, en 1998, de polices d’assurance vie universelles de 11 et 9 millions de dollars.

Ces deux personnes, Marie et Pierre Audet, ont pratiquement tout perdu de l’héritage de quelque 3 millions de dollars légué par leur mère et dont la gestion avait été confiée à M. Thibault, lequel a déclaré au comité de discipline que ses revenus en qualité de représentant s’élevaient à… 4 millions par année.

Le comité, qui décrit M. Thibault comme « un homme sûr de lui et ayant le verbe haut », souligne que le conseiller a privilégié ses intérêts personnels avant ceux de sa cliente (Marie Audet) et parle même de « malhonnêteté ».

« La seule personne qui retire des avantages pécuniaires de cette aventure, c’est l’intimé », peut-on encore lire dans la décision.

La sanction tombera en 2004 : un an de radiation et 18 000 $ d’amendes. Le comité fera alors la mise en garde suivante : « l’intimé n’a pas compris le message que nous lui transmettions dans notre décision de culpabilité. Le danger de récidive est donc manifeste ».

En août 2000, l’agent général Courvie-Dubeau salue les performances de Jacques-André Thibault.

SIX ANS D’ATTENTE POUR STOPPER LA MACHINE

La suite des choses montrera que le comité de discipline avait grandement raison. Mais MM. Duval et Girouard devront attendre six longues années avant que Jacques-André Thibault soit reconnu coupable de nombreuses graves infractions (spéculation sur la vie de M. Duval, exercice illégal de la profession de courtier, renseignements faux et inexacts fournis à AIG, intérêt de ses clients subordonné à son intérêt personnel, analyse des besoins non conforme) par le comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière (CSF) et radié 11 ans en 2014, alors qu’il est âgé de 67 ans.

Malheureusement, les plaignants se sont fait dire par l’AMF qu’ils ne pouvaient se prévaloir du Fonds d’indemnisation des services financiers.

Jacques Duval réussira à pousser AIG à annuler la seconde police qu’il avait achetée, mais il dit avoir perdu entre 1,2 et 1,4 million de dollars dans l’histoire, soit environ 400 000 $ dans les deux polices qu’il a successivement achetées et plus de 800 000 $ dans des placements à très haut risque que M. Thibault lui avait recommandés, ainsi que dans l’emprunt qu’il a contracté à BMO pour payer ses primes.

Quant à M. Girouard, il évalue ses pertes à près de 1 500 000 $ : 208 000 $ dans la police d’assurance AIG et 1 265 000 $ dans le cadre de plusieurs investissements successifs dans l’entreprise fantôme PhasoPTX, pour laquelle M. Thibault servait illégalement d’intermédiaire représentant.

La troisième victime nous a déclaré pour sa part avoir perdu 75 000 $ dans l’achat d’actions PhasoPTX, dont 50 000 $ par l’entremise de M. Thibault.

DES VICTIMES LIVRÉES À ELLES-MÊMES

Mais combien d’autres clients ont été lésés par M. Thibault au total? Combien de centaines de milliers de dollars ont-ils perdu? Et qui devrait les indemniser?

Près de trois ans après la radiation de M. Thibault par le comité de discipline de la Chambre, ces questions demeurent sans réponse et les victimes, toujours livrées à elles-mêmes.

Dépression, problèmes de santé, carrière professionnelle ébranlée, vie privée bouleversée sinon détruite… pour ces personnes, les conséquences du rouleau-compresseur Thibault ne se mesurent pas qu’au plan pécuniaire.

« Thibault m’a trouvé amusant quand je lui ai dit que j’allais porter plainte contre lui. Il m’a répondu ‘’Tu peux le faire, j’aurai une petite tape sur les doigts’’ », se souvient M. Girouard en entrevue avec Conseiller.

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Notre dossier sur l’affaire Thibault :

  • BMO Assurance protégeait-elle un top producer véreux?
  • Plusieurs autres clients lésés
  • 30 ans de bons sévices
  • « C’est pire que Norbourg! »
  • Pour AIG, « seules les commissions comptaient »
  • L’AMF a-t-elle trop tardé à agir?
  • Des crimes qui n’intéressent personne?
  • Un goût prononcé pour les gros chiffres

Priscilla Franken