Point de vue – Difficile à avaler!

Par Yves Bonneau | 28 septembre 2016 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
5 minutes de lecture

• Ce texte est paru dans l’édition de décembre 2004 de Conseiller. Il est aussi disponible en format PDF. Vous pouvez également consulter l’ensemble du numéro sur notre site Web.


Depuis le mois dernier, la poussière est retombée un peu sur les considérations éthiques des commissions, cadeaux et autres rémunérations non divulguées aux clients par les sociétés financières,nommément celles qui oeuvrent dans le secteur des assurances.

Ceux qui lisent nos bulletins électroniques Conseiller.ca ont pu prendre connaissance des derniers développements en la matière. Quelques compagnies d’assurances ont décidé de couper sans délai toutes formes d’incitatifs à la vente qui pourraient les faire mal paraître, c’est-à- dire les commissions, qui demeuraient plutôt confidentielles étant donné qu’on avait délégué l’odieux de la divulgation au conseiller lui-même.

En effet, quel conseiller a envie de dire à son client que le produit (sans égard à sa qualité) de la Cie d’Assurance Toute-Puissante qu’il vient de lui vendre lui permettra d’assister à une «activité de formation» d’une semaine dans les Caraïbes? Son voisin, et concurrent immédiat, n’en dira pas davantage… Qui sera le premier?

Et pourquoi une initiative de la société pour augmenter la productivité dans le réseau de distribution devraitelle être annoncée par le messager au risque de se faire traiter de profiteur, de vendeur de pacotille, de conseiller sans conscience, etc.? On a bien vu comment les médias généralistes se sont ré-ga-lés de l’affaire depuis!

Heureusement, et par une curieuse ironie de l’actualité, les médias généralistes ont eu d’autres chats à fouetter et ont quelque peu délaissé les conseillers pour nos amis… les pharmaciens (tout aussi véreux vendeurs et distributeurs de pilules à la solde des multinationales pharmaceutiques), qui devraient, eux aussi, conseiller (tiens, tiens) leurs clients, plutôt que se faire donner des cadeaux, des ristournes et faire la grosse vie. Là encore, les quotidiens n’ont pas fait dans la dentelle… mais là aussi l’industrie a un sérieux besoin de s’autoréglementer.

De ce côté-ci, ils sont nombreux les conseillers, et en particulier les conseillers en sécurité financière, à me dire que les grandes institutions financières, de plus en plus des mégasociétés avec la consolidation qui court toujours, n’ont plus de respect pour les individus qui forment leurs équipes de vente sur le terrain.

Taux des commissions à la baisse, diminution d’espace et de services de bureau, rationalisation des effectifs en fonction de standards de plus en plus élevés, surveillance accrue des ventes de produits maison avec niveaux planchers, changements fréquents et inexpliqués de procédures, de formulaires, de règles d’admissibilité, de produits pour les clients, etc. Nombreuses sont les adversités avec lesquelles le conseiller doit composer très souvent à la dernière minute…

Un conseiller que je connais personnellement me confiait récemment ceci : «Dans les années 80-90, ma compagnie nous disait que les polices d’assurance vie universelle étaient la panacée, le produit miracle! On n’aurait jamais besoin d’autre chose… On est partis, forts de la documentation et des arguments béton que la compagnie nous avait fournis, et on en a vendu, des VU. Pour ça, on a fait notre travail de vente… Aujourd’hui, avec les taux d’intérêt que l’on connaît, et les résultats très mitigés que ces produits ont donné à certains clients, on a un peu honte d’en avoir vendu autant, et surtout à ceux qui n’en avaient pas les moyens. On se rendait bien compte que ça ne valait jamais une bonne vieille police permanente avec valeur de rachat garantie, mais on ne nous écoute jamais en amont… Là, c’est nous qui sommes pris avec la relation client. Ce sont les conseillers qui doivent se mettre chaque jour la tête sur le billot…»

On sent bien la déception ici. Et la déception est encore plus grande en ce moment quand on regarde ce que le manque de transparence des institutions financières a eu comme effet sur le moral des troupes. Certains, à peine cyniques, avancent que les plus récentes coupures annoncées par les compagnies d’assurances se feront encore sur le dos des conseillers en rognant sur leurs commissions. Le calcul est simple : si les cadeaux et autres incitatifs à la vente n’existent plus, il y aura nécessairement un manque à gagner pour les conseillers. Où s’en iront ces millions? demandent-ils.

On pourrait même ajouter : et pour la fixation des primes à venir, les analyses actuarielles tiendront-elles compte des pertes sur les baisses possibles des ventes dues aux médisances sur l’industrie et sur les conseillers? Au bout du compte, le client va devoir payer, et ce sera encore au conseiller à lui faire avaler la pilule. Pour paraphraser encore Me Stromberg, profit et autoréglementation ne semblent jamais faire bon ménage…


Yves Bonneau, rédacteur en chef yves.bonneau@objectifconseiller.rogers.com


• Ce texte est paru dans l’édition de décembre 2004 de Conseiller. Il est aussi disponible en format PDF. Vous pouvez également consulter l’ensemble du numéro sur notre site Web.

Yves Bonneau