Pour garder leurs clients, les assureurs devront s’adapter

Par La rédaction | 20 septembre 2017 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Quelles sont les trois principales tendances qui affecteront le secteur des assurances au cours des prochaines années? Dans une entrevue accordée à Conseiller, la présidente de l’Association canadienne des compagnies d’assurance de personnes (ACCAP) au Québec offre des éléments de réponse.

Virage numérique, pression réglementaire de plus en plus forte, nouvelles exigences des consommateurs… Comme le soulignait un récent rapport de la firme EY, l’industrie de l’assurance connaît un profond bouleversement et sa mutation est loin d’être achevée, si l’on en croit Lyne Duhaime.

Le premier événement qui sera « déterminant » à moyen et à long terme, selon la patronne de l’ACCAP-Québec, est l’actualisation de la Loi sur les assurances et de la Loi sur la distribution des produits et services financiers (LDPSF). Les deux autres seront, respectivement, la refonte du mode de distribution en vigueur dans le monde de l’assurance et la lutte contre la hausse perpétuelle du coût des médicaments.

« IL FAUT ABSOLUMENT ASSOUPLIR LA LDPSF »

Après des années d’attente, la loi devrait être révisée à l’automne, explique Lyne Duhaime. « Un certain nombre de choses nous préoccupent, mais, au niveau des enjeux pour l’industrie, la façon dont nous allons revoir et adapter notre modèle de distribution pour répondre aux attentes des consommateurs importe le plus.» D’autant, ajoute-elle, que celles-ci ont beaucoup évolué ces dernières années, notamment en raison des problèmes liés à la vente par Internet. » Ce « défi majeur », largement dû à la révolution numérique, est commun selon elle à l’ensemble du monde des services financiers.

Selon Lyne Duhaime, la question est de savoir « comment satisfaire la demande des clients tout en veillant à bien les protéger et à bien les conseiller », et ce, afin qu’ils « aient le bon produit et la bonne personne en face d’eux à n’importe quel moment de leur vie. »

Pour ce faire, les assureurs devront « prendre le temps de s’adapter » pour ne pas « manquer le bateau. » Si le consommateur, qui a des attentes en matière d’offre de produits et services, ne voit rien venir, « il risque de se détourner », conclut-elle. La planète assurance essuie-t-elle un certain retard dans ce domaine, si l’on compare au secteur bancaire? « Nous travaillons dans le domaine de l’assurance, donc nous sommes par nature prudents. Bien sûr, nous ne devons pas avancer trop lentement, mais en même temps nous voulons faire les choses correctement, nuance-t-elle. Il ne s’agit pas, du jour au lendemain, de dire que tout est accessible sur Internet sans l’intervention d’un professionnel. Je ne pense pas que ce soit la solution. »

L’ACCAP souhaite que la nouvelle mouture de la LPDSF et de la Loi sur les assurances offre à l’industrie « un cadre législatif et réglementaire souple » qui l’aide à « évoluer » et à « innover ». L’Association s’attend à ce que la future loi mette en place un environnement qui permette aux assureurs « d’offrir leurs produits par Internet et de tirer parti de l’évolution des technologies » (FinTech, InsurTech, robots-conseillers, etc.), mais aussi de créer « un cadre législatif pour la distribution sans représentant dans la Loi sur les assurances » et d’interdire le « rachat de polices d’assurance vie par des tiers à des fins spéculatives ». De façon plus générale, l’Association s’attend à ce que celle-ci prévoie « un délai de transition suffisant pour l’entrée en vigueur des nouvelles dispositions » ainsi qu’« une approche basée sur les principes plutôt qu’imposée par des règles ».

« SOUTENIR L’ÉVOLUTION DU MODE DE DISTRIBUTION »

Un autre grand enjeu auquel le monde de l’assurance devra faire face, à l’instar de l’industrie des valeurs mobilières, est la « tendance internationale à aller vers une plus grande transparence », tant envers les consommateurs qu’en matière de gestion des conflits d’intérêts. L’Autorité des marchés financiers (AMF) se penche en ce moment sur la gestion des incitatifs, tandis que dans le domaine des valeurs mobilières une consultation a lieu sur les commissions intégrées, précise-t-elle. « On constate donc un effort vers davantage de transparence afin que le consommateur dispose de plus d’informations sur ses relevés, particulièrement en ce qui concerne la rémunération des intermédiaires.»

Selon elle, il s’agit d’« une tendance lourde » qui va se poursuivre. « Tant les régulateurs que l’industrie veulent que les choses progressent pour que les clients aient accès à la meilleure information possible », affirme Me Duhaime. L’objectif, selon elle, est « de bien faire les choses », protéger les consommateurs, et s’assurer que les mesures prises soient soutenables pour les assureurs et les intermédiaires. En effet, insiste la dirigeante, « le fait d’être inondé d’informations revient parfois à ne pas en avoir du tout » et, par conséquent, ce sera à l’industrie de travailler avec les régulateurs afin de parvenir à « un bon équilibre ».

L’ACCAP fait « beaucoup d’efforts » pour que la profession s’autoréglemente et se dote « des meilleures pratiques possibles » en matière de transparence et de gestion des conflits d’intérêts, affirme Lyne Duhaime. « Nous n’agissons pas simplement en réaction à la pression des autorités de régulation, nous le faisons aussi parce que nous estimons qu’il s’agit d’un pas dans la bonne direction et que c’est ce que les clients souhaitent. » Même si le dialogue avec les régulateurs est très important, ajoute-t-elle, leur vision respective diffèrent parfois, notamment en ce qui concerne le rythme auquel les changements doivent être effectués, « puisqu’ils suggèrent souvent qu’on aille plus vite que ce que nous préconisons ». Leur nouveau défi, dit-elle, va être de « faire face à cette nouvelle tendance irréversible qui vise à une plus grande transparence, à atténuer les conflits d’intérêts et à mieux répondre aux attentes des clients tout en tenant compte de la réalité des assureurs et de leurs réseaux de distribution. »

« LE COÛT DES MÉDICAMENTS REPRÉSENTE UN GRAND DÉFI »

Le prix des médicaments est quant à lui un problème bien spécifique à l’industrie de l’assurance de personnes, explique Lyne Duhaime. « Ils représentent une part très importante des produits que nous offrons, en particulier dans l’assurance collective. Or il devient de plus en plus difficile de contenir le coût des primes dans ce secteur en raison de l’augmentation importante de leur coût », déplore-t-elle. Elle précise par ailleurs que dans un programme d’assurance collective, ce poste représente quelque 50 % de la valeur des primes, ce qui rend ce produit chaque année plus onéreux.

La présidente de l’ACCAP assure « travailler beaucoup » pour tenter d’enrayer le problème. Et ce, tant au niveau canadien que québécois. « Si on ne parvient pas à contrôler le coût des médicaments, cela risque, ultimement, de mettre en danger la pérennité des régimes d’assurance collective », prévient-elle. Si l’origine de ce phénomène est « multifactorielle », précise Me Duhaime, les deux principales raisons sont la consommation de plus en plus élevée de médicaments par la population depuis environ 20 ans, et les prix de plus en plus élevés pratiqués par les compagnies pharmaceutiques.

Certaines molécules sur le marché peuvent ainsi coûter « jusqu’à un million de dollars par an, ce qu’on ne voyait pas auparavant », souligne Lyne Duhaime. D’après l’ACCAP, leur coût grimpe beaucoup plus vite que le revenu des assurés. Les médicaments à plus de 100 000 dollars sont également plus courants. Cette hausse des prix, liée en grande partie selon elle aux avancées de la science et de la médecine, notamment en ce qui concerne les traitements contre le cancer, se conjugue à une explosion des coûts de soins de santé en général. « Il faudra absolument contenir le coût de la facture, parce que sinon, à un moment donné, les primes d’assurance collective deviendront trop élevées », prévient-elle.

Sa conclusion? « Nous vivons actuellement une période très intéressante pour notre industrie. Les choses vont vite, le monde change tout autour de nous et je ne crois pas que nous allons nous ennuyer au cours des prochaines années! »

Lyne Duhaime en bref

Avocate de formation et membre du Barreau du Québec depuis 1992, Lyne Duhaime a été nommée à la tête de la division québécoise de l’ACCAP en novembre 2015. Auparavant, elle avait été associée au sein du cabinet d’avocats Fasken Martineau DuMoulin de 2005 à 2012 avant de rejoindre la firme Morneau Shepell.

« C’est une spécialiste des régimes de retraite et des avantages sociaux qui maîtrise les enjeux particuliers de l’industrie des assurances de personnes au Québec. Elle a fait la preuve tout au long de sa carrière de sa capacité à soutenir les dossiers qui lui sont confiés », indiquait Denis Berthiaume, chef de la direction financière de Desjardins Sécurité financière et président du conseil de l’ACCAP-Québec, dans un communiqué publié à l’occasion de sa nomination.

Lyne Duhaime a également siégé au conseil d’administration de la Régie des rentes du Québec de 2010 à 2015 et a notamment présidé son comité de la politique de placement, responsable d’un portefeuille de 55 milliards de dollars auprès de la Caisse de dépôt et placement. Enfin, elle a présidé la section du droit des régimes de retraite et des avantages sociaux de l’Association du Barreau canadien.

La rédaction