Pourquoi un bilan prénuptial peut être gagnant

Par Caroline Ethier | 27 octobre 2020 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
5 minutes de lecture
Photo : Bartolomiej Pietrzyk / 123RF

Votre client sale son café et a des étoiles dans les yeux. Il vous annonce qu’il se marie avec sa nouvelle conjointe, l’amour de sa vie. Il est temps de lui parler du bilan prénuptial.

D’abord, rappelons ce qu’est le bilan prénuptial. Comme son nom l’indique, il s’agit d’un bilan qui reflète les avoirs et les dettes à une date qui précède de peu le mariage. Il permet de connaître les biens et les dettes au moment du mariage, d’en connaître la valeur, de savoir qui est propriétaire de quoi. Il permet aussi d’annexer les documents pertinents et de prendre des notes, certainement l’un des aspects les plus importants de l’exercice.

« Après 20 ans de mariage, ce sont des détails dont les gens ne se souviennent plus vraiment, pointe Serge Lessard, avocat et planificateur financier, au congrès de l’Institut québécois de planification financière (IQPF) tenu en septembre. C’est important d’en avoir une trace à quelque part ».

QUI FAIT LES BILANS PRÉNUPTIAUX?

Serge Lessard l’avoue, les bilans prénuptiaux ne sont pas légion. « Il ne s’en fait pas tant que ça. Et ce n’est pas parce que les gens n’en font pas qu’ils ne sont pas essentiels. Au contraire », insiste-t-il.

Parmi les professionnels aptes à effectuer des bilans prénuptiaux se trouvent les notaires qui les annexent au contrat de mariage. Mais leur implication s’arrête souvent là, puisque les clients remplissent eux-mêmes ces bilans, précise l’avocat. Est-ce la meilleure façon de faire? « J’en doute, dit-il, parce que les clients, en général, n’ont pas les connaissances juridiques qu’il faut pour être capable de remplir un bilan de la bonne façon ».

Les comptables en font aussi parfois. Bien qu’il ne doute pas de l’exactitude des chiffres et des valeurs que contiennent leurs bilans, Serge Lessard se demande si certains aspects non monétaires sont pris en compte. « Est-ce qu’ils connaissent bien les produits de placement? Comprennent-ils bien les régimes de retraite? Je me suis rendu compte qu’au fond, peu importe le professionnel, faire un très bon bilan dépend de chaque individu, de ses connaissances personnelles additionnelles. »

LES PL. FIN. MIEUX PLACÉS

Si les notaires et les comptables sont aptes à faire des bilans prénuptiaux, les planificateurs financiers sont en bien meilleure posture pour poser un tel geste puisqu’ils comprennent bien les produits, les valeurs financières et les éléments juridiques qui y sont liés, fait valoir l’avocat.

Serge Lessard suggère d’ailleurs aux planificateurs financiers d’aborder directement la question. « Je pense que votre travail est nécessaire et pourrait être très en demande », ajoute-t-il.

LES RAISONS DE NE PAS LE FAIRE

Malgré les avantages qu’il présente, beaucoup d’objections se dressent au moment de procéder au bilan prénuptial. Le principal étant que « ça met de la chicane dans le couple », illustre Serge Lessard. « C’est vrai, ça peut arriver, mais plus on en parle, plus on en fait. Il faut le présenter à nos clients », insiste l’avocat.

« J’irais jusqu’à dire que les planificateurs financiers ont un rôle à jouer parce qu’ils sont en dehors du couple, leur position de tierce personne est super importante pour que les conjoints abordent des sujets qu’ils trouveraient difficile », estime pour sa part Hélène Belleau, sociologue, professeure et coauteure de L’amour et l’argent – guide de survie en 60 questions.

DES CRAINTES À EN PARLER AU CLIENT

Mais aussi surprenant que cela puisse paraître, « les conseillers eux-mêmes hésitent à proposer le bilan prénuptial à leurs clients, intervient Martin Dupras, actuaire et planificateur financier. Par crainte, peut-être, de se mettre le client à dos et de créer un conflit [dans le couple] ».

Mais quelle serait la conséquence de ne pas le faire et que dix ans plus tard il y ait séparation ou divorce? « Les personnes en charge du dossier du divorce pourront demander ‘’avez-vous fait ça?‘’ et le client répondra ‘’non, mon planificateur financier ne m’en a pas parlé‘’, explique Martin Dupras. « Le risque du statu quo est bien pire », avertit le Pl. Fin.

Les dangers d’un bilan prénuptial non assisté

Votre client peut se charger lui-même de remplir son bilan prénuptial, sans l’aide d’un professionnel. Mais le risque qu’il omette plusieurs informations est grand, notamment la présence d’assurance vie, de placements non enregistrés, de fonds communs de placement, d’un testament holographe, l’évaluation municipale de la propriété, les comptes payables de cartes de crédit, pour ne nommer que celles-ci. Bref, des éléments qui trouvent leur place dans l’histoire matrimoniale du couple lorsque survient un divorce.

COMMENT PROPOSER LE BILAN PRÉNUPTIAL

Personne ne veut entendre parler de divorce à l’approche d’un mariage. Les clients remettent souvent cette réflexion à plus tard, « mais vous êtes là pour leur rappeler de le faire », insiste Serge Lessard.

Une solution pourrait consister à offrir au couple de mettre à jour son dossier. Évidemment, cette mise à jour sera très détaillée puisqu’elle ressemblera beaucoup à un bilan prénuptial.

« Vous pourriez dire à vos clients : ‘’Vous allez vous marier, vous avez des projets, peut-être des enfants, une maison, un chalet. Si on met à jour votre dossier, on va regarder où vous en êtes aujourd’hui et dans cinq ans on va voir ce que ça va donner au niveau de ces objectifs‘’. Voilà quelque chose qui peut être fait sans rappeler que l’exercice pourrait s’avérer utile en cas de divorce », propose Serge Lessard.

Puisqu’un mariage sur deux au Québec se termine par un divorce, le bilan prénuptial s’avère pratiquement une nécessité. Comme disait le sculpteur roumain Constantin Brancusi : « Les choses ne sont pas difficiles à faire, ce qui est difficile c’est de nous mettre en état de les faire ».

Caroline Ethier