Problème en vue pour la taxe anti-flip?

Par Rudy Mezzetta | 16 mai 2022 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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La nouvelle taxe anti-flip proposée par Ottawa représente un changement important dans la fiscalité immobilière, en apportant à l’Agence du revenu du Canada (ARC) des précisions sur le moment où les bénéfices réalisés lors de la vente d’une maison sont soumis à la pleine imposition et en limitant l’accès à l’exemption pour résidence principale.

En vertu de la règle proposée dans le budget fédéral de 2022, un particulier qui vend une résidence dans les 12 mois suivant son acquisition sera réputé l’avoir « flippé », à moins qu’il ne soit admissible à une exemption en raison d’un « événement de la vie ». Tout profit tiré de la vente de biens immobiliers résidentiels (y compris les biens locatifs) dans un délai d’un an serait imposé comme un revenu d’entreprise et ne serait pas admissible au taux de 50 % sur les gains en capital ou à l’exemption pour résidence principale.

Selon les règles actuelles, si l’ARC pense que vous faites de la revente de maisons, elle doit faire valoir que telle était votre intention, explique MaryAnne Loney, associée chez McLennan Ross à Edmonton. En vertu de la règle proposée, « si vous l’avez acquis depuis moins d’un an et que vous ne tombez pas dans l’une de ces exceptions – c’est tout, vous avez un revenu d’entreprise, il n’y a pas d’autre débat. »

Armando Minicucci, associé en fiscalité chez Grant Thornton à Toronto, estime que la règle proposée, avec son seuil de temps défini, donne à l’ARC une « clarté » pour considérer les bénéfices d’une vente comme un revenu d’entreprise.

Les experts fiscaux suggèrent toutefois que la taxe anti-flip n’atteindra probablement pas l’objectif déclaré du gouvernement de freiner la spéculation. Les contribuables contourneront la nouvelle règle, soit en retardant la vente d’une maison au-delà d’un an, soit en essayant de se qualifier au titre d’une ou plusieurs des huit exemptions pour événement de la vie.

« Il y a tellement d’exemptions qu’il est difficile de voir comment cela va s’appliquer sans toucher un trop grand nombre de personnes », explique Mike Moffatt, professeur adjoint à la Ivey Business School de l’Université Western à London, en Ontario.

« Je pense que vous allez vous retrouver avec un grand nombre de personnes qui vendent à 13 mois et qui, autrement, auraient pu vendre plus tôt », renchérit MaryAnne Loney.

Selon la règle proposée, les événements de la vie qui donnent droit à des exemptions comprennent les biens vendus en cas de décès, d’invalidité, de naissance d’un enfant, de nouvel emploi, de divorce, d’insolvabilité, de sécurité personnelle ou de catastrophe naturelle. Le gouvernement a indiqué que les détails concernant les exemptions seraient exposés dans des règles à venir et qu’il tiendrait une consultation.

Le gouvernement pourrait toujours imposer le bénéfice de la vente d’une maison comme un revenu d’entreprise si la propriété est vendue après un an ou si le propriétaire est admissible à une exemption. Cela peut être un lourd fardeau et prendre beaucoup de temps, déplore MaryAnne Loney.

Dans le budget, le gouvernement libéral a fait valoir que « la revente d’une propriété, c’est-à-dire l’achat d’une maison et sa revente à un prix beaucoup plus élevé que celui payé peu de temps auparavant, peut injustement entraîner une hausse des prix des logements ». La taxe anti-flip proposée « garantirait que les profits tirés du flip de propriétés soient imposés pleinement et équitablement ». La règle proposée prendrait effet le 1er janvier 2023.

Dans un courriel adressé à Investment Executive, un porte-parole de l’Association canadienne de l’immeuble affirme que celle-ci cherchait à obtenir davantage d’informations sur la taxe anti-flip et ses implications, mais n’a pas précisé si l’association soutenait la mesure proposée.

Mike Moffatt estime que les exemptions pourraient compliquer l’administration de la règle par l’ARC. « Chaque fois que l’on établit des règles subjectives qui obligent l’ARC à prendre une décision, [l’agence] peut s’attirer des ennuis. »

L’ARC pourrait adopter une approche indulgente, suggère-t-il, et « passer en revue une série de cas limites », compromettant ainsi l’efficacité de la règle proposée, ou adopter une approche plus stricte et risquer de refuser une exemption « qu’elle devrait autoriser – et vous savez que cela fera la une des journaux ».

La taxe anti-flip proposée par le gouvernement s’inscrit dans le cadre des mesures prises ces dernières années pour faire respecter les règles d’admissibilité régissant l’exemption pour résidence principale. À partir de 2016, par exemple, le gouvernement a commencé à exiger que les contribuables qui demandent cette exemption déclarent les détails de la vente dans leur déclaration de revenus annuelle. Auparavant, si une propriété était la résidence principale d’un contribuable pour chaque année où il en était propriétaire, il n’avait pas à déclarer la vente dans sa déclaration de revenus pour demander l’exemption pour résidence principale.

« L’ARC n’avait aucune idée de ce qui se passait sur le marché » avant le changement de déclaration, rapporte Armando Minicucci.

Au cours des derniers mois, le gouvernement a envoyé des lettres d’information aux personnes qui avaient appliqué à l’exemption pour résidence principale par erreur, leur donnant la possibilité de corriger ou de modifier leur déclaration.

Cette exemption est une mesure coûteuse pour le gouvernement en termes de manque à gagner, remarque Dino Infanti, associé et chef national, impôt des sociétés, chez KPMG Canada à Vancouver. Compte tenu des gains importants réalisés sur le marché de l’habitation au cours des dernières années, le gouvernement tente de s’assurer que les personnes qui demandent l’exemption y sont effectivement admissibles.

Armando Minicucci estime que l’ARC peut avoir une certaine justification pour la nouvelle taxe anti-flip, « même si je déteste l’admettre. En la limitant à 12 mois, vous limitez [l’application de la règle] aux personnes qui sont manifestement sur le marché pour revendre des propriétés. »

Néanmoins, la règle pourrait nuire aux personnes qui vendent des maisons, mais ne s’engagent pas dans le flip, ajoute l’expert. Il cite l’exemple d’un client qui a vendu un chalet en 2021 moins d’un an après l’avoir acheté, après avoir réalisé que « la vie de chalet ne leur convenait pas ». Avec la récente flambée des prix, le client vend la propriété à un prix nettement supérieur à celui qu’il a payé, ce qui entraîne un gain en capital. En vertu de la nouvelle règle proposée, étant donné que le client a vendu dans l’année, le bénéfice de la vente sera entièrement imposable en tant que revenu d’entreprise.

Mike Moffatt reste sceptique quant à l’efficacité de la règle proposée, affirmant que la plupart des spéculations portent sur des propriétés secondaires, et non sur des résidences principales, et que le seuil de 12 mois pourrait ne pas dissuader les flippers. Il suggère toutefois au gouvernement d’élargir la portée de la règle à l’avenir.

« Je me demande s’il ne s’agit pas d’une solution de facilité, pointe-t-il. Vous commencez avec un système qui ne s’appliquerait à presque personne et puis, au fil du temps, vous commencez à éliminer certaines des exemptions, à étendre la période de 12 mois à 24 mois puis à 36 [mois], et ainsi de suite. Je pense que c’est une possibilité réelle ici. »

Armando Minicucci convient que le gouvernement pourrait ajuster la règle proposée si elle n’est pas efficace. Cependant, il pense que la hausse des taux d’intérêt pourrait freiner la spéculation avant même que la règle proposée n’entre en vigueur.

« L’objectif principal était d’essayer de calmer le marché en ce qui concerne les augmentations constantes de la valeur des maisons, explique l’expert, fin avril. Depuis les dernières semaines, cela s’est probablement produit de toute façon. »