Quand la foudre frappe

Par Steven Lamb | 25 janvier 2017 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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• Ce texte est paru dans l’édition de mi-février 2006 de Conseiller. Il est aussi disponible en format PDF. Vous pouvez également consulter l’ensemble du numéro sur notre site Web.


Même si vous êtes des pros de la vérification préalable, les catastrophes peuvent quand même survenir. Êtes-vous prêts à faire face à la musique?

LES CATASTROPHES sont malheureusement inévitables, et lorsqu’elles surviennent, certains conseillers se retrouvent le bec à l’eau. Il suffit de penser à Portus ou à Norbourg. Peu importe votre niveau de planification, la possibilité qu’un mauvais produit passe inaperçu est bien réelle. De tels produits sont capables de semer le chaos dans les portefeuilles de vos clients et d’envenimer vos relations avec eux. À la lumière des récents événements, il est clair que la façon dont vous réagissez en cas de désastre est presque aussi importante que d’éviter le désastre en question.

Rappelons-nous le cas de Portus Asset Management, société qui possédait un actif totalisant 700 millions de dollars avant que les autorités réglementaires interviennent et que la clé soit mise dans la porte. Bien qu’un des administrateurs de Portus ait réussi à se soustraire aux accusations qui pesaient contre lui en vertu de la législation ontarienne (accusations qui n’ont jamais vraiment été rendues publiques), les autorités réglementaires promirent de mettre la main au collet et de traduire en justice les «vrais coupables», en l’occurrence les conseillers qui avaient vendu ce produit.

Ces conseillers se sont alors retrouvés dans l’eau chaude et leurs pratiques en matière de vérification préalable ont été remises en question. «Comment pouviez-vous être sûrs que le produit correspondait aux besoins de vos clients si vous n’en compreniez pas le fonctionnement? » ont questionné les autorités officielles.

Les placements alternatifs, souvent plus complexes que les autres, peuvent s’avérer problématiques pour certains conseillers. Et bien qu’ils en comprennent les principes, ils ont parfois de la difficulté à les expliquer à leurs clients.

Plusieurs s’en remettent à leur siège social pour vérifier les produits, et attendent que leur soit soumise une liste de titres de placement approuvés. Certains ont évité le scandale Portus en raison de cette pratique. D’autres y furent toutefois mêlés bien malgré eux.

Fred Smith, conseiller en placement de Raymond James à Saskatoon, a la chance de pouvoir compter sur un service de recherche approfondie qui se charge de lui fournir une liste de titres de placement approuvés. Ainsi, il peut se consacrer à l’identification du ou des titres de placement qui correspondent le mieux aux besoins de ses clients.

«Il convient d’abord et avant tout de bien connaître vos clients, de leur poser des questions, souligne M. Smith. Nous établissons ensuite la répartition d’actifs souhaitée, puis nous respectons cette répartition en tout temps, que le marché soit à la hausse ou à la baisse.» Il reconnaît que les faits et gestes des conseillers sont plus que jamais scrutés à la loupe. Toutefois, il avoue que la plupart d’entre eux n’ont ni le temps ni les ressources pour vérifier chacun des produits financiers mis à leur disposition.

«Les conseillers doivent réaliser que les choses ont bien changé et que les attentes envers eux en matière de responsabilité sont encore plus élevées qu’auparavant, avance-t-il. Pour vous protéger, vous devrez faire plus souvent appel à votre distributeur que par le passé.»

PROTÉGER SES ARRIÈRES

Certains conseillers considèrent qu’il est restrictif de gérer une liste de titres approuvés. Cependant, ceux qui s’y limitent protègent leurs arrières en remettant une partie de la responsabilité entre les mains de leurs supérieurs hiérarchiques, ce qui leur permet d’être mieux équipés pour se défendre.

Au cours des années 1990, souligne M. Smith, la plupart des conseillers faisaient peu appel à leur distributeur, l’implication de ce dernier se limitant généralement à des fonctions administratives. «Après dix ans, une dégringolade des marchés boursiers et la mise en place d’un nouveau cadre réglementaire, les choses ont bien changé, remarque-t-il. Au lieu d’approcher leur distributeur pour obtenir les meilleurs rendements possibles, je crois que les conseillers devraient plutôt y voir une façon d’être mieux protégés.»

«Notre responsabilité est de nous assurer que les produits correspondent aux besoins de nos clients», ajoute James Pelmore, conseiller en placement de la société Dundee Securities à Vancouver. Il n’a recommandé à aucun de ses clients de se tourner vers Portus. «La société s’est assurée de ne pas faire affaire avec des escrocs, des criminels, des voleurs et des personnes dont l’historique est douteux ou entaché de problèmes.»

En plus, M. Pelmore fait sa propre enquête avant d’ajouter quoi que ce soit aux portefeuilles de ses clients. Il requiert un historique d’au moins trois à cinq ans avant de considérer offrir un produit. Si le produit est disponible depuis suffisamment longtemps, il effectue une analyse informatique afin de s’assurer que les préceptes de discipline et de stratégie énoncés lors de son lancement ont été respectés. S’il n’a été lancé que récemment, M. Pelmore requiert qu’un gestionnaire reconnu possédant son propre carnet de route en ait la charge.

Il s’assure ensuite que les frais internes et les coûts globaux respectent les intérêts de son client, et qu’une analyse de l’historique du produit et du gestionnaire à qui il a été confié a été faite. Comment le gestionnaire procède-t-il lorsqu’il est question d’achat ou de vente? Comment le produit est-il géré sur une base quotidienne? L’équipe de gestion est-elle facilement joignable en cas de problème?

Bien que connaître le gestionnaire puisse calmer certaines inquiétudes, M. Pelmore admet que ce n’est pas toujours suffisant. À la fin des années 1990, il avait ajouté une société de courtage immobilier du coin au portefeuille de certains de ses clients. De tels placements, où il était question de financement de projets de construction hors de portée des principaux prêteurs, étaient monnaie courante à l’époque en Colombie-Britannique.

Le conseiller en placement connaissait bien les gestionnaires, qui avaient un carnet de route bien établi, et savait qu’ils appliqueraient la même stratégie de placement responsable de leurs succès antérieurs. «Il s’agissait d’un produit auquel nous avions eu recours à de nombreuses occasions par le passé. Nous connaissions les associés et tout avait été fait dans les règles, déclare-t-il. Puis, nous avons appris que les gens en charge des prêts hypothécaires ne faisaient pas vraiment ce qu’ils disaient.»

Dans ce cas particulier, le gestionnaire du produit s’était toujours conduit de façon irréprochable, jusqu’à ce qu’il en décide autrement. «Du jour au lendemain, une véritable catastrophe s’est abattue sur nous. Un placement qui ne devait en aucun cas être spéculatif est venu déstabiliser les portefeuilles de nos clients, se rappelle M. Pelmore. Ce produit ne devait comporter aucun risque sur le plan du capital. En fait, c’était du vol pur et simple.»

Plusieurs de ces sociétés de courtage immobilier ont fermé leurs portes au cours de cette période. Ce fut notamment le cas de Eron Acceptance, l’une des plus connues parmi ces dernières. Il en résulta un scandale financier fort localisé et concentré principalement en Colombie- Britannique, qui entacha la réputation de l’industrie.

Une fois qu’on eût exposé ces problèmes au grand jour, la succursale et son siège social mirent sur pied un programme pour limiter les dégâts et faire amende honorable auprès de leurs clients. Les conseillers qui avaient vendu le produit remboursèrent immédiatement leurs commissions afin de financer l’enquête visant à faire la lumière sur les raisons pour lesquelles il avait si mal tourné. Le gestionnaire du produit fut démis de ses fonctions de fiduciaire et des comptables judiciaires procédèrent à leurs investigations.

SURVIVRE À L’EFFONDREMENT

«En tant que conseiller, vous devez confronter le problème sans tarder, recommande M. Pelmore. Allez voir vos clients et expliquez-leur ce qui s’est passé. Donnez-leur toute l’information que vous avez et demeurez honnête avec eux.»

Lorsqu’il a informé ses clients des pertes encourues, M. Pelmore a reconnu sa responsabilité pour avoir choisi ce placement, mais il leur a également rappelé les raisons pour lesquelles ce produit avait été sélectionné et le rôle qu’il occupait au sein des portefeuilles en général. Certains pourraient y voir un partage de la responsabilité avec les clients, mais M. Pelmore raconte que les répercussions furent minimes. «Les relations avec les clients ne furent en aucun cas compromises. Je dirais même qu’elles se sont solidifiées. Nos clients ont réalisé que nous travaillions vraiment fort pour eux, souligne- t-il. Ce cas en particulier illustre bien que les placements sélectionnés ne sont pas tous garantis et que les risques que nous croyions prendre sont parfois différents de ceux que nous prenons réellement. En fait, il y a toujours un risque de tomber sur une personne en qui vous ne pouvez faire confiance.»

Il souligne que si, d’entrée de jeu, les clients sont correctement préparés, ils accepteront beaucoup mieux l’inévitable mauvaise année. C’est la façon dont ils ont été traités au cours de cette période dont ils se souviendront. Bien qu’il s’en soit généralement bien tiré, M. Pelmore a appris à se méfier de ces types de placements et à privilégier les produits bénéficiant d’une meilleure réputation à l’échelle nationale.

Aucun de ses clients n’a subi de dégâts irréparables puisqu’il avait respecté la règle de base par excellence en matière d’investissement : la diversification. Dans un portefeuille bien diversifié, aucun des titres ne devrait avoir le potentiel d’anéantir la stratégie de placement globale si quelque chose tournait mal pour l’un ou l’autre d’entre eux. En effet, si l’exercice de diversification a été fait correctement en fonction des types d’actifs et des styles de gestion, il faudrait un effondrement économique en règle pour dévaster le compte d’un client.

Guy La Pierre, directeur de succursale de Global Securities à Port Coquitlam, en Colombie-Britannique, n’y va pas de main morte lorsqu’il parle des conseillers qui se limitent à une seule stratégie de placements alternatifs. «Toute personne qui investit l’ensemble des avoirs d’un client dans ce placement est aussi bon que mort. Il signe un chèque en blanc, prévient-il. C’est carrément imprudent. Si vous placez toutes les économies d’un de vos clients dans un seul et même fonds commun, même s’il s’agit du Canadian Investment Fund de Kim Shannon, c’est que vous êtes stupide.»

M. La Pierre reconnaît que la plupart des conseillers ont tendance à se méfier des nouveaux produits. Il arrive toutefois qu’un directeur de succursale, croyant sincèrement qu’un produit répond aux besoins de la clientèle, entraîne toute son équipe dans une mauvaise voie. M. La Pierre croit que la vérification préalable des placements alternatifs relève à la fois de l’art et de la science, de la logique et de l’intuition. Certains des aspects intuitifs peuvent paraître évidents, mais tout conseiller qui a eu des démêlés avec les autorités réglementaires s’en voudra de n’avoir pas su reconnaître les signes avant-coureurs.

L’évaluation d’un produit commence d’abord et avant tout par la compréhension de son fonctionnement. La Commission des valeurs mobilières de l’Ontario s’est fait un devoir de le rappeler aux conseillers au lendemain du scandale impliquant la société Portus.

M. La Pierre se souvient d’une rencontre avec les revendeurs de Portus. «Lorsque le produit est conçu de manière à échapper aux restrictions des autorités réglementaires comme l’ACCOVAM, cela devrait déclencher un signal d’alarme. Ne le vendez pas! Quels seront vos recours? Si la personne avec qui vous transigez est à l’abri des mêmes autorités réglementaires qui ont le pouvoir de vous rendre la vie misérable pour les cinq prochaines années, ne vous y frottez pas!»

Plus les incitatifs à vendre un produit sont intéressants, plus les conseillers devraient s’en méfier, rappelle M. La Pierre. Ils devraient se remémorer l’avertissement qu’ils servent eux-mêmes à leurs clients : si c’est trop beau pour être vrai, c’est probablement le cas. «Lorsque je considère offrir un produit, la commission est la dernière chose dont je me préoccupe. Je fais l’hypothèse, qu’au mieux, c’est l’équivalent d’un fonds commun dont les frais d’acquisition sont reportés, souligne M. La Pierre. Il s’agit d’une commission tout à fait raisonnable. Tout montant supplémentaire ne créera que des ennuis.»

Steven Lamb est un journaliste spécialisé en placement pour Advisor.ca.


• Ce texte est paru dans l’édition de mi-février 2006 de Conseiller. Il est aussi disponible en format PDF. Vous pouvez également consulter l’ensemble du numéro sur notre site Web.

Steven Lamb