Qui a peur du chef de la conformité?

Par David Lister | 16 mars 2011 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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Nous ne travaillons pas contre vous, mais dans votre intérêt. Voilà en substance le plaidoyer que lance un chef de la conformité, qui appelle les conseillers à une meilleure collaboration.

Êtes-vous sur vos gardes à la vue d’un chef de la conformité? Pensez-vous que sa présence signale probablement que « quelqu’un » a fait une gaffe? Eh bien, vous n’êtes pas seul dans ce cas. Les conseillers ont tendance à percevoir le chef de la conformité comme un loup vorace qui n’a de cesse de les prendre en défaut… un peu comme un directeur d’école qui arpente les couloirs à l’affût d’écoliers qui sèchent les cours sans autorisation.

C’est oublier que la raison d’être du service de la conformité est tout simplement d’éviter que les conseillers, et, par ricochet, leur firme, ne se retrouvent en fâcheuse position face à leurs clients ou aux autorités de réglementation. Bien sûr, en pratique, c’est une autre paire de manches.

Règlements à gogo Notre industrie, et les règles qui la régissent, sont de plus en plus complexes. Quand les investisseurs sont floués, les régulateurs doivent agir. Dès qu’une problématique se manifeste, les autorités instaurent de nouvelles mesures pour y parer; ces perpétuels amendements compliquent le travail de tous car la liste des aspects à vérifier et des critères à respecter s’allonge sans cesse. Il y a davantage d’écueils à éviter qu’avant, et donc de risques qu’un client fasse une réclamation, qu’un inspecteur ouvre une enquête ou qu’une poursuite judiciaire ne vous tombe sur le dos.

Inutile de dire que personne n’a envie de ce genre de choses. Si vous l’avez vécu, vous ne le savez que trop. Dans le meilleur des cas, c’est du temps perdu et du stress en plus. Même si vous obtenez gain de cause, il est pratiquement impossible de récupérer les frais juridiques engagés pour une audience règlementaire. Selon la gravité de vos fautes, votre inscription est suspendue (vous devez donc repasser vos examens et payer des amendes avant de pouvoir reprendre votre travail) ou est carrément révoquée et vous devez vous recycler. N’allez pas croire que les chefs de conformité la soient mieux lotis; ils doivent, tout comme vous, satisfaire à la réglementation, et risquent de retourner à la case départ à la suite d’une inscription révoquée.

Hiérarchie de la conformité Le respect de la conformité suit un parcours précis. Les inspections sporadiques sont effectuées par l’Autorité des marchés financiers (AMF), tandis que le chef de la conformité vérifie régulièrement la conduite de vos opérations, surveille pratiquement toutes les activités de la firme et présente son rapport à la personne désignée (généralement le chef de la direction ou le président) et au conseil d’administration. Comme le souligne Jean-François Levasseur, chef de la conformité à la Financière des professionnels « En étant présent à temps plein au sein de l’entreprise, le chef de la conformité est susceptible de déceler les problèmes plus rapidement que les organismes de réglementation qui se se présentent qu’à l’occasion. De cette façon, il évite qu’un problème ne traîne et ne grossisse. »

Malgré les apparences, le conseiller n’est pas seul au bout du compte. En fait, c’est le chef de la conformité qui est pris en sandwich au dernier palier, au dernier palier, entre vous et les autorités de réglementation. Il doit répondre de vous; si un problème fait surface, il devra peut-être justifier de ne pas l’avoir décelé avant. En principe, l’inspection de l’AMF vise à mettre en lumière les éléments susceptibles de susciter une amélioration; l’organisme poussera poussera son enquête lors de fautes graves relevées à l’inspection ou portées à son attention. Chaque firme a l’obligation de déclarer toute réclamation de client, poursuite juridique ou infraction plus sérieuse aux règlements, et tous ces incidents sont susceptibles de déclencher une enquête. Voilà pourquoi les chefs de la conformité se perçoivent comme de bons samaritains. Ils peuvent vous éviter des problèmes qui risquent de vous jeter sur la paille et de détruire votre réputation. Mais étant donné la méfiance répandue des conseillers à l’égard des chefs de la conformité, il est utile de décrire les pires des scénarios auxquels vous vous exposez sans notre vigilance et pourquoi nous ne sommes pas forcément dans le camp adverse.

Le manuel des politiques et procédures Est-ce que le roman Guerre et paix a l’air d’une maigrichonne plaquette à côté de vos prospectus? Vos obligations sont-elles aussi passionnantes à lire que la Loi de l’impôt sur le revenu ? Comme je l’ai déjà dit, la règlementation est de plus en plus complexe, avec de fréquents ajouts et des reliques de règlements désuets. Le travail d’un spécialiste en placements suppose, entre autres, d’être au fait des méthodes de la firme qui l’emploie. Vous avez sans doute signé au moins une attestation à cet effet. Ayez toujours sous la main un exemplaire de ce document (imprimée ou électronique). Cela dit, un chef de la conformité compétent saura résumer ces méthodes en une marche à suivre simple et intelligible, bien qu’il est vrai que même le plus habile d’entre eux peine parfois à vulgariser toute cette complexité.

En résumé, n’hésitez pas à consulter le chef de la conformité si vous avez besoin d’explications ou si vous effectuez une opération pour la première fois; en fait, c’est même apprécié! Nous nous assurons ainsi que les opérations sont correctement exécutées dès le départ et nous évitons les problèmes qui pourraient survenir ultérieurement. Si cela ajoute un peu à votre travail, dites-vous qu’il vaut mieux prévenir que guérir.

Débordé? Pourquoi ne pas solliciter un coup de pouce de la conformité?

Documents du client Les conseillers ne sont pas appelés à gérer au quotidien des comptes qui exigent de la haute voltige (comptes de successions, comptes d’entreprise extraterritorial, comptes de fiducie, etc.). Il est possible, par conséquent, que vous n’ayez pas en mémoire la liste exhaustive des documents exigés pour ouvrir un de ces comptes. Ne vous contentez pas de suppositions : si les formulaires sont mal remplis ou s’il manque des documents, le service de la conformité vous retournera la demande. Inutile de préciser que faire rectifier plusieurs fois une demande d’ouverture de compte ne projette pas une image de professionnalisme aux yeux du client… Au moindre doute, informez-vous d’abord auprès du service des nouveaux comptes ou du service de la conformité afin d’avoir en main les formulaires nécessaires.

Lutte contre le blanchiment d’argent L’aspect le plus délicat de l’ouverture d’un nouveau compte concerne les exigences de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes et des règlements connexes. La loi canadienne sur le blanchiment d’argent est probablement la plus détaillée qui soit sur ce que vous devez faire et comment. En bref, vous devez vérifier l’identité du client en le rencontrant en personne et en examinant les pièces d’identité originales qu’il vous présente, ou en choisissant deux autres modes de vérification d’identité parmi les six prévus par la loi (le dépôt d’un chèque combiné à une vérification de la solvabilité commandée par la firme, par exemple). Si votre client se trouve à l’étranger, votre firme doit confier à un agent la tâche de vérifier son identité. Une fois le compte ouvert, vous êtes tenu d’exercer votre vigilance pour détecter toute opération douteuse pouvant relever du blanchiment d’argent ou du financement d’activités terroristes (transactions illogiques, nombreux virements entre comptes de clients différents, etc.).

Obligation de protection du public Le fait que votre firme donne le feu vert ou ne demande aucune précision concernant une transaction ne signifie pas forcément qu’elle est adéquate. Plus d’un conseiller a été mis en examen un organisme de réglementation au sujet de transactions autorisées par sa firme. Votre obligation de protection du public ne peut se démentir; en cas de problème, vous ne pouvez alléguer pour votre défense que personne n’en a rien dit (voyez comment l’OCRCVM a sanctionné Ross Patrick Ewaniuk, en avril 2010). En cas de doute sur une transaction, n’hésitez pas à téléphoner ou à envoyer un courriel à votre chef de la conformité.

Pas de panique Les règlements sont complexes; heureusement, on ne s’attend pas à ce que vous les connaissiez de A à Z. C’est le rôle de votre chef de la conformité. Il est impossible qu’une même personne soit au fait de tous les règlements, tout le temps. Le principal est de connaître les règlements qui s’appliquent directement à votre pratique. Si vous sortez des sentiers battus (qu’il s’agisse d’un nouveau produit, d’une campagne de marketing, d’un nouveau genre de clients, etc.), consultez le manuel des politiques et procédures de votre firme ou le service de la conformité. Vous diminuerez ainsi le risque de problèmes futurs, et ferez même plaisir à votre chef de la conformité!

Précautions de routine Voici un aide-mémoire de quelques précautions de routine que doit prendre tout professionnel en services financiers.

  • Courriel :

La correspondance électronique est permanente, ne l’oubliez pas. Vos courriels font partie des communications d’entreprise et sont archivées par votre firme qui les conserve pendant cinq ans au minimum, même si vous les supprimez aussitôt envoyés ou reçus. Tournez sept fois vos doigts sur le clavier avant d’écrire : une plaisanterie anodine risque d’être ultérieurement mal interprétée par un enquêteur inamical. Dès que vous cliquez sur « envoi », le courriel échappe totalement à votre contrôle et une petite erreur de jugement peut être la source de tout un réquisitoire.

  • Opérations discrétionnaires :

Qui n’a jamais eu à exécuter une transaction sans instructions précises (nom du titre, nombre d’actions, prix, etc.)? Après tout, vos clients sont des gens occupés et acceptent toujours vos recommandations; ils désirent simplement que vous exécutiez la transaction, quitte à leur en parler plus tard. Il n’y a là aucun problème, n’est-ce pas? Faux! Vous auriez sans doute intérêt à proposer au client une solution gérée; sinon, informez-le qu’il peut signer une autorisation afin d’habiliter une personne de confiance de son entourage (conjoint, parent ou comptable, par exemple) à vous donner des instructions quand il n’est pas disponible.

  • Nouveaux produits :

Avant d’offrir le dernier produit à la mode à vos clients, prenez le temps de l’examiner pour en comprendre les rouages et être capable de déterminer à qui il conviendrait. Outre être en mesure d’expliquer de quoi il en retourne à vos clients, vous devez sans doute obtenir l’autorisation formelle de votre firme avant de vendre un produit inédit. Il s’agit de la nouvelle obligation de connaissance du produit qui va de pair avec l’obligation de connaissance du client.

  • Approbation des chroniques boursières :

Les courriels ou les lettres qui s’apparentent à un rapport de recherche ou une chronique boursière doivent être approuvés au préalable par un supérieur. Ces communications doivent se conformer aux exigences règlementaires, c’est-à-dire ne contenir aucune information erronée ou trompeuse, ne pas omettre d’information importante et ne pas poser de pronostic irréaliste.

  • Obligation de connaissance du client :

Cette règle existe depuis toujours, c’est la pierre angulaire de notre industrie. Il est essentiel de connaître la situation de votre client, surtout s’il a déjà eu affaire aux autorités de réglementation des valeurs mobilières. Tout changement pertinent à sa situation doit se refléter dans un nouveau formulaire d’ouverture de compte ou autre document similaire, à moins que votre firme ne dispose d’un formulaire de mise à jour. Cette précaution sera des plus utiles en cas d’enquête, de réclamation ou d’action en justice. Le formulaire d’ouverture de compte est le premier document examiné; s’il remonte à trop longtemps et s’il est inexact, il peut être difficile de justifier les placements que vous avez recommandés au client.

  • Placements privés et investisseurs accrédités :

Quelles que soient les directives de votre firme, si un de vos clients achète un placement privé, il est impératif de vous assurer qu’il répond aux critères d’investisseur accrédité ou qu’il bénéficie d’une exemption qui lui permette de faire ce placement. Ces conditions s’appliquent autant aux transactions sans courtier que celles exécutées par votre firme.

  • Instructions non sollicitées :

Vous devez clairement rapporter ce genre de transactions; il n’est pas évident de se souvenir après coup quelles opérations n’ont pas été sollicitées. Une de mes connaissances avait la bonne idée de demander au client où il avait obtenu l’information sur le titre et il le notait parmi les détails de la transaction. Cette simple précaution vous sera d’un grand secours en cas de problème. Si vous ne voulez pas en faire autant, vous devez au minimum distinguer les transactions non sollicitées à l’aide d’un code. Ce marquage doit se refléter sur vos relevés de commissions quotidiens, sinon consultez le service de la conformité ou l’administrateur de votre succursale pour vous assurer de respecter la marche à suivre.


Cet article est tiré de l’édition de mars du magazine Conseiller. Consultez-le en format PDF.

David Lister