Réglementation des valeurs mobilières : le débat s’enlise

18 octobre 2007 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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Les adeptes et les détracteurs d’une agence nationale de réglementation des valeurs mobilières au pays mettent leurs experts en vedette afin de démontrer qu’ils ont raison et que les autres ont tort.

Mardi dernier, l’Autorité des marchés financiers(AMF)a invité le professeur Jean-Marc Suret, de l’université Laval, à faire état des conclusions de son analyse du rapport du Comité Crawford, qui préconise la création d’un organisme unique de réglementation.

En gros, Jean-Marc Suret constate que:* Les éléments avancés par le Comité Crawford pour justifier l’urgence de centraliser les commissions des valeurs mobilières au Canada résistent mal à l’analyse.

* L’argument des coûts excessifs de la réglementation canadienne des valeurs mobilières et des limites imposées au financement des émetteurs de petite taille, avancé par le Comité Crawford, est très contestable. Le marché canadien est, de loin, « celui qui offre aux sociétés en croissance les meilleures possibilités de financement initial, d’entrée en Bourse et de financement subséquents », dit l’AMF.

* Il est essentiel de reconnaître, de préserver et d’améliorer les caractéristiques particulières du marché actuel, largement ouvert aux sociétés en croissance et de petite taille, très décentralisé et favorable aux émetteurs. L’imposition d’un système comparable à celui de l’Alternative Investment Market, proposé dans la mise à jour du Comité Crawford, aurait probablement pour effet d’interdire l’accès au marché boursier à de nombreux émetteurs canadiens.

* Sur le plan de l’application de la loi, le Canada est souvent comparé aux États-Unis. Or, l’analyse des données indique que la Securities and Exchange Commission est à l’origine de moins de 10 % des poursuites en matière financière et impose moins du quart du total des sanctions monétaires.

* La situation canadienne en matière d’application de la loi s’améliore et il existe bien d’autres avenues que celle de la centralisation, pour en accroître sa performance. D’ailleurs, les experts engagés par le Comité Crawford, ne concluent pas que la centralisation soit la condition indispensable à un renforcement de l’application de la loi.

Pour consulter l’analyse que Jean-Marc Suret a préparée en collaboration avec sa collègue Cécile Carpentier, cliquez ici

Pendant ce temps, Advisor.ca demandait leur opinion à des intervenants du marché et d’autres experts, qui s’opposent au système actuel et au régime de passeport.

Len Racioppo, chef des opérations à la firme Jarislowsky Fraser, note que le fait d’avoir 13 commissions des valeurs mobilières au Canada entraîne des divergences de compétences d’une province à l’autre. Il constate aussi que la mise en vigueur de la loi varie selon les provinces. Pour lui, l’instauration d’une seule agence pancanadienne qui appliquera une seule loi et qui imposera un seul tarif facilitera la vie à tout le monde.

Avec le régime de passeport, les entreprises étrangères qui voudront inscrire leurs actions à l’une ou l’autre des Bourses canadiennes choisiront l’endroit où le processus est le plus simple, dit Len Racioppo. Au début, les exigences seront les mêmes d’un territoire à l’autre. Mais, concurrence oblige, on verra des assouplissements apparaître ici et là avec le temps.

Les experts ont également soulevé la fameuse questions des coûts. La professeure Poonam Puri, de l’université York, a cité une étude montrant que les entreprises doivent payer davantage pour accéder au marché canadien des capitaux. En moyenne, 25 points de pourcentage de plus qu’aux États-Unis. Le hic, c’est que l’inscription des actions à une cote se fait à rabais, comparativement à ce qui se passe aux États-Unis. En deux mots, les entreprises au Canada paient plus et reçoivent moins. Elle ajoute que le régime de passeport allégera le système actuel, mais qu’il ne réglera en rien les « coûts excessifs » qu’engendre la multiplication des organismes de réglementation.

D’ailleurs, les experts consultés par Advisor.ca ont insisté sur le fait que le régime de passeport n’introduira pas une grille unique tarifaire. « Il faudra payer des frais partout où l’on veut s’inscrire », a souligné Purdy Crawford, président du Comité Crawford dont le rapport est critiqué par les professeurs Suret et Carpentier.

Pour sa part, Jim Goodfellow, du cabinet Deloitte Touche, dit qu’on sous-estime actuellement la réaction plutôt défavorable des entreprises et des investisseurs étrangers vis-à-vis de notre système de réglementation des valeurs mobilières. Alors que l’économie mondiale s’intègre de plus en plus étroitement, le Canada est regardé de travers avec ses 13 commissions des valeurs mobilières. « Nous ne pouvons pas ignorer les exigences des investisseurs étrangers », a-t-il mentionné.

Au moins, les deux parties font front commun sur un sujet: le régime actuel doit être modifié. Len Racioppo illustre les complications auxquelles peuvent faire face les entreprises. Par exemple, les sociétés européennes versent fréquemment des dividendes spéciaux payés non pas en argent, mais en actions. Or, pour pouvoir émettre ces titres, les entreprises doivent obligatoirement être inscrites dans les provinces où résident les actionnaires: Ontario, Québec, Alberta, etc. Nombre d’entre elles ne veulent rien entendre de s’enregistrer à 13 endroits dans le but de récompenser leurs actionnaires. Que faire alors? Len Racioppo explique que ces actions sont délivrées aux courtiers qui doivent les vendre immédiatement sur le marché afin de payer les actionnaires en argent. « Croyez-moi, les frais de transaction n’ont rien à voir avec les 10 $ que facture E*Trade », note-t-il.

Purdy Crawford estime qu’Ottawa devrait adopter la ligne dure afin de faire avancer ce dossier. Si le fédéral menaçait d’imposer sa propre commission des valeurs mobilières, dit-il, peut-être cela inciterait-il les provinces à travailler en plus grande collaboration. Si Purdy Crawford avait assisté aux Rendez-vous de l’Autorité des marchés financiers, il aurait constaté que la manière forte n’impressionne pas le Québec. La ministre Monique Jérôme-Forget a été parfaitement claire à ce sujet.