Régulateur national : Ottawa déçoit

Par Rémi Maillard | 12 janvier 2016 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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La décision d’Ottawa de poursuivre le projet conservateur de commission nationale des valeurs mobilières malgré l’opposition du Québec et de l’Alberta suscite la déception dans la Belle Province.

« Ce projet, s’il va de l’avant, perturbera le système coopératif efficace qui existe au Canada depuis des décennies sous l’égide des Autorités canadiennes en valeurs mobilières [ACVM], déplore Sylvain Théberge, porte-parole de l’Autorité des marchés financiers (AMF), en entrevue avec Conseiller. C’est un projet mal avisé qui est décrié [point de vue en anglais] par de nombreux intervenants au Québec et partout au Canada, même à Toronto. »

Le gouvernement a en effet confirmé son intention d’aller de l’avant avec le projet de régulateur national dans un courriel envoyé à La Presse.

« En collaboration avec les provinces intéressées, le gouvernement est prêt à poursuivre la création du régime coopératif en matière de réglementation des marchés des capitaux », a indiqué Daniel Lauzon, directeur des communications du ministre fédéral des Finances Bill Morneau.

Les libéraux affirment que ce projet favorisera « le fonctionnement au Canada de marchés des capitaux plus efficients et concurrentiels à l’échelle internationale » et qu’il assurera « une protection accrue des investisseurs, partout au pays, au moyen d’activités d’observation et d’application de la législation qui seront plus intégrées et mieux coordonnées ».

La création d’une commission nationale contribuerait aussi à « renforcer la capacité du Canada à cerner et à gérer les risques systémiques liés aux marchés des capitaux à l’échelle nationale et [lui] permettre de présenter une position plus forte et d’être plus influent en ce qui a trait aux initiatives internationales de réglementation ».

L’AMF SE DIT « TRÈS DÉÇUE »

« Nous aurions vivement souhaité que le nouveau gouvernement fédéral abandonne cette mauvaise idée de l’ancien gouvernement conservateur pour plutôt travailler à l’amélioration du système en place », mentionne M. Théberge, tout en précisant que l’AMF « appuie le gouvernement du Québec dans cette démarche et entend lui apporter tout le soutien requis dans les circonstances ».

Attachée de presse du ministre des Finances du Québec, Nathalie Roberge rappelle pour sa part qu’« il existe déjà un système coopératif entre les provinces pour la régulation des valeurs mobilières », que celui-ci « a fait ses preuves, qu’il sert très bien les intérêts des provinces et apporte une très bonne protection aux investisseurs ».

« Le Québec reste fortement en désaccord avec le projet actuel du gouvernement pour la régulation des valeurs mobilières et nous allons continuer nos représentations pour faire valoir notre position », conclut-elle.

L’INDUSTRIE SE RANGE DU CÔTÉ DE QUÉBEC

Même son de cloche au Conseil des professionnels en services financiers.

« Rien n’a démontré à ce jour le besoin d’une telle commission des valeurs mobilières nationale », juge son directeur général et président du conseil d’administration, Mario Grégoire.

« La confusion dans les titres et les disciplines qui prévalent dans l’industrie est (…) un enjeu important et l’uniformisation serait salutaire dans notre domaine, ajoute-t-il. C’est la raison pour laquelle le Conseil forge présentement des alliances stratégiques, notamment en dehors de la juridiction québécoise. »

Cette uniformisation doit-elle passer par le gouvernement fédéral?

« Si c’est le cas, c’est au gouvernement Trudeau d’en faire la démonstration. Il devrait analyser de près le modèle qui va émerger à Québec dans le cadre de révision de la loi 188. Le modèle québécois s’est toujours montré innovant et il est à la veille d’être modernisé de manière importante. »

De son côté, le porte-parole de l’Association des professionnels en services financiers étant en vacances, il a été impossible d’obtenir ses commentaires.

RESTÉES LETTRES MORTES

Plusieurs voix du secteur financier s’étaient pourtant élevées au cours des dernières semaines pour rappeler leur opposition au projet. Des lettres ont notamment été publiées dans des médias francophones et anglophones au pays.

Le PDG de l’AMF et président des ACVM, Louis Morisset, y rappelait notamment que « l’harmonisation de la régulation est déjà un fait au Canada » et que le système actuel possède « la flexibilité nécessaire pour répondre efficacement aux enjeux de régulation locaux ».

Les ex-ministres québécois des Finances Raymond Bachand et Monique Jérôme-Forget soutenaient eux aussi que l’industrie des services financiers est bien servie par les structures existantes et que la création d’un organisme centralisé avait « comme seul objectif de donner au gouvernement fédéral et à l’Ontario la mainmise sur l’encadrement des valeurs mobilières et des instruments dérivés au Canada ».

RETOUR DEVANT LA COUR

Selon La Presse, « la bataille juridique entreprise par le gouvernement Couillard devant la Cour d’appel du Québec l’été dernier va donc se poursuivre de plus belle », alors même que le ministre des Finances provincial, Carlos Leitão, avait récemment laissé entendre que le gouvernement de Justin Trudeau pourrait fait marche arrière dans ce dossier.

Rappelons qu’en juillet dernier, le gouvernement Couillard avait soumis un renvoi devant la Cour d’appel du Québec en vue de mettre un terme au projet de commission pancanadienne élaboré par les conservateurs, estimant qu’Ottawa tentait ainsi de s’immiscer dans un champ de compétence qui relève des provinces.

En 2011, la Cour suprême du Canada avait par ailleurs déjà donné raison à l’Alberta et au Québec, qui contestaient la constitutionnalité d’un premier projet fédéral en indiquant qu’il s’agissait là d’une « intrusion massive » du Parlement fédéral dans leurs prérogatives.

Toutefois, le plus haut tribunal du pays affirmait aussi que rien n’empêchait le gouvernement fédéral et les provinces d’exercer « harmonieusement » leurs pouvoirs respectifs dans ce domaine. Il reconnaissait à Ottawa un rôle dans la gestion des risques systémiques et la stabilité du système financier canadien.

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Rémi Maillard

Journaliste multimédia. Santé, environnement, société, finances personnelles. Également intéressé par les affaires publiques, les relations internationales, la culture… Passionné de cyclisme.