Régulateur national : Québec invite le fédéral à lâcher prise

Par Jean-François Parent | 11 mai 2017 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Même si le projet de commission nationale des valeurs mobilières a été jugé inconstitutionnel pour la deuxième fois hier par la Cour d’appel du Québec, Ottawa n’entend pas jeter l’éponge. De leur côté, l’Autorité des marchés financiers (AMF) et le gouvernement provincial enjoignent le fédéral à laisser (enfin) tomber.

À Québec, le ministre des Finances Carlos Leitao a réagi à la décision du tribunal en soutenant que l’actuel régime d’harmonisation fonctionne très bien. « J’invite encore une fois le ministre des Finances du Canada à le reconnaître, comme l’ont fait avant lui plusieurs organismes internationaux, et à abandonner l’intégralité de son projet de réglementation des valeurs mobilières », indique-t-il dans un communiqué.

Le fédéral se défend bien d’avoir essuyé un nouvel échec, la Cour réaffirmant qu’il a compétence pour gérer les risques systémiques. « Nous nous acquittons de cette responsabilité dans le tout respect des compétences provinciales et territoriales ainsi que du choix des provinces comme le Québec qui décident de ne pas participer. Nous examinerons attentivement la décision d’aujourd’hui et nous réagirons en temps opportun », explique Daniel Lauzon, porte-parole du ministre des Finances fédéral Bill Morneau, dans un courriel à Conseiller.

L’une des principale voix d’opposition au projet fédéral, l’Autorité des marchés financiers, se dit satisfaite de la décision de la Cour d’appel.

« Il revient évidemment au gouvernement du Québec de commenter de façon plus élaborée la décision de la Cour d’appel mais d’emblée, l’Autorité des marchés financiers est très satisfaite de la position exprimée [hier] par la Cour d’appel, nous écrit son PDG, Louis Morrisset. À titre de président des Autorités canadiennes en valeurs mobilières [ACVM], j’entends poursuivre mon travail de collaboration avec l’ensemble des régulateurs canadiens, comme je le fais depuis mon arrivée à ce poste. Les ACVM constituent un régime coopératif très efficace qui met à contribution l’ensemble des régulateurs de valeurs mobilières au pays. »

UNE INTERMINABLE SAGA

Il s’agit d’une énième rebuffade juridique pour Ottawa, qui caresse le rêve d’un régime coopératif en matière de réglementation des marchés des capitaux depuis les années 1930.

En 2009, feu Jim Flaherty déposait un premier projet de loi portant sur la création d’un régulateur unique des valeurs mobilières. Deux ans plus tard, la Cour suprême renvoyait le ministre des Finances à la planche à dessin, y voyant « une intrusion massive par le Parlement dans le domaine de la réglementation des valeurs mobilières », de compétence provinciale. Le plus haut tribunal du pays ouvrait cependant la porte à un régime misant sur la coopération. Ottawa en a pris acte et est revenu à la charge avec un nouveau projet, coopératif celui-là, et à adhésion volontaire des provinces. C’était en 2013.

Le Québec et l’Alberta notamment, qui prônent plutôt un régime de passeport misant sur l’harmonisation des règles entre les provinces, ont également soumis ce projet à l’approbation des juges en 2015. Dans la décision prononcée hier, ils affirment que le nouveau projet fédéral, qui consiste pour l’essentiel à remplacer les agences provinciales par un « conseil des ministres » national, est toujours non conforme au droit canadien, notamment parce « qu’il entrave la souveraineté parlementaire des provinces participantes ».

« Il faut garder garder à l’esprit la nature essentiellement provinciale de la réglementation des valeurs mobilières », peut-on lire dans le jugement.

Quatre des cinq juges qui ont étudié la question s’entendent sur le fait que « le mécanisme d’amendement à la Loi uniforme établi par le Régime entrave la souveraineté parlementaire des provinces participantes et est, partant, inconstitutionnel. Il assujettit en effet la compétence de légiférer des provinces à l’approbation d’une entité extérieure (le Conseil des ministres), ce qui n’est pas permis », écrivent-ils. Un seul magistrat a émis une dissidence.

« JURIDICTION FÉDÉRALE ACCESSOIRE »

Les juges estiment enfin que « la juridiction fédérale à l’égard des valeurs mobilières demeure […] accessoire. Elle touche à certains aspects de la réglementation des valeurs mobilières afin de promouvoir l’intégrité et la stabilité du système financier canadien », notamment de par son pouvoir de légiférer en matière de droit criminel, de système bancaire et de faillites.

Ottawa pourrait également « réglementer certains aspects des valeurs mobilières en vertu de son pouvoir général en matière de trafic et de commerce, notamment afin de prévenir les risques systémiques pour assurer la stabilité et l’intégrité des marchés financiers du Canada et pour effectuer la collecte nationale de données », ajoute la Cour d’appel.

Cela fait depuis les années 1930 que le projet est discuté à Ottawa, constate la Cour d’appel, qui fait un rappel des multiples tentatives d’Ottawa de réglementer les marchés. « Le Protocole d’accord à l’étude semble s’inspirer de la proposition de la Commission Porter de 1964, de la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario de 1967, du Comité d’étude sur les institutions financières du Québec de 1969, et des provinces maritimes de 1994 qui envisageaient la création d’un organisme réglementaire fédéral auquel les provinces auraient délégué leurs pouvoirs de réglementation », remarquent les juges.

L’Institut des fonds d’investissement du Canada et l’Association canadienne du commerce des valeurs mobilières n’ont pas réagi à la nouvelle. Tous deux s’étaient déjà prononcés en faveur d’un régulateur pancanadien, l’IFIC ayant cependant aussi milité pour une amélioration du régime de passeport dans l’éventualité où la commission nationale ne verrait pas le jour.

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Jean-François Parent