Relève et mentorat : pas toujours gagnant

Par Sophie Stival | 23 janvier 2012 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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Beaucoup de conseillers souhaitent ralentir. Certains planifient passer le flambeau à un associé plus jeune ou un éventuel acquéreur. Pour un petit cabinet indépendant, assurer la relève demeure un vrai casse-tête.

Plusieurs conseillers envisagent l’option du mentorat. Mais ne s’improvise pas mentor qui veut. Vendre sa pratique s’avère parfois une solution de rechange intéressante pour les indépendants.

Dans les grandes institutions financières, le mentorat permet de former des jeunes qui commencent dans la profession. Chez les conseillers indépendants, ce n’est pas un remède miracle.

Selon Jean-Pierre Breton, ceux qui misent sur cette formule pour assurer leur relève sont souvent déçus. Ce dernier a fait ses premières armes dans le domaine de l’assurance de dommages. Au début des années 90, il a bifurqué vers le métier de consultant auprès des cabinets d’assurance et des grands assureurs de la province.

Le transfert d’entreprise, il connaît. Depuis 20 ans, M. Breton a assisté à plus d’une centaine de transactions. De ce lot, le tiers était de petits cabinets de services financiers et la portion restante, des courtiers d’assurance de dommage. Il a également été témoin de plusieurs cas où le conseiller indépendant a misé sur le mentorat pour assurer sa succession.

Jean-Pierre Breton

Jeune loup ou « fonctionnaire » Jean-Pierre Breton divise le monde des recrues en deux camps. D’un côté, on retrouve les vendeurs talentueux et ambitieux, qu’on peut qualifier de jeunes loups. De l’autre, il y a celles qui sont plutôt du type « fonctionnaire ». Le service à la clientèle prend beaucoup de place, parfois aux dépens du développement des affaires.

« Quand on pense dans la cinquantaine à recruter un jeune pour prendre la relève, le cabinet n’aura pas toujours assez de revenus pour le payer comme il se doit. Un bon vendeur sera vite frustré par cette formule de mentorat et se mettra finalement à son compte », raconte-t-il. Parfois, les efforts consentis par le mentor n’aboutissent jamais. La jeune recrue devient alors un concurrent.

Dans le cas d’un apprenti moins ambitieux, même si tout se passe bien, les problèmes risquent de survenir plus tard. Lorsque le conseiller sera prêt à céder sa pratique, ce genre d’associé hésitera à prendre les risques qui s’imposent pour acheter la clientèle. « Quand viendra le moment de signer un chèque, souvent cette personne exigera d’étaler les paiements sur dix ans, elle ne souhaitera pas payer un montant comptant ou emprunter, même si c’est possible », explique M. Breton. Dans ce type de transfert, le conseiller qui vend peut risquer gros. Si l’acquéreur n’élargit pas la clientèle existante et que certains clients quittent, les revenus peuvent diminuer dans les années suivant le départ du mentor. L’étalement des paiements devient à ce moment-là un vrai problème. Enfin, le solde de prix de vente ne sera peut-être jamais versé. Ce genre de cas se retrouve parfois devant les tribunaux. Du temps et de l’argent précieux que perdra alors le conseiller à la retraite…

Réussir son mentorat Il existe aussi de belles histoires. Mais elles sont plus rares, constate M. Breton. Ce dernier se souvient d’un cabinet de Québec qui a fait une association fructueuse avec un jeune universitaire. Ces deux anciens comptables ont servi de mentor, mais n’ont rien laissé au hasard.

Dès le départ, on a offert à la recrue d’acquérir un portefeuille de clients. Jean-Pierre Breton a été mandaté pour calculer le prix de cette clientèle, constituée des plus petits comptes. Dans ce cas-ci, les conseillers ont joué franc-jeu tout en formant l’apprenti selon leurs valeurs.

Grâce à une convention d’achat-vente entre associés, on peut aussi proposer des parts ou des actions aux autres partenaires, avant de les vendre à un étranger. Ce droit de préemption (de premier refus) permettra au jeune de racheter, par exemple, de 5 à 10 % de la clientèle au mentor qui souhaite un jour ralentir.

« Trop souvent, on fait miroiter à la recrue qu’on va lui offrir des parts. Quelques années plus tard, le mentor vend à un étranger. Ça donne au jeune de faux espoirs. Ce n’est pas très catholique… »

Le rôle du mentor Être un mentor, c’est exigeant. « Ça nécessite des efforts de suivi, du temps et de la discipline, résume M. Breton. On peut difficilement assumer ce rôle si on passe plusieurs jours par semaine sur un terrain de golf », illustre-t-il. Une formule de mentorat est également plus facile à mettre en œuvre à deux ou trois que dans le cas d’une pratique en solo. Les associés se partageront alors la tâche.

En cas d’échec, il se peut qu’on doive recommencer les démarches de mentorat. « Quand un jeune a du potentiel, il faut après quelques mois envisager une certaine forme d’association», est d’avis M. Breton. Le mentorat est un jeu qui se joue à deux. Chaque partie doit en retirer des bénéfices. C’est aussi une question d’équilibre. Patrick Cloutier travaille pour le Groupe Cloutier depuis maintenant 17 ans. Le vice-président ventes et développement des affaires a été conseillé par son père pendant de nombreuses années. Encore aujourd’hui, il profite de l’expérience du président fondateur.

Selon le fils, le mentor ne se contente pas simplement de transmettre des connaissances. « Il doit aussi être un modèle, un motivateur. Il connaît et il comprend les étapes que devra franchir le mentoré. Il a une vision de ce qui s’en vient dans son domaine. Il doit aussi être intègre et transparent envers l’autre», croit-il.

Patrick Cloutier, vice-président ventes et développement des affaires du Groupe Cloutier.

Mettre en contact les conseillers Comme agent général et cabinet de courtage en services financiers, Groupe Cloutier offre une vaste gamme de formations aux conseillers indépendants. Chaque année, l’« Université Cloutier » accueille des conseillers qui commencent leur carrière. Le programme de « Premier cycle » propose un cours intensif de quatre jours où des spécialistes viennent renforcer les bases et les aptitudes de vente des novices de la profession. On y apprend comment faire de la prospection, développer un plan d’affaires, etc.

Certains représentants qui ont 15 à 20 ans d’expérience peuvent également se perfectionner dans certains domaines. L’institution de coaching, comme la décrit Patrick Cloutier, offre aussi un « Deuxième cycle » s’adressant à ces conseillers qui souhaitent maîtriser des concepts et des techniques plus avancées.

Ce bassin de recrues – et des conseillers bien établis – font parfois appel au Groupe Cloutier lorsqu’ils cherchent un mentor ou à préparer leur relève. Patrick Cloutier reçoit régulièrement des coups de fil de représentants à cet effet. « On joue le rôle de facilitateur en mettant en contact, selon les besoins de chacun, des conseillers qui souhaitent mentorer un jeune. Parfois, ce sont des jeunes qui veulent se coller à des gens qui ont plus d’expérience, dans l’espoir d’acheter un jour la business. »

Vendre à un étranger Malgré le vieillissement des conseillers, il est actuellement beaucoup plus facile de vendre que d’acheter une pratique, affirme Jean-Pierre Breton. Les indépendants qui peinent à assurer leur relève ne doivent pas désespérer. « Des transactions payées entièrement comptant, à la retraite du conseiller, il y en a aussi beaucoup », ajoute-t-il. Il faut seulement trouver le bon acquéreur ou avoir des ententes d’associés claires.

M. Breton joue régulièrement le rôle d’intermédiaire-négociateur. Dans l’anonymat, il assiste des conseillers qui envisagent de céder ou d’acquérir un portefeuille d’actifs. « J’ai fait récemment des recherches afin de dénicher des acquéreurs potentiels. Dans le temps de le dire, j’ai trouvé un grand nombre de conseillers prêts à acheter des actifs », dit-il.

Patrick Cloutier confirme cette réalité. Plusieurs cabinets qui grossissent ou diversifient leur équipe cherchent à augmenter leur volume d’affaires et souhaitent acheter la pratique de petits indépendants. M. Breton, tout comme le groupe Cloutier, va évaluer les portefeuilles pour des clients. On tente alors d’établir une juste valeur marchande de la business.

Revenu Canada stipule que « la juste valeur marchande est le prix le plus élevé, exprimé en dollars, qui puisse être obtenu sur un marché ouvert qui n’est soumis à aucune restriction, lorsque les parties à la transaction sont bien informées, qu’elles agissent avec prudence, qu’elles n’ont aucun lien de dépendance entre elles et que ni l’une ni l’autre n’est forcée de quelque manière de conclure la transaction. » Dans le cas des cabinets rattachés à une institution, cette règle ne va pas de soi. On suggèrera souvent des valeurs comptables pour certaines portions des revenus du conseiller.

Trouver la perle rare Assurer sa relève et trouver la perle rare nécessite beaucoup de travail de recherche. C’est aussi une question de valeurs et de génération. Certains choisiront d’aller recruter un jeune dans le réseau universitaire. D’autres s’associeront avec un trentenaire qui leur permettra de diversifier leur offre de service grâce à des compétences complémentaires. Il y a plusieurs avenues possibles, confirme Jean-Pierre Breton.

À l’IQPF, il n’existe pas de cours liés au mentorat ou de service qui jumelle un jeune planificateur financier à un indépendant d’expérience. Aucune formation n’est offerte aux planificateurs financiers qui souhaitent devenir des mentors. L’IQPF propose plutôt un service de référence auquel ont accès en tout temps les affiliés. Ces experts, qu’on appelle des mentors, répondent gratuitement aux questions des planificateurs financiers par le biais du service Pl. Fin. en ligne. À quand un service de « speed dating » pour les conseillers?

Cet article est tiré de l’édition de janvier du magazine Conseiller. Consultez-le en format PDF.

Sophie Stival