RIM, le pétrole et la gouvernance : qui sommes-nous vraiment?

Par Pierre Saint-Laurent | 27 février 2013 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
4 minutes de lecture

Je me permets, pour une fois, de faire une chronique d’une saveur légèrement différente. Au moment d’écrire ces lignes, BlackBerry, anciennement connue sous le nom de Research in Motion (RIM), vient de lancer son dernier appareil, qui ne permettra pas, selon certains, de sauver l’entreprise. Je trouve que c’est d’une tristesse… RIM a inventé le téléphone intelligent, à ce point que pendant longtemps dans le langage courant, le terme « BlackBerry » a été au cellulaire ce que le « Kleenex » est au mouchoir de papier. Aujourd’hui encore, lorsque vous allez à une conférence financière à New York (ou ailleurs), on vous demande d’éteindre votre BlackBerry avant que la conférence ne débute…

Qu’est-il arrivé? Nous sommes manifestement capables, au Canada, d’innover à un point tel que le monde entier suivra. On se rappellera d’un autre dossier, celui de la société Avro, qui avait conçu l’avion Arrow, le plus performant au monde, et dont la construction a été arrêtée par le gouvernement Diefenbaker, pour des raisons encore aujourd’hui nébuleuses. Innovations dans les domaines du transport, médical, informatique, et j’en passe… que se passe-t-il avec les RIM et autres Nortel de ce pays? Laissons-nous tomber nos plus importants fleurons technologiques?

Pierre Saint-Laurent

Voici une hypothèse : nous considérons l’économie canadienne comme avant tout assise sur ses ressources naturelles. Cela pourrait justifier que l’on n’ait pas de réelle culture de l’innovation, d’une part, et que d’autre part nous nous contentions du confort tranquille d’être assis sur des milliards enfouis, cadeau de la providence. Nous ne serions pas les seuls : pensons à l’Australie, au Chili, à l’Afrique du Sud, entre autres. Je travaille dans un milieu universitaire et j’ai un immense respect – immense – pour l’intellect et la créativité de l’être humain. Mais de façon réaliste, notre avantage comparatif, est-ce le pétrole et l’électricité, ou sont-ce les neurones et autre matière grise?

Je veux être clair : si nous bénéficions de rentes considérables relativement à notre dotation nationale en ressources naturelles, la question est de savoir comment en déployer l’avantage. Manifestement, la progression de l’éducation, de la recherche, du savoir constitue une priorité indiscutable. Au-delà de l’avantage objectif que ces rentes nous procurent, avons-nous l’appétit et la compétitivité pour assurer un leadership en matière d’invention et d’innovation? Et qui plus est, sommes-nous prêts, collectivement, à assurer l’édification de capital qui permettrait à ces « bonnes idées » de se former, puis de se déployer mondialement? Je suis désolé si j’ai plus de questions que de réponses.

Ce qui m’amène à la gouvernance. Quel terme galvaudé! Servi à toutes les sauces, il veut dire bien des choses, selon l’intention de l’utilisateur qui le maniera plus ou moins habilement. Dans ce contexte, je l’emploierai dans l’acception suivante, soit comme voulant exprimer une approche normative à la conduite des affaires économiques. En clair : qu’est-ce qui devrait être fait pour notre économie?

Selon moi, nous devons encourager d’une façon plus importante la prise de risques calculés menant à l’innovation. Nous devons encourager la formation d’entreprises, elle-même tributaire de la création de capital et de son déploiement sur des créneaux prometteurs. Nous devons, pour ce faire, assurer des formations de qualité mondiale à nos étudiants, mais plus encore, nous devons leur inculquer le goût d’inventer, la confiance en soi nécessaire pour créer, le culot de penser autrement et de contester les idées établies voire reçues, et surtout, nous devons faire preuve de modestie.

Arrêtons, à titre d’exemple, de comparer Montréal à New York, Paris ou Londres. Pas pareil. Dégonflons ce ballon. Regardons-nous dans la glace et comprenons que sur l’échiquier mondial, c’est à nous de bien identifier notre place. Posons-nous la question : avant de se mesurer au reste de la planète, ne devrions-pas clairement assurer nos avantages comparatifs? J’ai vécu aux États-Unis pendant plusieurs années : pour les Américains, c’est dans leur ADN de se comparer assez agressivement. Ils ont confiance de pouvoir se mesurer à tous. Aucune raison pour ne pas en faire autant ici.

Au final, c’est un peu un plaidoyer pour une confiance en soi collective accrue dont il s’agit. Faisons de notre richesse phénoménale, qui nous est donnée, un levier formidable d’innovation. Comme disait Archimède, avec un levier suffisamment long, on peut lever le monde.


Pierre Saint-Laurent, CFA, CAIA, FRM, CFE, est maître d’enseignement à HEC Montréal. On peut le joindre à Pierre.Saint-Laurent@HEC.ca.

Pierre Saint-Laurent