S’endetter après avoir immigré, une bonne idée?

Par Alizée Calza | 9 octobre 2019 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Photo : Mikhail Kusayev / 123RF

Avoir une formation de médecin et finir chauffeur de taxi ou femme de ménage, ce n’est pas si rare pour les nouveaux arrivants sur le marché du travail au Canada. Pour résoudre ce problème,  Le Moulin Microcrédits offre aux travailleurs formés à l’étranger des microprêts à taux très bas. Mais est-ce une bonne chose de s’endetter dès son arrivée?

Depuis 2005, cet organisme de bienfaisance nationale a accordé des prêts, allant jusqu’à 15 000 $ à faible taux d’intérêt pour les immigrants, et sans intérêt pour les réfugiés, à plus de 4 500 clients partout au pays.

Ces prêts s’adressent aux immigrants et réfugiés diplômés à l’étranger pour leur permettre d’obtenir les titres de compétences dont ils ont besoin pour réaliser leurs ambitions professionnelles au Canada.

« Nos clients sont des personnes qualifiées, qui ont eu des carrières fructueuses dans leur pays et une fois arrivés au Canada, ils ont besoin de titres de compétences spécifiques pour pouvoir travailler. [À cause du coût de ces titres], ils occupent des emplois qui sont sous leurs qualifications, et tombent dans un cycle de pauvreté où leur revenu est trop bas pour pouvoir financer ce processus de reconnaissance des compétences », explique Merette Mathieu, coordonnatrice de Le Moulin, en entrevue avec Conseiller.

Ce programme connaît une popularité grandissante. Alors qu’en 2016, Le Moulin a accueilli environ 400 clients, plus de 800 ont été accueillis en 2018. Cet engouement a décidé l’organisme à offrir ses services aux immigrants québécois et à ouvrir récemment un bureau à Montréal.

S’ENDETTER PEUT PARFOIS ÊTRE UNE BONNE IDÉE

Si s’endetter peu de temps après être arrivé au pays peut sembler être une mauvaise idée, Daniel Guillemette, président du cabinet de services financiers Diversico, Experts-Conseils, estime que « ça vaut la peine de s’endetter si ça permet de s’intégrer. C’est sûr que de ramener un immigrant vers ses centres d’intérêt et sa passion, c’est une belle idée. »

Mais avant de s’endetter, « la personne immigrante doit évaluer son engagement financier en regard du potentiel de revenu généré par son travail futur. Il doit évaluer notamment sa situation financière et fiscale, la capacité de générer des revenus durant sa période d’études, l’aide des autres membres de sa famille immédiate ainsi que sa capacité d’emprunt pour financer ses études et assumer sa subsistance. Il est requis d’établir un plan financier, fiscal et légal approprié à sa situation », tempère Gaétan Veillette, Fellow administrateur agréé et planificateur financier au Groupe Investors.

Daniel Guillemette avoue que l’offre de Le Moulin est loin de manquer d’intérêt. Il ajoute même que s’il avait des clients dans cette situation spécifique, il s’intéresserait de près à l’organisme. « On irait voir si ça tient vraiment ses promesses, car à ce moment-là ça pourrait représenter une solution pour notre client », affirme-t-il.

« À la suite d’une telle offre de prêt à taux réduits pour les diplômés étrangers s’établissant au Canada, il convient de valider a priori l’existence de l’organisme en consultant le registre des entreprises », appuie Gaétan Veillette, qui souligne que l’organisme a un but « très louable ».

Mais finalement, s’endetter dans ces conditions peut être intéressant. En effet, si les sommes prêtées sont grandes, l’organisme promet de tripler le salaire de ses clients à terme, ce qui leur offrira un pouvoir d’achat bien plus grand qu’il ne pouvait l’espérer. « Une fois qu’ils passent à travers le processus grâce au prêt, ils sont en mesure d’avoir un emploi à la hauteur de leurs qualifications qui est bien sûr beaucoup mieux rémunéré », explique Merette Mathieu.

DES TAUX D’INTÉRÊT TRÈS BAS

Le président de Diversico avoue qu’il enquêterait sur l’organisme, car celui-ci semble trop beau pour être vrai. Il se méfie ainsi des bas taux d’intérêt, qui s’élèvent actuellement à 5,45 %. « C’est faible, compte tenu du risque », appuie-t-il. Toutefois, question de risque, Le Moulin semble bien se débrouiller puisque le taux de remboursement s’élève à 97 %. « On fait des jaloux dans le secteur financier, mais je pense que c’est grâce à notre approche et le fait qu’on soit basé sur une relation de confiance avec les clients », répond Merette Mathieu.

L’organisme ne se limite effectivement pas à faire des prêts et construit une véritable relation avec chaque client. Pendant la période de prêts, le personnel de Le Moulin communique régulièrement avec les demandeurs pour s’assurer qu’ils progressent bien dans leurs objectifs. S’ils sont en difficulté, l’organisme leur fournit recommandations et informations.

« Il y a vraiment un lien qui se forme et les gens ne veulent pas décevoir. Il faut savoir aussi que nos clients travaillent fort pour atteindre leurs objectifs, ce sont des gens qui veulent réussir et avoir les titres de compétence canadienne. Ils veulent avoir leur permis d’exercice pour pouvoir exercer », précise Merette Mathieu.

Le montant moyen du prêt s’élève à un peu moins que 8 000 $ et la période totale moyenne pour la réalisation du plan d’apprentissage et le remboursement est de 45 mois, soit un peu moins de 4 ans. Toutefois, les immigrants ont jusqu’à cinq ans pour rembourser leur prêt.

« C’est vraiment un programme unique », souligne Merette Mathieu, qui tient à préciser que celui-ci ne se limite pas à la région de Montréal, mais bien à toute la Belle Province : « on veut couvrir tous les nouveaux arrivants au Québec ».

Encore plus unique, Le Moulin offre également des prêts aux personnes réfugiées diplômées, mais cette fois à 0 % d’intérêt. « On est un organisme de bienfaisance, donc on est vraiment là pour offrir un service personnalisé au client », conclut la coordonnatrice Québec de Le Moulin.

Alizée Calza Alizee Calza

Alizée Calza

Alizée Calza est rédactrice en chef adjointe pour Conseiller.ca et pour Finance et Investissement.