Soignez votre réputation!

Par Jean-François Venne | 31 mars 2016 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Femme pointée du doigt.
Photo : 123RF

C’est la grande crainte des professionnels du conseil financier : voir leur réputation entachée par une plainte ou une poursuite. Comment s’en protéger ?

« Le contexte actuel, avec des marchés volatils et des rendements parfois décevants, rend les professionnels du conseil financier particulièrement vulnérables aux plaintes et aux poursuites », soutient Alexander De Zordo, associé et avocat spécialisé notamment dans les litiges et arbitrages relatifs au droit bancaire et aux valeurs mobilières au cabinet Borden Ladner Gervais. « Or, ceux-ci sont souvent mal préparés à y faire face. Des procédés plutôt faibles du côté de la conformité ou des méthodes de travail inadéquates les rendent très vulnérables. »

En plus de l’effet des marchés, des professionnels ont de la difficulté à s’adapter à l’évolution de certains aspects de leur profession, notamment dans le domaine de l’assurance, croit pour sa part Daniel Guillemette, conseiller en sécurité financière et président de Diversico.

« Le contexte actuel, avec des marchés très volatils et des rendements parfois décevants, rend les professionnels du conseil financier particulièrement vulnérables aux plaintes et aux poursuites. »

Me Alexander De Zordo

« Dans les années 1980, on donnait des cours de vente aux débutants, rappelle-t-il. Ils apprenaient à vendre, et la conversation avec les clients se limitait à surmonter leurs objections ou les convaincre des avantages d’un produit. Cette approche « produit » est bien différente de l’approche « conseil » demandée aujourd’hui à ces professionnels, qui exige de poser les bonnes questions pour bien connaître les clients. Les professionnels qui continuent d’agir plus en « vendeurs » s’exposent à des plaintes, voire à des poursuites. »

DES RESPONSABILITÉS CLAIRES

De fait, les responsabilités des professionnels du conseil financier ont été clairement rappelées au cours des dernières années par différents tribunaux. En mai 2015, dans l’une des décisions les plus emblématiques au Québec à cet égard, la juge Michèle Monast condamne CTI Capital valeurs mobilières inc. et son représentant de plein exercice en valeurs mobilières Milad Nassif à payer 245 490 $ avec intérêts.

Dans le préambule à sa décision, la juge décrit le rôle légal de mandataire du courtier en valeurs mobilières, lequel « a une obligation de loyauté et de conseil » et doit « faire preuve de prudence et de diligence dans l’exécution de ce mandat ». « Le courtier en valeurs mobilières, poursuit la juge, doit s’assurer de bien connaître les objectifs de placement de son client, de même que son niveau de tolérance au risque… Le courtier a une obligation de moyens et non de résultats. »

Bien qu’elle mette en cause un courtier en valeurs mobilières et son représentant, cette description s’étend à l’ensemble des professionnels du conseil financier. « C’est sur ces différents éléments que les autorités réglementaires ou les tribunaux se baseront pour déterminer si les professionnels ont bien ou mal fait leur travail », note Me De Zordo.

« Au fil des ans, la plupart des plaintes ou poursuites que nous avons eu à gérer ici étaient liées à un dossier mal étoffé, qui ne permettait pas de démontrer ce qui avait été dit, aussi bien par le professionnel que le client. »

Thomas Jolin

SA PAROLE CONTRE LA VÔTRE

Dans la cause impliquant CTI Capital valeurs mobilières, un des éléments qui a pesé en faveur de la plaignante a été l’incapacité, pour les défendeurs, de prouver concrètement que leurs agissements correspondaient aux demandes de leur cliente. Rien là pour étonner Thomas Jolin, associé directeur stratégies d’investissement à SFL Cité-de-Montcalm. « La plupart des plaintes ou poursuites que nous avons eu à gérer ici étaient liées à un dossier mal étoffé, ne permettant pas de démontrer ce qui avait été dit, aussi bien par le professionnel que le client », soutient-il.

Implanter un outil de gestion de clientèle efficace est pour lui un incontournable pour diminuer sa vulnérabilité. « Tous les courriels et les documents envoyés doivent être dûment consignés, la prise de note systématique et structurée, c’est crucial », dit-il.

Sans être convaincu de devoir aller jusque-là, il voit du positif dans l’enregistrement des conversations avec les clients, fait de manière ouverte et transparente, puisque cela protège les deux parties et permet de déterminer avec certitude ce qui a été dit ou non.

« Il faut avoir un système en place et le suivre avec constance. »

Me Karen M. Rogers

Parce que c’est souvent là où le bât blesse lors d’une plainte : il est difficile de prouver que l’on a dit ou pas quelque chose au client. Me Karen M. Rogers est associée au cabinet Langlois. Depuis 25 ans, elle a développé une grande expertise dans la représentation des institutions financières, des courtiers en valeurs mobilières et des compagnies d’assurance, incluant leurs représentants. Pour elle, dans une confrontation du type « ma parole contre la sienne », l’important est de pouvoir démontrer une grande rigueur dans son travail.

« Il faut avoir un système en place et le suivre avec constance, conseille-t-elle. Il faut toujours planifier les rencontres de la même manière, réviser les besoins aux mêmes intervalles, prendre des notes sur tout, en particulier les désaccords ou les moments où le client n’a pas suivi vos conseils. Si, par exemple, quelqu’un vous reproche erronément d’avoir dit ou fait quelque chose, vous pourrez au moins expliquer que c’est peu probable car vous mettez toujours une note au dossier lorsque vous dites ou faites cela et que, dans ce cas précis, il n’y a pas de note. Si vos procédés sont aléatoires et vos notes incomplètes, un tel argument n’aura aucune valeur. »

DES IDÉES REÇUES

Au-delà des méthodes de travail inadéquates, certaines idées reçues placent les professionnels dans des positions vulnérables. L’une d’elles concerne le partage des responsabilités entre eux et leur cabinet ou le grand distributeur auquel ils sont rattachés. « Souvent, les cabinets satellites des grands distributeurs comme Mica ou Horizon, ou encore les indépendants rattachés à ces distributeurs, pensent à tort que ces derniers sont responsables de la conformité, déplore Me Carolyne Mathieu, avocate et conseillère en conformité indépendante pour des cabinets de services financiers en assurances, placement et valeurs mobilières. Lorsqu’il y a un problème, c’est sur le professionnel que ça retombe, pas sur le distributeur. »

Daniel Guillemette cite une décision de justice de juillet 2006 qui va en ce sens. Dans cette cause, la fille et l’ex-conjoint d’une assurée décédée, dont ils étaient les bénéficiaires, poursuivent en dommages AIG du Canada, Services financiers Banque nationale (SFBN) du Canada et son représentant Christian Painchaud. La police d’assurance vie universelle de l’assurée avait été résiliée pour défaut de paiement de la prime. Or, les avis de déficit avaient été envoyés à la mauvaise adresse après un changement erroné communiqué à l’assureur par Christian Painchaud. Ce dernier soutient que l’assurée lui avait indiqué cette nouvelle adresse par téléphone, mais ne peut le prouver. L’assurée n’avait donc jamais été avisée des primes à payer.

En 2014, 30 % des infractions alléguées dans des demandes d’enquête à la CSF concernaient le non-respect de la procédure de remplacement et 26 % les informations ou explications incomplètes, mensongères ou trompeuses.

Christian Painchaud et SFNB ont été condamnés à verser solidairement 100 000 $ à chaque bénéficiaire, alors qu’AIG n’a pas été tenue responsable. Dans sa défense, Christian Painchaud soutenait que l’assurée aurait dû savoir qu’elle devait payer ses primes annuellement sans qu’il fût nécessaire de le lui rappeler. Une erreur qui illustre une fausse perception répandue.

« Le non-paiement d’une prime devrait alerter le professionnel et le faire réagir, car c’est sa responsabilité de contacter l’assuré pour savoir pourquoi la prime n’a pas été payée, de l’informer des conséquences éventuelles du non-paiement et de rétablir la situation. Le problème, c’est qu’il s’en remet à l’assureur, puisque c’est lui qui a envoyé la lettre à l’assuré. Dans le Code civil du Québec, le conseiller est à la fois mandataire de l’assureur et de l’assuré. »

Cette responsabilité ne se limite pas aux conseillers en sécurité financière. Tous les professionnels du conseil financier sont concernés.

COMMENT SE PROTÉGER ?

Pour aider les professionnels à systématiser leur approche et développer des processus de conformité étanches, le Conseil des professionnels en services financiers (CDPSF) a lancé Unité 10, en collaboration avec le cabinet d’avocat Bernier Beaudry Inc. Pour coïncider avec la nouvelle période de formation obligatoire 2015-2017, le programme a débuté cet automne.

Les participants suivent sept heures de formation en salle, puis accueillent dans leurs bureaux des avocats qui font une inspection de trois heures. « Le représentant reçoit ensuite un rapport assorti de recommandations, toutes les politiques obligatoires qui concernent sa pratique et un coffre à outils comprenant tous les documents qu’il doit compléter dans le cadre de son exercice », explique Me Manon Turmel, avocate chez Bernier Beaudry.

« Même si la majorité des conseillers connaissent les grandes lignes établies par la loi et les régulateurs, qui peut affirmer aujourd’hui connaître en détail la jurisprudence disciplinaire s’appliquant à son domaine ? questionne Mario Grégoire, directeur général du CDPSF. En cas d’enquête ou de plainte, la méconnaissance de cette jurisprudence peut coûter très cher, mais surtout mener à une perte de sa réputation ou de clientèle actuelle ou future, même si le conseiller a été de bonne foi en toutes circonstances. »

Me Mathieu et Me Rogers offrent elles aussi des formations et du conseil. Malheureusement, les deux font le même constat : les professionnels ont recours à leurs services quand ils sont déjà aux prises avec une plainte ou une poursuite.

C’est peut-être le principal apprentissage qui reste à faire pour se protéger : la prévention a une valeur inestimable et la conformité est surtout lourde pour ceux qui l’attaquent à reculons. Mieux vaut y aller franchement et s’assurer de la maîtriser. « Ce qu’il faut, c’est développer une culture de la conformité », conclut Me Carolyne Mathieu.

Quel rôle pour l’assurance professionnelle ?

Peut-on compter sur l’assurance professionnelle lors d’une poursuite ? Oui, à condition d’avoir négocié un bon contrat.

Certes, votre assurance professionnelle vous couvre en cas de pépin avec un client. Encore faut-il avoir choisi le niveau de protection adéquat. En effet, « il y a énormément de disparités entre les contrats d’assurance, prévient Me Carolyne Mathieu. Trop de professionnels connaissent mal leur contrat et ne sont pas aussi bien couverts qu’ils le croient ».

Afin d’éviter une poursuite, plusieurs assureurs prennent en charge rapidement une insatisfaction exprimée par un client en désignant d’office des experts pour tenter de négocier un règlement.

Avant de signer, posez les bonnes questions. Parmi les plus importantes :

  • Quelles dépenses sont couvertes ?
  • Y a-t-il des franchises à payer ?
  • Quels sont les avenants dont j’ai besoin ?
  • L’avocat sera-t-il imposé par l’assureur ?
  • L’assurance me couvre-t-elle devant toutes les instances, y compris la CSF et le Bureau de décision et de révision de l’AMF ?

• Ce texte est paru dans l’édition d’avril 2016 de Conseiller.

Jean-François Venne