Soulagez vos clients endettés

Par Claude Couillard | 24 août 2016 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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• Ce texte est paru dans l’édition de mai 2004 de Conseiller. Il est aussi disponible en format PDF. Vous pouvez également consulter l’ensemble du numéro sur notre site Web.


Les statistiques le démontrent : les Québécois vivent plus que jamais à crédit. Faut-il s’inquiéter de ce phénomène? Les avis divergent, mais une chose est certaine : vous avez un rôle à jouer auprès de vos clients qui sont dans cette situation.

Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Les consommateurs canadiens détiennent deux fois plus de cartes de crédit qu’il y a 10 ans. Durant la même période, les soldes impayés ont quadruplé, atteignant 44 milliards de dollars en 2002, selon l’Association des banquiers canadiens. Dans l’ensemble, le niveau d’endettement des particuliers (cartes de crédit, prêts personnels et hypothécaires) n’a cessé de croître ces dernières décennies, rapporte Statistique Canada, passant graduellement de 77,3 %, en 1989, à 102,9 % du revenu personnel disponible en 2003, un niveau quatre fois supérieur à celui de 1982.

De quoi s’alarmer? Daniel Gladu, de la Banque de Montréal, pense que oui. «C’est bien beau s’endetter, mais vient le moment où il faut payer la dette. Si les gens ne la règlent pas de leur vivant, c’est la succession qui devra s’en charger», prévient le planificateur financier des Hautes-Laurentides. «C’est sûr qu’avec toutes les occasions, aujourd’hui, de louer une voiture à long terme, de payer ses meubles dans trois ans et tout le crédit de plus en plus facile à obtenir aujourd’hui, ça encourage des gens à s’endetter de façon un peu abusive», enchaîne Anick Dupuis, directrice de comptes et planificatrice financière à la Banque Nationale.

UNE QUESTION DE RATIO

Inquiétude généralisée chez les professionnels du placement? Pas si sûr… Tel un pavé lancé dans la mare, la RBC avançait en mars dernier que l’idée reçue selon laquelle les ménages nord-américains accumulent des niveaux de dettes désastreux manque totalement de fondement. Et vlan! «On a accordé trop d’importance à des indicateurs notoirement erronés», déclare son premier économiste au Québec, John Anania. Il s’oppose notamment à l’utilisation du ratio endettement/revenu comme principal barème. La logique: l’endettement est remboursé en plusieurs années, alors que le revenu disponible utilisé dans le calcul est celui d’une seule année.

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Opinion partagée par Jean Mathieu, vice-président principal de la Gestion privée au sein de Montrusco Bolton. En lieu et place, il préfère le ratio actifs/dettes. «À ce chapitre, le ratio au Canada est relativement stable. Il est actuellement de quatre fois plus d’actifs que de dettes. En 1990, on était aussi à quatre; en 1980 et en 1970, à 4,2.» D’où son attitude «zen» en regard des niveaux d’endettement records du nouveau millénaire. «On est dans une période où la richesse est grande. Les taux d’intérêt sont très bas. L’inflation est faible. Et on voit que les ratios sont stables, rappelle M. Mathieu. Même si les taux d’intérêt augmentaient graduellement de 1 ou 2 % d’ici trois ans, ça n’engendrerait pas quantité de faillites.»

Ces faibles hausses prévues à court terme n’inquiètent également pas le vice-président de la Federal Reserve, Roger W. Ferguson. N’empêche que, avec les niveaux d’endettement actuels et les taux d’épargne historiquement à leur plus bas, bien des ménages américains sont sur la corde raide, estime le bras droit d’Alan Greenspan. Plus qu’une hausse des taux, il appréhende les effets dévastateurs d’une chute fortuite des revenus des contribuables. En effet, un divorce, la perte du conjoint, la maladie, une perte d’emploi sont si vite arrivés. Pareille crainte pourrait facilement trouver écho de ce côté-ci de la frontière…

AU CONSEILLER DE SONNER LA CLOCHE

Que faire avec ses clients aux prises avec des problèmes d’endettement? «Ils ne sont pas toujours issus des milieux moins favorisés d’ailleurs, soutient un planificateur financier d’expérience, qui préfère garder l’anonymat. Une cliente médecin m’a confié sa surprise de voir le peu d’empressement de plusieurs collègues à cotiser à leur REER.» Les sensibiliser au problème du crédit et les aider à se sortir du pétrin, exercice délicat s’il en est un? «Absolument, affirme sans hésiter Mme Dupuis. Regarder l’ensemble du portrait financier du client, c’est notre responsabilité. Quand on n’arrive pas à rembourser les cartes de crédit et qu’on paye 20 % ou 28 % d’intérêt, c’est peut-être parce qu’on n’a pas rencontré un professionnel.» S’il est plus agréable de souligner le rendement prometteur et les bons coups boursiers que d’actionner la sonnette d’alarme, on se doit «de démontrer, ratios à l’appui, que la situation d’un client se détériore si on veut faire un travail professionnel, estime M. Gladu. Quand un client commence à s’approcher du fameux ratio d’endettement total de 40 % par rapport à son revenu brut, il faut sonner la cloche.»

Oui, mais par où commencer? «Le conseil le plus banal que je puisse donner, mais que peu de gens suivent, c’est de faire un budget réaliste et de le respecter, explique Daniel Lefebvre, conseiller de l’équipe de planification financière de la Fédération des caisses Desjardins du Québec.J’ai rencontré plusieurs clients fortunés qui ne se livraient pas à cet exercice et qui dépensaient plus qu’ils ne gagnaient. Avec les logiciels en vente aujourd’hui, il n’y a plus de raison de l’éviter!»

«Souvent, les gens veulent liquider leur hypothèque plus rapidement, même si, pendant ce temps, ils accumulent des dettes de cartes de crédit», fait-il aussi observer. Il recommande par conséquent de rembourser en priorité les dettes grevées des taux les plus élevés. «Et toujours rembourser les prêts non déductibles en premier», dit-il. Pour ensuite régler les autres soldes suivant l’ordre décroissant des taux d’intérêt. «C’est encourageant», fait remarquer M. Gladu. Pour bien leur faire saisir l’importance qu’occupe le crédit chez eux, Mme Dupuis suggère à ses clients endettés de transformer ce qu’elle appelle les intérêts en dollars. «Surligner en jaune les intérêts impayés sur les relevés de cartes et imaginer ce qu’on pourrait faire avec ça, expose-t-elle. Faire réaliser au client qu’il paye des centaines, voire des milliers, de dollars par année en intérêts, ça frappe plus que de lui rappeler qu’il paye 28 % sur son solde.»

M. Gladu souligne qu’en diminuant le poids de leurs dettes les particuliers touchés libèrent du coup de l’argent pour leurs investissements. «Tout le monde y gagne. Le client est plus heureux, le planificateur aussi. Et on garde nos clients!» Dans certains cas, il vaut la peine de liquider les placements hors REER dans le but de remettre les compteurs à zéro et d’emprunter de nouveau pour rebâtir un portefeuille. «On prend ainsi des dettes qui portent des intérêts non déductibles pour les rendre déductibles», informe-t-il. Preuve que les problèmes de financement des gens ne découlent pas nécessairement de dépenses excessives, mais souvent d’une structure de financement inadéquate, comme le précise Mme Dupuis.

Toutefois, vient parfois un moment où le poids des dettes exige l’ultime solution pour éviter la faillite: une consolidation. «Pas toujours facile à obtenir, car la banque porte tous les risques sur ses épaules, note la directrice de comptes à la Banque Nationale. Et on ne la fait qu’une fois», insiste-t-elle. Concrètement, cela veut dire «couper et oublier ses cartes de crédit» et, à la manière d’un régime minceur, adopter de nouvelles habitudes de consommation pour ne pas retomber dans le même gouffre financier. Adieu achats compulsifs, bonjour discipline et rigueur!

UN DRAME HUMAIN

Reste que les aspects les plus dramatiques d’une situation de surendettement se situent sur le plan humain, peut-on lire dans un document intitulé Dans la marge jusqu’au cou, publié par l’Association coopérative d’économie familiale du Sud-Ouest. «Concrètement, l’éclatement des couples et des familles, l’alcoolisme ou la dépression sont quelques-unes des conséquences pouvant découler du problème de la surutilisation du crédit», révèle l’organisme montréalais. Dans ces cas, difficile pour le conseiller de faire abstraction de la dimension émotive, de se contenter d’aligner des chiffres et de soupeser des scénarios de sauvetage.

L’important, c’est d’abord d’aller chercher la confiance du client, préconise M. Gladu. «Démontrer de l’empathie et de l’encouragement, lui dire qu’on va trouver une solution, spécifie-t-il. Tenter d’alléger une atmosphère parfois lourde pour en arriver, à la fin de la rencontre, à une solution.» Et éviter à tout prix les propos moralisateurs. «L’idée est d’en arriver à un plan de match clair, précis, réalisable et encourageant pour les clients, de telle sorte qu’ils s’en sortent.» Est-ce que ça marche? «En général, je dirais que ça s’est bien passé, constate-t-il. La qualité de la relation que le conseiller entretient avec son client va peut-être donner un peu plus de poids à ses affirmations.»

Seulement, en cette époque de recherche de gratification immédiate et de crédit facile, certains investisseurs surendettés font la sourde oreille. «Le problème qu’on vit, c’est que, malgré toute la bonne volonté qu’on veut bien y mettre, certains clients vont faire à leur tête et aller voir ailleurs», déplore M. Gladu. Les sources de crédit abondent tellement de nos jours… «On est toujours très bon, très gentil quand on dit oui, a-t-il remarqué. Et on est toujours incompétent quand on dit non…» Mais ceux qui s’en sortent font des clients pour la vie, se réjouit-il.

SUGGESTION DE LECTURE

Crédit, qui es-tu?

«LE CRÉDIT FAIT DES RAVAGES», écrit sans ambages Gérard Duhaime dans La vie à crédit – consommation et crise. Jamais les ménages n’ont surnagé dans des dettes aussi importantes; jamais les faillites personnelles n’ont été aussi nombreuses,rapporte le professeur de sociologie.Qui sont ces surendettés? Quels chemins parcourent-ils pour tomber ainsi dans le piège? se demande-t-il. Paru aux Presses de l’Université Laval, son ouvrage propose un regard original, à la fois sociologique, historique, psychologique et économique, sur les facteurs qui peuvent mener au surendettement. Loin d’en faire un traité spécialisé, le chercheur adopte plutôt le ton du récit, au moyen d’un judicieux mélange de portraits, de données et d’analyses.Il définit notamment quatre types d’individus susceptibles d’être aspirés dans le cycle infernal du surendettement : les vulnérables, les malchanceux, les parvenus et les compulsifs. Personnalités dans lesquelles on se surprend à se reconnaître, en plus ou moins grande partie. Une autre qualité du livre est d’explorer les mentalités à l’égard du crédit dans le contexte particulier du Québec, où langue et, surtout, catholicisme ont imprégné les gens d’un rapport différent à l’argent, distinct des influences protestantes observées dans le reste de l’Amérique du Nord.

LA VIE À CRÉDIT – CONSOMMATION ET CRISE Gérard Duhaime, 344 pages, 2003, Les Presses de l’Université Laval.


• Ce texte est paru dans l’édition de mai 2004 de Conseiller. Il est aussi disponible en format PDF. Vous pouvez également consulter l’ensemble du numéro sur notre site Web.

Claude Couillard