Surestimé, le tête-à-tête avec un conseiller?

Par La rédaction | 9 janvier 2018 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
5 minutes de lecture

Le secteur de la gestion de fortune devra tôt ou tard faire sa mutation numérique et renoncer à proposer aux investisseurs des rencontres avec un conseiller en chair et en os, estime le président-directeur général de Saxo Bank Suisse Patrick Hunger dans LeTemps.

Dans un article publié en début de semaine, Patrick Hunger commence par rappeler que le modèle d’affaires de ce segment repose aujourd’hui en partie sur des robots-conseillers, ou plus précisément « des plateformes d’investissement numériques qui proposent des recommandations de placement automatisées ».

Tous ces algorithmes ont en commun « la volonté de permettre la scalability [capacité d’adaptation à un changement d’ordre de grandeur de la demande] de la gestion de fortune, de conquérir de nouveaux segments de clientèle jusqu’alors peu intéressants et d’offrir aux clients une transparence optimale en termes de coûts et de performances », explique le dirigeant. Or, note-t-il, cela entraîne une forte pression sur les volumes et les marges des gérants de fortune, qui dès lors sont confrontés « à un dilemme stratégique entre les canaux de distribution en ligne et hors ligne », dilemme auquel ils répondent en proposant à leurs clients une « voie hybride » forcément imparfaite.

« LE SECTEUR VEUT RETARDER SA MUTATION »

« De la même manière que l’industrie automobile a utilisé la propulsion hybride pour répondre aux exigences de la société (…) tout en essayant de freiner les progrès technologiques de développement de moteurs purement électriques, le secteur de la gestion de fortune cherche à imposer des solutions intermédiaires ou mixtes : en proposant le robot-conseiller comme un canal bon marché parallèlement au conseiller « physique », il tente de maintenir la segmentation entre affaires et groupes de clients à fortes et à faibles marges, de contrôler l’évolution du comportement des clients et, finalement, d’enrayer ou tout au moins retarder la mutation du secteur », analyse Patrick Hunger.

Le problème, souligne-t-il, c’est que « cette voie hybride ignore foncièrement le fait que les plateformes de robots-conseillers ne constituent pas un modèle d’affaires en soi » mais simplement « un phénomène de mode » et « la manifestation de la mutation numérique vers la communication homme-machine ». En réalité, soutient le P-DG de Saxo Bank, les automates révèlent la supériorité de la « technologie extensible » (ou scalable) et devraient donc plutôt être vus « comme une incitation à désegmenter la gestion de fortune ».

Ce qui n’est pas le cas, puisque le secteur s’évertue à conserver le traditionnel entretien de conseil personnalisé en le présentant comme un avantage par rapport à la concurrence. Pourtant, met en garde Patrick Hunger, « l’importance de la prestation de conseil par des personnes dans la gestion de fortune semble surestimée », alors qu’en même temps, « la confiance dans la technologie va croître de façon exponentielle » et que « de nombreux acteurs du marché seront pris de court par la rapidité de cette mutation ».

LA MACHINE PRENDRA LE PAS SUR L’HUMAIN

« Des assistants numériques dotés d’intelligence artificielle étendront massivement les fonctions des robots-conseillers qui, de simples conseillers en produits indiciels passifs, évolueront pour devenir des machines dotées d’une compétence active en stratégie d’investissement », prévoit le dirigeant. Celui-ci pense même que ce phénomène entraînera l’arrivée dans l’industrie d’« entreprises technologiques étrangères au secteur », par exemple Facebook.

À l’instar du constructeur automobile suédois Volvo, qui délaisse aujourd’hui de plus en plus les moteurs à explosion traditionnels au profit du moteur électrique, Patrick Hunger appelle le secteur de la gestion de fortune à « renoncer à l’entretien de conseil avec un conseiller physique » et souligne que, dans ce domaine aussi, « la « voiture électrique » est désormais l’objectif à atteindre ». « Les établissements de gestion de fortune traditionnels ont tout intérêt à participer à cette évolution, que ce soit de leur propre initiative ou via l’association, souvent plus avantageuse, avec des partenaires fournisseurs de technologies et de plateformes qui appartiennent ou non à l’écosystème financier [open banking] », souligne-t-il.

Si le conseiller « en chair et en os » demeure pour l’instant au cœur du processus en matière de gestion de fortune, le P-DG de Saxo Bank juge que ses jours sont comptés. « Dans le futur, prévoit-il, cette place reviendra à la machine. L’informatique cognitive et le big data [analyse de données] permettent une interaction apprenante, argumentative, contextuelle et itérative entre l’homme et la machine. » Sa conclusion? « L’entretien de conseil personnel avec un gestionnaire de fortune constituera une exception et sera proposé comme une prestation complémentaire payante « à la demande ». L’avenir appartient au gestionnaire de fortune numérique. »

La rédaction vous recommande :

La rédaction