Tolérance au risque ou intolérance aux pertes?

Par Denis Preston | 28 octobre 2016 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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Une des composantes du profil d’investisseur est la tolérance au risque. Elle est souvent estimée à l’aide de questions sur la volatilité des rendements ou en utilisant l’écart type d’un portefeuille. Pourtant, l’écart type n’est pas un concept facile à comprendre pour les clients qui n’ont pas une formation en statistiques.

Selon plusieurs études en finance comportementale, il faudrait plutôt parler d’intolérance aux pertes (loss aversion), voire d’intolérance aux pertes certaines (aversion to sure loss). Voici deux questions qui permettent d’illustrer ces concepts :

1. Laquelle des options suivantes choisissez-vous ?

  • A ) Un gain certain de 2 400 $.
  • B ) 25 % de probabilité de gagner 10 000 $ et 75 % de probabilité de ne rien gagner.

2. Et laquelle de ces deux propositions ?

  • C ) Une perte certaine de 7 500 $.
  • D ) 75 % de probabilité de perdre 10 000 $ et 25 % de probabilité de ne rien perdre.

Selon le professeur Hersh Shefrin[1], environ deux tiers des gens choisissent la combinaison A & D.

Le choix A est logique pour une personne qui a une aversion au risque (risk averse). La moyenne des gains de l’option B est de 2 500 $ (100 $ de plus que l’option A), mais la volatilité des résultats est élevée : 0 $ ou 10 000 $. L’écart type de l’option B est de 4 303 $, alors que celui du choix A est nul.

L’option B est quant à elle logique pour une personne qui a une forte propension au risque (risk seeking) ou un optimiste attiré par le gain potentiel de 10 000 $.

Quant à la deuxième question, une personne qui a une aversion au risque devrait choisir C plutôt que D : les deux options ont la même moyenne de pertes (- 7 500 $), mais l’option D est nettement plus volatile (0 $ ou – 10 000 $). L’écart type de D est aussi de 4 303 $, comme pour B.

La combinaison A & D contredit donc la théorie moderne du portefeuille (qui date des années 1950 !) selon laquelle les investisseurs choisissent leurs placements en fonction de l’arbitrage rendement-risque.

Selon cette même théorie, un des rôles importants du représentant est de choisir des fonds qui correspondent au profil d’investisseur de ses clients. Malheureusement, le classement des fonds par l’industrie obéit à des critères (écart type, ratio de Sharpe, etc.) qui correspondent peu à la perception des risques par les clients et à leurs réactions émotionnelles changeantes lors des fluctuations importantes des marchés financiers.

La finance comportementale est plus axée sur la relation avec les clients et la rédaction d’une politique de placement. Cette dernière permet au représentant de discuter avec ses clients de la stratégie à adopter lorsque les prochaines corrections se produiront. Il faut éviter de dire « si » une correction se produit. Les clients pourraient comprendre qu’il est possible qu’il n’y en ait pas dans l’avenir.

Ils seront moins surpris quand elles se produiront puisque vous aurez abordé le sujet alors qu’ils étaient calmes. Il est important qu’ils réalisent ce que des baisses des marchés de 20 %, 30 % et 40 % des actions représentent en dollars, car c’est plus concret pour eux. La théorie dite « moderne » du portefeuille sous-estime cet aspect de la psychologie des investisseurs.

Il est aussi recommandé de faire signer la politique de placement et non pas seulement les documents d’ouverture de compte et de profil d’investisseur. Cela accentue la sensibilisation des clients : lors de corrections, il est plus facile de leur rappeler l’importance de conserver une stratégie à long terme. Cela devrait aussi diminuer la probabilité de plaintes.

Une politique de placement détaillée comprend un rééquilibrage des portefeuilles qui prévoit de revenir à la répartition cible après des fluctuations importantes des marchés boursiers. Ainsi, lors de corrections boursières, les clients achètent des actions plutôt que d’être tentés d’en vendre.

Cela devrait vous donner une valeur ajoutée comparativement à vos concurrents, car en pratique, les clients n’obtiennent pas le rendement des fonds. Selon l’étude A Behavioral Take on Investors Returns de Dimson, Marsh, Stauntom, Mauboussin, Credit Suisse Global Investment, les investisseurs américains ont tendance à acheter un fonds d’actions après une hausse du marché et à le vendre après une correction. Ils achètent haut et vendent bas. Les rendements obtenus par les détenteurs de fonds seraient ainsi d’environ 1,5 % inférieurs aux rendements des fonds qu’ils détiennent. L’écart serait même plus prononcé, selon la firme Dalbar.

Le rééquilibrage et l’encadrement du comportement des clients sont parmi les facteurs les plus importants de valeur ajoutée d’un représentant, comme le rappelle l’étude L’attribution d’une valeur à votre valeur : quantifier l’alpha du conseiller de Vanguard.

Denis Preston

Denis Preston

Denis Preston, CPA, CGA, FRM, Pl. Fin., est formateur et consultant.


[1] Voir Behavioral Risk Management : Managing the Psychology that Drives Decisions and Influences Operational Risk


• Ce texte est paru dans l’édition d’octobre 2016 de Conseiller. Il est aussi disponible en format PDF. Vous pouvez également consulter l’ensemble du numéro sur notre site Web.

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