Transparence : deux poids, deux mesures?

Par La rédaction | 12 avril 2016 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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En plein scandale des Panama Papers, l’affaire de « la banque qu’on ne peut nommer » continue de susciter l’incompréhension de certains chroniqueurs et professionnels du secteur financier.

Les grandes institutions financières canadiennes jouissent-elles d’un traitement de faveur auprès des autorités, en particulier du Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada (CANAFE)? Oui, répond la presse québécoise.

Une banque canadienne a été condamnée à payer une amende de plus de 1,1 M$ pour avoir omis de rendre compte d’une transaction suspecte dans une histoire de blanchiment d’argent, mais son nom n’a pas été divulgué par l’organisme fédéral. Pourquoi? Près d’une semaine plus tard, le mystère demeure entier… et le malaise aussi.

« LE CANAFE A ENFREINT SES RÈGLES »

L’agence fédérale a invoqué son « droit discrétionnaire » pour justifier son choix de ne pas divulguer le nom de l’établissement pris en faute, tout en expliquant qu’elle entendait ainsi envoyer « un message de dissuasion ». Une décision qui n’a pas convaincu les spécialistes interviewés par La Presse canadienne.

Certains jugent que le CANAFE a enfreint ses propres règles. C’est notamment le cas de Matthew McGuire, un expert en crimes financiers au sein de la firme torontoise Securefact.

D’autres croient que la non divulgation de l’identité de la banque fautive pourrait avoir fait partie d’un accord conclu entre le CANAFE et l’établissement concerné. Autrement dit, en échange d’une promesse d’anonymat, ce dernier aurait accepté de renoncer à entamer une procédure d’appel potentiellement longue et coûteuse devant les tribunaux… et de payer les 1 154 670 $ d’amende.

UNE ERREUR ÉTHIQUE

Interrogé par Conseiller, le planificateur financier Michel Mailloux, expert en conformité et en déontologie, se dit lui aussi « très surpris » de l’attitude du CANAFE.

« Il est vrai que le Centre publie des informations sur une base discrétionnaire, mais on passe ainsi un très mauvais message du type « too big to go to jail« , autrement dit : si on est gros, on est moins pénalisé. Il est probable que, dans ce cas, les autorités ont cru que cette nouvelle pourrait miner la confiance face à l’institution. Mais d’un point de vue éthique, il s’agit d’une erreur notable. »

« Les problèmes éthiques sont du même type que ce qu’on a vu avec KPMG, c’est-à-dire que les fraudeurs et leurs conseillers bénéficient de privilèges que les gens ordinaires n’ont pas, poursuit le spécialiste. Ici, on a une banque qui est traitée de la même manière. Appelons un chat un chat. Les Américains ont condamné HSBC ou UBS. Pourquoi un passe-droit au Canada? »

Pour éviter ce genre de problème, « le CANAFE devrait revenir à la publication systématique de toutes les pénalités sans exception », croit Michel Mailloux.

« UN SECRET EXTRÊMEMENT DÉRANGEANT »

Déplorant un secret « extrêmement dérangeant », la chroniqueuse de La Presse Ariane Krol estime de son côté que la stratégie adoptée par le chien de garde fédéral aboutit à « émousser dangereusement » l’effet dissuasif qu’une telle sanction aurait pu avoir sur l’ensemble du secteur financier.

Même si elle dit « pouvoir comprendre que le CANAFE ait choisi “ un tiens ” plutôt que deux “ tu l’auras ” et préféré une amende exemplaire à des procédures incertaines », elle critique cette décision.

« Les entreprises peu scrupuleuses ont tendance à considérer que les pénalités auxquelles elles s’exposent font partie des risques d’affaires, écrit-il. En protégeant ainsi l’identité d’un contrevenant, le Centre donne à penser que le prix à payer se limite au montant de l’amende, et que les institutions financières n’ont rien à craindre pour cet actif inestimable qu’est leur image. Dans le genre dissuasif, on peut imaginer mieux. »

DE QUELLE BANQUE S’AGIT-IL?

Déjà sous le feu des projecteurs avec le scandale des Panama Papers, la Banque Royale a assuré qu’elle n’était pas la banque sanctionnée. Ce n’est pas Desjardins non plus, qui n’est pas une banque à charte fédérale.

Contactées par L’actualité, la Banque Laurentienne, la Banque Nationale, la TD et la Scotia assurent elles aussi ne pas avoir été prises en défaut. La Banque de Montréal et la CIBC ont répété la même chose au Toronto Star. Ce qui laisse dans la liste des suspects 15 petits joueurs canadiens et 36 filiales d’institutions étrangères en activité au Canada.

Toutefois, le CANAFE a déclaré avoir sanctionné une banque canadienne. Peut-on considérer les petits joueurs et filiales étrangères comme tels?

Interrogée de nouveau par Conseiller, Renée Bercier, porte-parole du CANAFE, s’est bornée à répéter que « la pénalité a été imposée à une institution financière sous réglementation fédérale ».

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