Triste page d’histoire

Par Yves Bonneau | 27 février 2014 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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La sortie de prison de Vincent Lacroix le mois dernier vient clore le dernier chapitre de la plus grande fraude financière au Québec (touchant des épargnants). Mais tous ceux qui ont été mêlés à cette sombre affaire ressassent encore aujourd’hui le triste bilan de cette période gâchée de leur vie, toujours écorchés, dix ans après.

On ne le répétera peut-être jamais assez : les épargnants qui ont été victimes de Norbourg, comme ceux qui se sont fait rouler dans d’autres causes de plus petite envergure, sont des victimes silencieuses qu’il faudrait écouter davantage pour apprendre des erreurs du passé.

Est-ce que l’industrie a appris de ces fraudes? Sans doute. Certains en ont profité plus que d’autres, les indépendants ont casqué davantage. Les autorités de réglementation ont demandé des resserrements réglementaires et ont embauché plus de gendarmes pour quadriller le terrain, mais la question demeure entière : les épargnants sont-ils mieux renseignés?

Yves Bonneau, rédacteur en chef du magazine Conseiller.

Si l’on se fie aux réponses données par les retraités fraudés que notre collègue Rémi Maillard a interviewés dans la foulée de la libération de Vincent Lacroix, il faut croire qu’on a encore beaucoup de chemin à faire en matière de littératie financière de base au Québec.

Réal Ouimet, Michel Vézina et le Dr Pellemans ont répondu spontanément à nos questions. Ils ont passé les dernières années dans les couloirs des palais de justice à parler du dossier avec d’autres victimes, à discuter avec des avocats spécialisés, à interroger l’AMF sur leurs avoirs, à tenter de comprendre ce qui leur arrivait alors que ce tourbillon se déchaînait sur eux. À la question : « Quels conseils donneriez-vous à un investisseur aujourd’hui à la lumière de ce qui vous est arrivé? », on lit leurs commentaires et on est frappé.

Par exemple, l’un d’eux ne fait pas la différence entre un planificateur financier et un représentant en épargne collective, l’autre conseille d’investir dans des fonds américains parce que, dit-il, aux États-Unis les peines sont plus lourdes pour les fraudeurs. Le dernier déclare que le fonds d’indemnisation a renfloué les épargnants qui ont fait affaire directement avec Vincent Lacroix.

Imaginez si ceux qui ont été de toutes les batailles de cette affaire confondent des éléments de base combien l’épargnant moyen peut être perdu!

Au-delà des 130 millions évanouis et retrouvés sous la forme d’un gruyère grâce au règlement hors cour, au-delà des frais d’avocat exhorbitants, au-delà des entourloupettes juridiques qui ont permis de vider le fonds d’indemnisation sur des prétentions plus que discutables, au-delà des vies diminuées, brisées, anéanties par cette loterie instantanée de l’appauvrissement, il demeure que toutes ces années après Norbourg, le petit épargnant est probalement encore un illettré financier.

Il s’agit d’un constat plutôt désolant. Que les gens reconnaissent davantage l’acronyme de l’AMF est déjà une petite victoire, mais connaissent-ils vraiment le rôle du régulateur? Apparemment très peu.

Les victimes de Norbourg ont d’ailleurs une très mauvaise opinion de notre organisme de réglementation. À tort ou à raison, ils croient que ce dernier est responsable de leurs malheurs. Voilà qui dénote une importante lacune sur le plan des communications de la part de l’AMF, qui ne semble pas pouvoir se défaire de cette image négative qui lui colle à la peau.

Certes, le premier coupable est habituellement le consommateur lui-même par son laxisme et son manque d’intérêt pour la chose financière. Évidemment, quand une fraude est commise par un conseiller dûment inscrit à l’AMF, peu importe le niveau de littératie financière du consommateur, il s’agit d’un acte fortuit et personne ne peut prévoir un tel dénouement, de la même manière que personne ne peut savoir si sa maison sera un jour cambriolée. D’où le besoin d’assurances.

Avec un conseiller inscrit qui commet une fraude, le système est assez efficace. Aussitôt la preuve faite, l’épargnant est indemnisé presque entièrement, et ce, sans frais d’avocat. Il faut se demander combien de consommateurs comprennent réellement tout cela quand leur premier réflexe est de dire qu’en allant « à la banque » tous leurs avoirs sont protégés.

Pourtant, dans le cas de fraudes de gestionnaires, il n’y a pas de protection des actifs : c’est niet, nada, pas une miette!

Le cas de Norbourg est unique en ce sens qu’il s’agit d’une fraude de gestionnaire. (Vincent Lacroix n’a jamais vendu personnellement des parts de ses fonds à des épargnants.) Toutefois, étant donné que la Caisse de dépôt et placement y a été mêlée, on a décidé de régler cette histoire hors cour. L’image de la Caisse aurait pu être ternie et cela lui aurait valu un tort financier important.

Le problème, néanmoins, reste entier. On a beau avoir augmenté à quelque 150 le nombre d’inspecteurs à l’AMF qui s’évertuent à inspecter des petits cabinets, comment voulez-vous pincer un gestionnaire qui traficote ses états financiers ou ses rapports de compte en fidéicommis? Les fraudés de Norbourg ont peut-être raison de dire qu’une autre catastrophe est possible…

Et que dire des conseillers qui ont aussi été victimes de Vincent Lacroix, qui ont soit tout perdu, soit perdu la confiance d’amis, de proches, de parents, à la suite de cette déconfiture? Il n’y a jamais eu de fonds d’indemnisation pour ces victimes silencieuses, même si elles y ont contribué.

Un conseiller sans reproche comme Gilles Viel pourrait vous en parler longtemps, de ces anciens clients et ex-amis qui changent de trottoir quand ils le rencontrent…

Yves Bonneau, rédacteur en chef yves.bonneau@objectifconseiller.rogers.com

Yves Bonneau