Troisième partie
Big Brother vous surveille… Mais qui surveille Big Brother?

Par Stéphane Desjardins | 9 septembre 2013 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
5 minutes de lecture

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Pas imputable

L’AMF est un organisme autonome placé sous l’autorité directe du ministre des Finances du Québec et non celle de son ministère. La loi fixe le mandat de l’AMF et balise ses actions. Au ministère des Finances, on confirme qu’une équipe effectue une « vigie administrative » de l’AMF, sous l’autorité du sousministre Richard Boivin, tout en préservant son indépendance pour qu’elle puisse appliquer les lois et faire son travail sans interférence. « Techniquement, ils ont des comptes à rendre au gouvernement.

Dans les faits, ils sont au-dessus des lois », accusent plusieurs conseillers. « En théorie, l’imputabilité est politique, avec un ministre de tutelle. Une fois qu’on dit ça, l’expertise existe-t-elle pour exercer cette tutelle? », s’interroge Michel Magnan, professeur de comptabilité financière à l’Université Concordia et titulaire de la Chaire Lawrence Bloomberg. Québec rétorque laconiquement qu’elle l’a. « Il y a une surspécialisation : un sous-ministre doit avoir des arguments béton s’il est en désaccord avec le président de l’AMF », ajoute Jean-François Germain.

L’AMF dispose aussi en son sein d’un Conseil consultatif de régie administrative, dont les membres sont nommés par le ministre. Mais leur mandat et leurs recommandations s’attardent habituellement à des questions de portée générale. M. Magnan dénonce le flou artistique de cette chaîne de pouvoirs.

Alain Paquet incite pour sa part les dénonciateurs à s’adresser directement au ministre. « À l’époque, je posais tellement de questions à Jean St-Gelais, lorsqu’il était PDG de l’AMF, qu’on croyait que je voulais sa tête! J’avais son oreille, dit-il. Et on ne se gênait pas pour l’interroger en Commission des finances publiques. » Mais il déploreque les questions pointues touchant l’AMF séduisent peu les parlementaires. M. Paquet devait même se battre pour gagner une heure à l’ordre du jour de la Commission. Louis Morisset, le nouveau PDG de l’AMF, pourrait aussi se faire interroger par les députés formant la Commission de l’administration publique, qui examine les finances et la gestion des organismes publics. « Mais cela n’a pas été fait depuis des années, dénonce Christian Dubé, député de Lévis et critique en matière de Finances pour la Coalition Avenir Québec (CAQ). L’AMF fait partie d’une soixantaine d’organismes dont les députésne voient jamais les opérations financières lors de l’étude des crédits. Oubliez les questions pointues sur leur gestion, leur budget, ou les comparaisons annuelles… »

Dans ce contexte, malgré un possible appel d’une décision de l’AMF au BDR, plusieurs avocats incitent plutôt les conseillers à s’adresser au quatrième pouvoir : les médias.

Un ombudsman? « Il faut créer un ombudsman de l’AMF, qui devrait releverdirectement de l’Assemblée nationale et disposer de vrais pouvoirs d’enquête », suggèrent Michel Magnan, Me Germain et plusieurs autres sources.

M. Magnan propose aussi un conseil d’administration dont une majorité de membres seraient indépendants de l’AMF et du gouvernement, ainsi que la création d’un organisme dont le mandat viendrait directement du Parlement, avec de véritables pouvoirs de surveillance : « Ça existe avec le SCRS [Service canadien du renseignement de sécurité], les espions fédéraux.

Et ça marche. » Selon le planificateur Larry Bathurst, un tel organisme renforcerait la crédibilité du régulateur. « La peur des gendarmes rend les gens plus sages. Même les gendarmes ont des gendarmes. Mais pas l’AMF », constate M. Magnan. D’autres craignent la création de structures additionnelles et militent plutôt pour le renforcement des pouvoirs du vérificateurgénéral, qui scrute déjà les livres de l’AMF et lui a tapé sur les doigts, en 2005, pour une comptabilité qui reflétait mal toutes ses activités. S’il ne pouvait faire de « vérification d’optimisation des ressources », soit critiquer la gestion, le projet de loi no 25 du gouvernement Marois lui en donne les pouvoirs depuis son adoption, en juin dernier.

D’autres suggèrent à ceux qui se sentent injustement traités de faire appel au Protecteur du citoyen, dont 98 % des recommandations sont appliquées par les ministères et organismes où il intervient. Mais celui-ci n’a reçu que 17 plaintes contre l’AMF à ce jour, dont 3 seulement ont été considérées comme fondées. Aucune ne se rapportait à ses pratiquées liées à l’encadrement des conseillers financiers.

Enfin, plusieurs estiment qu’un ordre professionnel pourrait mieux encadrer la déontologie des conseillers. L’Institut québécois de la planification financière a tenté d’obtenir ce statut pendant des années pour ses propres membres, mais sans succès. Évidemment, pour que cela fonctionne, il faudrait l’étendre à tous les titres. En revanche, les ordres professionnels sont surveillés par l’Office des professions, un organisme indépendant qui a des pouvoirs d’enquête et qui est pourvu d’un tribunal où on peut en appeler de ses décisions. On croit qu’un ordre professionnel replacerait l’équilibre sur l’échiquier réglementaire.

« L’AMF devrait s’assurer que, quand on démontre qu’elle a abusé, elle dispose de mécanismes transparents pour réprimer de telles pratiques, avance un avocat. Ils sont humains, ils font des erreurs. Mais ils agissent comme s’ils étaient intouchables et infaillibles. Ils devraient être capables de reconnaître leurs bavures sur la place publique. »

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Stéphane Desjardins