Troisième partie – Que risque Michel Marcoux?

Par Didier Bert | 7 mai 2013 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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Après avoir obtenu la condamnation de Michel Marcoux à être radié pour deux mois, la Chambre de la sécurité financière (CSF) porte en appel la décision de son comité de discipline. Qui sortira vainqueur de ce nouveau bras de fer? Pourquoi la Chambre veut-elle une reconnaissance de la culpabilité sur l’ensemble des dix chefs d’accusation, alors qu’elle a déjà obtenu une sanction?

En août dernier, le comité de discipline de la CSF avait acquitté le courtier en épargne collective Michel Marcoux de sept chefs d’accusation sur dix (les chefs 1 à 7), portant sur un manquement à la déontologie. La CSF accusait M. Marcoux d’avoir eu connaissance d’un stratagème d’évitement fiscal de la part de son client Dominion Investments. Michel Marcoux a été condamné à être radié temporairement durant deux mois pour les trois autres chefs d’accusation, concernant une entrave à l’enquête de l’AMF.

Extrait de la décision du comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière (CSF) en date du 7 août 2012 sur la plainte disciplinaire portée par Caroline Champagne, syndique de la CSF, contre Michel Marcoux :

« Les chefs d’accusation 1 à 7 reprochent à l’intimé aux périodes indiquées de ne pas avoir agi avec intégrité, compétence et/ou professionnalisme et d’avoir fait défaut d’utiliser des méthodes de conduite des affaires qui inspirent au public le respect et la confiance en permettant aux clients identifiés par leurs initiales d’investir des sommes d’argent par le biais du compte d’un tiers, soit un compte canadien ouvert au nom de Dominion et d’un pseudonyme, alors qu’il savait ou devait savoir que de procéder ainsi pouvait constituer l’indice notamment d’un stratagème d’évitement fiscal. »

Pourquoi Michel Marcoux a-t-il été acquitté des accusations de manquement à la déontologie?

« Le comité de discipline de la CSF dit que la syndique n’a pas fait la preuve de l’intention des clients d’être malveillants, explique Serge Létourneau, avocat chez Létourneau Gagné. Quand des gens ouvrent des comptes dans des paradis fiscaux, on peut supposer une intention de frauder le fisc. Dans le dossier Marcoux, on n’a pas fait la preuve que c’était le cas. »

« La preuve apportée par la CSF n’a pas permis au comité de discipline de conclure pour les chefs d’accusation 1 à 7, ajoute Jean-François Germain, avocat chez Gasco Goodhue St-Germain. Je pense qu’il n’y a pas assez, sans préjuger de la décision de la Cour du Québec. »

Extrait de la décision du comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière (CSF) en date du 7 août 2012 sur la plainte disciplinaire portée par Caroline Champagne, syndique de la CSF, contre Michel Marcoux :

« – La possession d’un compte « off-shore » et l’utilisation d’un pseudonyme n’est pas en soi contre la loi (…)

– Il ne peut être exclu qu’un individu qui doit travailler à l’étranger, qui doit s’expatrier et qui choisit de devenir « non-résident » au sens des règles fiscales canadiennes puisse vouloir qu’on lui réfère une banque « off-shore » dans un paradis fiscal de façon à arranger ses affaires pour que, sans enfreindre les lois fiscales canadiennes ou de tout autre pays, il n’ait plus ou peu d’impôt à payer. »

Quelle preuve aurait dû être présentée?

« Une procédure devant un comité de discipline, ce n’est pas une discussion de salon, poursuit Me Létourneau. La preuve administrée doit démontrer qu’il y a eu commission de l’infraction. Il fallait obtenir que M. Marcoux admette qu’il savait que ses clients avaient un but illicite. On aurait pu aussi obtenir une preuve par le biais des clients s’ils avaient affirmé en avoir informé leur conseiller, ou reçu des conseils de sa part pour agir ainsi, et qu’il y avait eu fraude. Mais aucune preuve de violation n’a été présentée. »

Extrait de la décision du comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière (CSF) en date du 7 août 2012 sur la plainte disciplinaire portée par Caroline Champagne, syndique de la CSF, contre Michel Marcoux :

« La preuve présentée au comité n’a aucunement révélé l’implication ou une quelconque complicité de l’un ou l’autre des clients concernés à un stratagème d’évitement fiscal.

Le seul témoin qu’a fait entendre la plaignante est son enquêteur, M. Donald Poulin (M. Poulin), et ce dernier a clairement déclaré qu’il n’a « parlé » à aucun des consommateurs en cause et a avoué que n’ayant aucunement communiqué avec ces derniers il n’a obtenu d’eux aucune information.

Ainsi, si l’on exclut le consommateur (…) qui a été interrogé par un représentant de l’Autorité des marchés financiers (l’AMF) et dont le témoignage a été déposé au dossier, la version des faits des consommateurs n’a été ni obtenue ni présentée au comité.

Quant à ce dernier consommateur (…), lors de l’interrogatoire tenu par l’enquêteur de l’AMF, il a déclaré que l’intimé ne lui avait jamais suggéré de façon d’éviter de payer de l’impôt au Canada.(…)

En résumé, aucune preuve tendant à démontrer qu’il y aurait eu une quelconque forme de violation ou de volonté d’enfreindre les lois fiscales par l’un ou l’autre des consommateurs en cause n’a été présentée au comité. Tel que précédemment mentionné, aucune preuve permettant au comité de conclure à leur participation à un quelconque stratagème d’évitement fiscal n’a été administrée par la plaignante. »

Était-il difficile d’obtenir cette preuve?

« L’ouverture de comptes offshores n’est quand même pas courante, en plus avec des pseudonymes! s’étonne Me Létourneau. Ça n’aurait pas pris une preuve élaborée, parce qu’il y a beaucoup de circonstances autour de l’infraction reprochée. Je parierais que, si la situation se présente à nouveau, la syndique apportera cette preuve. Il suffit de demander au client si le conseiller était au courant de la raison de cette stratégie. »

La CSF peut-elle amener une nouvelle preuve en appel?

« Ce qui n’a pas été prouvé en première instance ne peut pas l’être en appel, précise Me Germain. La décision ne pourra pas être infirmée par une nouvelle preuve, j’en suis convaincu. Il aurait fallu que l’appel soit demandé sur la base de ce nouvel élément. »

La CSF obtiendra-t-elle gain de cause en appel?

« Sans présumer de la décision, il y a une absence de preuve, avance Me Létourneau. Le comité de discipline ne pouvait pas conclure que c’était nécessairement illégal et que M. Marcoux était parfaitement conscient de ça. Il me semble que la CSF a une grosse pente à remonter si elle soutient qu’elle n’avait à démontrer aucune forme de connaissance de l’objet illicite de cette stratégie, de la part de M. Marcoux. »

« La Cour d’appel doit avoir une raison d’infirmer la décision du comité de discipline en disant qu’ils ont fait une erreur, souligne Me Germain. Pour que la CSF réussisse, il faudrait démontrer que le simple fait d’ouvrir un compte offshore sous un pseudonyme est illégal, ou laisse penser à une certaine illégalité. Or, le comité de discipline a dit que M. Marcoux n’a rien fait d’illégal à ce sujet. (…) Sa décision m’apparaît solide. Je vois difficilement comment la décision pourrait être cassée, mais ce n’est pas impossible. »

Que recherche la CSF en interjetant appel?

« Elle est peut-être convaincue qu’elle n’a pas besoin de faire la preuve qu’on lui demande, croit Me Létourneau. Elle essaie de faire la jurisprudence. Elle veut l’avis d’un tribunal supérieur sur cette question-là. Cela conduirait à alléger le fardeau de la preuve. La CSF prétend pouvoir dire :  »Vous l’avez fait alors que vous auriez dû savoir que c’était un stratagème d’évitement fiscal ». »

« Ce serait une manière détournée de rendre illégale l’ouverture de compte offshore sous un pseudonyme, estime Me Germain. Il n’est pas rare que des organismes interjettent appel pour que les tribunaux supérieurs décident qu’ils ont raison. »

Didier Bert

Didier Bert est journaliste indépendant. Il collabore à plusieurs médias sur les thèmes de l’économie, des finances et du droit.