Une critique mal avisée envers les conseillers

Par La rédaction | 28 avril 2021 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Un homme d'affaire qui regarde son écran et ne comprend pas.
fizkes / iStock

Un article publié dimanche dernier dans La Presse n’a pas manqué de susciter la colère des conseillers. « Les conseillers financiers, cordonniers mal chaussés… » critique la capacité de ces professionnels à obtenir de bons rendements. La preuve? Ceux-ci n’arrivent même pas à battre l’indice dans leur portefeuille personnel.

« Je trouve ça déplorable qu’on insiste encore en parlant du succès ou non des conseillers par rapport à leur portefeuille en le comparant avec ceux de leurs clients. L’article donne un portrait erroné de la profession. Le travail du conseiller n’est pas seulement de conseiller des fonds, mais aussi d’accompagner ses clients toute leur vie », résume Flavio Vani, représentant en épargne collective et en marché dispensé auprès d’Investia Services financiers et président de l’Association professionnelle des conseillers en services financiers (APCSF).

Après s’être débarrassés de l’image néfaste de figures telle Vincent Lacroix, les conseillers doivent encore une fois « crier leur honnêteté » et cela en raison d’un article publié dans un « média de masse » qui cite une étude datant de 2017, déplore Fabien Major, planificateur financier bien connu de Major Gestion Privée / Assante.

Selon ce dernier, l’auteur de l’article ne comprend pas la profession de conseiller, et force est de constater que l’article et l’étude sur laquelle il s’appuie contiennent bien des incohérences, des imprécisions et des statistiques pour le moins étranges.

PROBLÈME LEXICAL

La première chose qui saute aux yeux dans l’article est le terme « conseiller financier », utilisé d’ailleurs dans le titre, mais aussi plusieurs fois dans l’article. La confusion peut se comprendre puisque l’article est basé sur une étude rédigée en anglais « The Misguided Beliefs of Financial Advisors ». Mais, un observateur averti saurait que le terme « financial advisors » ne se traduit pas par « conseiller financier ».

« C’est un terme qui a été proscrit », rappelle Flavio Vani. Ce dernier est bien placé pour le savoir puisque l’APCSF a changé de nom notamment pour cette raison.

Selon l’Autorité des marchés financiers (AMF), le terme de « conseiller financier » ne peut être utilisé, car il est trop semblable à celui de « planificateur financier ». Des professionnels qui, rappelons-le, ne font ni de la vente ni de la gestion.

DE MAUVAIS FONDS?

Si on passe outre cette utilisation lexicale erronée et que l’on plonge plus loin dans l’article, le journaliste explique la « contre-performance » des conseillers, soit les rendements plus faibles de leur portefeuille par rapport à l’indice, par deux facteurs. Le premier serait que les conseillers investissent généralement dans des fonds communs de placement (FCP) qui ont des frais de gestion annuels élevés.

L’article souligne ainsi que « peu de conseillers » savent que « la gestion active du portefeuille et la sélection de titres produisent typiquement de moins bons rendements et plus de volatilité que l’achat d’investissements passifs et diversifiés, comme des Fonds négociés en Bourse (FNB) ».

Le journaliste cite ensuite un expert, Richard Morin, président et chef de la direction d’Archer Gestion de patrimoine, qui affirme que les FNB ne sont pas offerts aux clients « parce que les grandes institutions financières n’ont aucun avantage à le faire ».

Plusieurs points laissent songeurs concernant ces affirmations sur les FNB et les FCP. Fabien Major estime que de critiquer ainsi les FCP est trop réducteur. Avant de proposer un produit, un conseiller procède à une analyse, une expertise et s’appuie sur des données mesurables comme l’historique et le niveau de risque.

« Un FCP c’est un outil, souligne-t-il. Quelqu’un peut détester les marteaux et ne vouloir utiliser que des tournevis, mais quand il se retrouvera face à un clou, il aura un problème. Un FCP c’est un marteau utile dans bien des situations, mais j’ai besoin d’autres outils ».

Exclure les FCP c’est aussi s’en prendre à la diversification. Car n’oublions pas que si un conseiller utilise seulement des produits qui suivent ou reproduisent un indice, lorsque celui-ci connaîtra une chute soudaine, comme ce fut le cas en mars dernier, le portefeuille subira une perte identique…

Quant aux FNB, Fabien Major rappelle que tous ne sont pas indiciels. Au contraire, actuellement nombre de FNB créés sont des FNB à gestion active et sectorielle. Et quant à dire que les institutions financières n’en font pas la promotion, c’est difficile à soutenir puisque nombre d’entre elles proposent leur propre produit FNB et en font la publicité.

« Il a trop regardé de série sur Netflix pour ne pas voir toutes les publicités FNB. Je reçois dans ma boîte courriel presque tous les jours des offres de nouveaux produits ou des stratégies pour combiner des FNB de telle institution avec une autre », plaisante Fabien major.

UNE MÉCONNAISSANCE DE LA PROFESSION

Comme deuxième facteur pour expliquer les mauvais rendements, l’article parle d’un « manque de gestion émotionnelle ». Ainsi les conseillers ne feraient pas assez de diversification et privilégieraient « une fréquence élevée de transactions » et « une tendance à favoriser les fonds qui avaient récemment connu des rendements élevés ».

À nouveau, ces commentaires laissent songeurs, surtout lorsqu’on pense au bitcoin. Malgré sa hausse exceptionnelle en 2019, les conseillers ont préféré s’en tenir éloignés et s’en méfier.

Quant au manque de gestion émotionnelle, Flavio Vani estime que c’est méconnaître les fondements de la profession de conseiller. « Le premier travail du conseiller c’est de gérer les émotions du client. C’est la base, sans ça on ne peut rien faire, affirme-t-il. On veut partir d’un point A vers un point B, lorsqu’il y a des tempêtes, il faut garder le cap. »

Mais ce n’est pas la seule méconnaissance de la profession. En réalité, comparer les rendements des portefeuilles des conseillers à ceux de leurs clients ou même au marché, c’est en soi une méconnaissance du métier de conseiller.

Comme le dit Flavio Vani, le travail du conseiller c’est d’accompagner son client et de l’aider à atteindre ses objectifs financiers et non de battre le marché.

« Moi, mes placements je les fais au nom de Flavio Vani et pas au nom du client. Les clients n’ont pas les mêmes investissements que moi. Chacun son profil. » Ce que soulève Flavio Vani est un autre point que l’article a totalement occulté : l’obligation de connaissance du client.

Rappelons que les conseillers sont soumis à une lourde réglementation, « et c’est ok », comme le dit Fabien Major. Le journaliste de La Presse ne parle ainsi jamais de la réglementation ni du Modèle de relation client-conseiller (MRCC2) qui date pourtant de 2017. Rappelons que selon celui-ci, le conseiller doit faire en sorte que les placements dans le portefeuille du client respectent son profil de risque et soient adaptés à sa situation.

Prendre des risques inutiles ou ne pas en prendre assez c’est s’exposer à une réprimande salée. Le conseiller ne peut donc tenter à tout prix de battre le marché sans risque judiciaire.

UNE ÉTUDE SÉRIEUSE?

Le dernier point reste l’étude elle-même. Rappelons déjà que celle-ci date de 2018, soit d’il y a trois ans. Mais les résultats se basent sur des données compilées sur le marché canadien entre 1999 et 2013, soit il y a une dizaine voire une vingtaine d’années!

Mais même sans cela, si l’on regarde le bassin de personnes sondées, là encore, le bât blesse. Sur les 4407 conseillers étudiés, seulement 2123 avaient plus de 50 clients et 680 n’avaient même pas plus de 5 clients, souligne Fabien Major (cf p.8 de l’étude). Un nombre de clients plutôt restreint quand on sait que nos deux experts interrogés desservent plus de 200 clients chacun, et ce, même après avoir resserré leur clientèle…

Quant à la moyenne des actifs sous gestion (ASG) des représentants en fonds étudiés, celle-ci est étonnamment restreinte, on parle de seulement 6,2 millions de dollars (M$). « Si quelqu’un a 6 M$ d’ASG, on peut estimer qu’il gagne difficilement sa vie. Il doit faire autre chose. L’investissement c’est à temps partiel, car on vit difficilement avec 6 M$ d’ASG », commente Fabien Major.

En conclusion, comme le dit si bien Flavio Vani, « on peut faire dire n’importe quoi aux statistiques ».

La rédaction