Union libre et mariage, du pareil au même?

Par Caroline Ethier | 28 septembre 2020 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Jeune couple
Photo : gilaxia / iStock

Au Québec, 38 % des couples vivent en union libre. C’est deux fois plus que dans le reste du Canada. Et la moitié d’entre eux croient à tort qu’être marié ou en union libre, c’est du pareil au même. Une confusion qui peut avoir des conséquences financières désastreuses quand l’amour vient à mourir et que l’anneau n’a pas été passé au doigt.

Si vous demandez à vos clients s’ils connaissent la différence entre être marié ou en union libre, la plupart vous répondront oui, affirme Hélène Belleau, sociologue, professeure et coauteure de L’amour et l’argent – guide de survie en 60 questions (voir l’encadré). « Mais ils sont dans l’erreur, dit-elle. Je pense qu’un des rôles importants des planificateurs financiers est d’expliquer cette différence. »

Cette méconnaissance juridique a un nom : le mythe du mariage automatique, une croyance selon laquelle les conjoints de fait ont les mêmes droits et obligations que les gens mariés, après quelques années de fréquentation ou l’arrivée d’un enfant.

Dans les coulisses de la cause Éric c. Lola

Sociologue de la famille et professeure titulaire à l’Institut national de recherche scientifique, Hélène Belleau a eu l’occasion de travailler comme experte dans la cause Éric c. Lola. « C’est en voyant l’importance des méconnaissances sur le sujet [union libre et mariage, NDLR] que j’ai a eu l’idée de ce livre ». L’ouvrage, réalisé avec Delphine Lobet, se base sur plus d’une centaine d’entrevues auprès de gens vivant en couple quant à la manière dont ils organisent leurs finances. Ces entrevues ont mené en 2015 à une enquête auprès de 3 250 répondants représentatifs des couples du Québec, dont proviennent les données citées lors du congrès de l’IQPF.

LA CONFUSION RÈGNE

Dans le cadre de ses recherches, Hélène Belleau a sondé les connaissances juridiques de Québécois vivant en union libre. L’enquête a révélé que 45 % d’entre eux croient avoir le même statut légal que les couples mariés. Quelque 49 % croient que le partage des biens au moment d’une rupture se fait à parts égales (8 % disent ne pas savoir comment se partagent les biens). Et 40 % pensent que le conjoint le plus pauvre a le droit de demander une pension alimentaire. Ils font tous erreur.

Cette confusion existe au Québec en raison de la présence de deux types de droit : le droit privé et le droit social. Le droit privé est régi par le Code civil et concerne les rapports horizontaux entre un époux et son épouse, entre un parent et son enfant, et touche le patrimoine familial chez les couples mariés.

Du côté du droit social, on trouve les lois sociales et fiscales. Ce sont des rapports verticaux, donc les rapports de l’État avec tous les citoyens. « Ça relève d’une loi impérative, ce que l’État impose à tout le monde, précise Mme Belleau, donc ce n’est pas une question de choix. »

LA FAUTE À L’ÉTAT?

Il est vrai que l’État lui-même assimile les conjoints de fait aux conjoints mariés, dans les programmes sociaux ou l’impôt. « Aujourd’hui, presque toutes nos lois sociales traitent les couples en union libre comme s’ils étaient mariés après un an ou trois ans de vie commune, ou quand il y a une naissance, souligne la sociologue. C’est une information qui est très connue des gens. »

En revanche, dans les domaines qui relèvent du droit privé, comme le partage des biens en cas de séparation ou de décès, l’État traite différemment les conjoints mariés et les conjoints de fait, sans égard à la durée de l’union ou la présence d’enfants.

« Les couples s’occupent plus régulièrement de leur impôt que de leur décès ou de leur séparation. Il est normal qu’ils finissent par penser que mariage et union libre, c’est bonnet blanc et blanc bonnet. C’est un raisonnement parfaitement logique et très largement partagé », soutient Hélène Belleau.

PLANIFICATION DE LA RETRAITE ET STATUT MATRIMONIAL

L’enquête a révélé que le statut matrimonial exerce une influence sur la planification financière de la retraite. En effet, les couples mariés sont plus nombreux à penser financièrement à la retraite ensemble que les couples en union libre, qui le font de manière séparée.

Ainsi, pour 63 % des couples en union libre, l’épargne pour la retraite se fait chacun de son côté. Et cette planification est perçue différemment selon le sexe. « Les femmes ont tendance à voir la planification de la retraite comme quelque chose de collectif, tandis que pour les hommes, c’est personnel », signale Hélène Belleau.

Par ailleurs, chez des couples en union libre qui ont dit tout planifier financièrement ensemble, le partage des tâches fait en sorte que les femmes s’occupent de la gestion au quotidien et les hommes, des placements pour la retraite. « Or, lorsqu’on a demandé aux hommes si ces placements étaient au nom des deux conjoints, c’est là qu’on a eu une surprise, raconte la sociologue. Au moment de la retraite, on peut s’imaginer que pour la conjointe, c’est un peu la catastrophe. »

L’UNION LIBRE, UN PHÉNOMÈNE RÉGIONAL

Hélène Belleau défait un mythe voulant qu’il y ait davantage de couples en union libre dans les grands centres. « On se dit qu’à la campagne, c’est plus traditionnel, les gens se marient davantage, expose-t-elle. Mais au Québec, c’est radicalement le contraire : il y a beaucoup plus de couples en union libre à la campagne qu’en ville. » Ainsi, à Montréal, seulement 23 % des couples sont en union libre.

L’explication se trouve du côté de l’immigration, plus forte en ville. « Les immigrants se marient davantage, c’est culturel, explique Mme Belleau. Plus on s’éloigne des grands centres, plus on est dans les populations canadiennes-françaises d’origine catholique. Ce sont elles qui ne se marient plus massivement », illustre la sociologue, qui rappelle que dans certaines régions, plus de 80 % des enfants naissent hors mariage.

Les Québécois de souche ont donc multiplié les raisons de bouder le mariage. Parmi celles-ci, le rejet de l’Église, autrefois rempart du mariage, et évidemment, l’idée selon laquelle le mariage se termine généralement par un divorce (en toute ignorance des taux plus élevés de séparation des couples en union libre).

« Donc, quand arrive une rupture ou un décès, c’est très différent d’être marié ou en union libre, rappelle la sociologue. Et qu’on soit éduqué ou pas, les méconnaissances juridiques sont présentes dans toutes les couches sociales. Ça devrait être enseigné au cégep! »

Caroline Ethier