Universitas ciblerait les nouveaux arrivants

Par La rédaction | 30 janvier 2018 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Le fournisseur de régimes enregistrés d’épargne-études (REEE) Universitas démarcherait les nouveaux arrivants au Québec, y compris les moins nantis, pour faire grossir le nombre de ses clients, rapporte Radio-Canada.

Dans le cadre d’une enquête réalisée pour l’émission La Facture à partir du cas précis de Sita, une mère de famille africaine de 38 ans réfugiée dans la province, la chaîne d’information publique affirme que certains immigrants bénéficiaires de l’aide sociale se sont plaints après que des représentants de la firme les ont incités à cotiser alors qu’ils n’en avaient pas les moyens financiers.

Si Universitas répond ne pas cautionner cette manière d’agir (voir plus bas), l’histoire de Sita ne serait néanmoins « pas un cas isolé », selon La Facture, qui souligne qu’à son arrivée au pays, il y a deux ans, la jeune femme ne connaissait rien de son nouvel environnement et parlait à peine le français. « Quand ils arrivent ici, les réfugiés n’arrivent pas dans un nouveau pays : ils arrivent sur une nouvelle planète. Ici, tu as besoin de vêtements chauds, de nourriture équilibrée. L’école, c’est loin dans la priorité pour la survie », raconte dans l’émission Agathe Dufour, une résidente de Québec qui accompagne bénévolement Sita.

N’IMPORTE QUI PEUT OUVRIR UN REEE

Or, au début de 2016, alors qu’elle vient d’arriver au Québec, elle est approchée par un représentant d’Universitas, Simon Botshaba, lui aussi d’origine africaine, qui la convainc de cotiser mensuellement 40 dollars à un REEE. Le problème, c’est que la jeune femme perçoit juste 1 000 dollars par mois d’aide sociale et d’allocation pour son enfant et que ces prélèvements deviennent très vite un fardeau. « Ce 40 dollars est essentiel pour elle. Parce qu’à la fin du mois, elle attend son chèque pour pouvoir payer les frais de garde, la nourriture, l’appartement. Il n’en reste jamais », explique Agathe Dufour. Finalement, Sita parvient à mettre fin à son contrat, mais jamais à récupérer les frais de souscription, soit un peu plus de 200 dollars.

Un autre problème, d’après La Facture, est qu’Universitas ne semble exclure a priori aucune clientèle. « Même lorsque nous avons prétexté être bénéficiaire de l’aide sociale, une représentante [nous] a indiqué qu’il faut verser un montant minimum. Elle nous a fortement recommandé de le faire tous les mois, laissant entendre que c’est la seule façon de recevoir une subvention gouvernementale pour les gens à faibles revenus », affirme la journaliste qui a mené l’enquête.

En effet, ajoute-t-elle, « une famille à faible revenu peut ouvrir un compte REEE auprès d’une institution financière sans verser un sou », ce qui lui permet « de recevoir de l’argent du gouvernement fédéral » par l’entremise du Bon d’études canadien.

DES REPRÉSENTANTS PAYÉS À LA COMMISSION

La Facture indique par ailleurs avoir contacté d’anciens représentants d’Universitas qui lui ont confirmé que, pour travailler pour la firme, ils avaient dû devenir travailleurs autonomes et que leurs revenus étaient strictement limités à leur commission. Ce qui pourrait constituer une raison d’inciter les clients à verser le plus gros montant possible dans leur régime, laisse entendre Radio-Canada.

Questionné par la chaîne publique, Simon Botshaba assure néanmoins que tout cela n’a rien à voir avec le paiement à la commission et que, à son avis, les nouveaux arrivants africains ont les moyens de cotiser à un REEE. « C’est vous qui voyez le problème avec la situation financière, mais ces gens-là ne voient pas les choses de cette façon, soutient-il. Quand quelqu’un est payé, qu’il reçoit l’aide du fédéral pour les enfants, je ne vois pas pourquoi il a du mal à sortir 25 dollars pour l’avenir de ses enfants, puisque ces gens-là dépensent beaucoup d’argent pour acheter des futilités. (…) Ce n’est pas un problème parce qu’ils sont sur l’aide sociale. »

Interrogée par Radio-Canada, la vice-présidente aux affaires corporatives d’Universitas, Isabelle Grenier, a déploré ces remarques, assurant que ce genre de propos était « tout à fait inacceptable » et que la firme « n’endoss[ait] ça en aucun moment ». Contactée par Conseiller, la direction de la firme n’a pas souhaité commenter le reportage avant sa diffusion.

« PROFITER DE LA FAIBLESSE DES GENS EST ÉCŒURANT »

Ces dénégations n’ont cependant pas convaincu La Facture, qui estime qu’« Universitas a beau se dissocier de son représentant, Simon Botshaba ne serait pas le seul à employer cette technique ». À l’appui de cette affirmation, la chaîne publique soutient en effet que, « au cours des dernières années, des Africains, des Bhoutanais, des Latino-Américains, entre autres, ont été approchés par des représentants d’Universitas » au centre multiethnique de Québec, où passent de nouveaux arrivants et où Simon Botshaba a été aperçu.

« Peut-être une cinquantaine de cas par année et je suis très modérée dans ce que je vous dis », confirme la directrice du centre, Dominique Lachance, qui ajoute être « écœurée que les gens profitent d’une condition difficile dans laquelle les réfugiés sont à leur arrivée pour essayer de faire de l’argent sur leur dos ». Écœurée au point de « sonner l’alarme auprès du personnel afin qu’il fasse de la prévention auprès de ceux qui arrivent », note Radio-Canada.

« C’est comme des serpents : ils se glissent pour attraper de façon sournoise les gens qui sont les plus vulnérables et qui ne connaissent pas leurs droits. Il faut que ça cesse », conclut-elle.

« L’INTÉRÊT DU CLIENT EST AU CŒUR DE NOS ACTIVITÉS »

Avant la diffusion hier soir du reportage de Radio-Canada, Universitas a donné son point de vue sur cette affaire, un texte publié sur la page Facebook d’ICI Radio Canada.

« Nous tenons tout d’abord à préciser que la pratique soulevée par La Facture va à l’encontre de notre éthique professionnelle et des engagements contractuels pris à notre égard par nos représentants. Lorsque nous avons été informés de ces plaintes, nous avons agi de façon responsable et pris rapidement les mesures qui s’imposaient.

« Le représentant en question n’a plus de lien d’affaires avec Universitas, et ce, depuis le 23 novembre 2017. Les cinq clients ayant manifesté leur insatisfaction ont tous reçu le remboursement de l’intégralité des sommes versées, incluant la totalité des frais de souscription. De plus, Universitas a communiqué de façon proactive avec tous les clients actifs du représentant en question, soit une quarantaine, afin d’évaluer leur satisfaction et leur intérêt à continuer de cotiser au REEE auquel ils avaient souscrit. »

« NEUF CLIENTS SUR 10 SONT SATISFAITS »

Le texte se poursuit ainsi : « Après vérification, il s’avère qu’aucun autre client n’a fait part d’une quelconque insatisfaction et que seul un client, vivant une situation financière plus difficile, a manifesté son souhait de résilier son contrat.

« Chez Universitas, l’intérêt du client et la loyauté envers ce dernier sont au cœur de nos activités. Tous nos représentants, comme tous ceux de la concurrence, doivent se conformer au code d’éthique de la Chambre de la sécurité financière. Notre réseau de distribution est composé de représentants indépendants (travailleurs autonomes) de toutes origines, dont les diverses communautés culturelles qui forgent le Québec. Ils sont formés régulièrement et nous effectuons des évaluations de satisfaction auprès de notre clientèle chaque année.

« Le niveau de satisfaction des clients envers leur représentant est d’ailleurs de près de neuf sur 10 selon le sondage de satisfaction 2017, mené par une firme indépendante. Dans les cas où certains clients pourraient se déclarer insatisfaits, Universitas traite leurs commentaires avec sérieux et diligence. (…) Notre compagnie œuvre dans une industrie fortement réglementée et se fait un devoir de travailler selon les normes établies par les organismes réglementaires qui la régissent. »

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