Urgent besoin de leadership pour le FISF

Par Yves Bonneau | 23 avril 2012 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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L’an dernier, dans un sondage mené par SOM pour le compte de l’AMF, 78 % des Québécois disaient être à l’abri de la fraude. Pourtant, moins d’un Québécois sur deux se méfierait d’une offre d’investissement promettant un rendement de 2 % par mois, c’est-à-dire 27 % par année! Imaginez alors expliquer à l’épargnant moyen la fonction de l’indemnisation…

D’entrée de jeu, mettons les choses au clair : aucune personne normalement constituée n’omettrait d’assurer sa précieuse maison et son contenu ou son trésor de voiture, à commencer par les répondants du sondage précité. Pourquoi? Tous savent que les voleurs existent, tout comme les incompétents et les accidents. C’est un simple fait de la vie, il y a des risques qui planent sur vos biens et les statistiques démontrent que le vol ne sera pas éradiqué d’ici votre retraite. Faire l’autruche n’y changera rien.

C’est un peu dans ce contexte paradoxal que naviguent ceux qui veulent améliorer le Fonds d’indemnisation des services financiers (FISF). Rappelons d’abord que l’Autorité des marchés financiers (AMF) est le seul organisme de réglementation au monde à gérer un fonds d’indemnisation pour le bénéfice des investisseurs et des épargnants. Déjà, protéger le public, souvent contre lui-même, est une tâche titanesque.

Yves Bonneau, rédacteur en chef du magazine Conseiller

Néanmoins, sensible aux critiques sur la gestion du FISF qui ont cours depuis que la Coalition pour la protection des investisseurs, épaulée par le Regroupement indépendant des conseillers (RICIFQ), a accroché le grelot en 2006, l’AMF a lancé l’hiver dernier une consultation publique qui vient de se terminer en mars. En trois mois, l’AMF a reçu plus d’une trentaine de mémoires.

Parmi ceux-ci, quelques points d’orgue : il faut souligner la position ferme de la Chambre de la sécurité financière, prise au nom de ses 30 000 membres dans ce dossier, qui juge inéquitable que seuls les conseillers doivent cotiser à un fonds d’indemnisation déplumé surtout en raison de fraudes de gestionnaires. De plus, à l’instar du Mouvement pour l’éducation des actionnaires (MÉDAC), elle souligne que les conseillers en valeurs mobilières (relevant de l’OCRCVM) ne devraient pas être exclus du régime.

Malgré tout, même si les paramètres et les règles d’indemnisation exposent le FISF à des risques pour lesquels il n’a pas été pensé ni conçu, l’AMF croit toujours que la capitalisation du Fonds est la responsabilité des conseillers.

Pour les conseillers qui en supportent entièrement la capitalisation, le Fonds a besoin d’être pris en charge par un comité indépendant, point.

Sur la trentaine de mémoires, seulement le tiers est d’avis que la gouvernance du Fonds devrait être retirée des mains de l’AMF.

Voici d’ailleurs la recommandation de la Chambre des notaires du Québec (CNQ) qui dispose elle-même d’un fonds d’indemnisation pleinement capitalisé : « La CNQ est d’avis que le traitement des demandes d’indemnisation par un comité indépendant, composé de pairs et d’au moins un représentant du public, constitue une saine approche pour éviter les conflits ou l’apparence de conflit d’intérêts entre le décideur et le gestionnaire du fonds d’indemnisation. Dans ce contexte, l’organisme payeur peut veiller à la gestion du fonds, car l’évaluation et la prise des décisions sont assurées par les membres du Comité. Aucun employé ou administrateur élu ou nommé au Conseil d’administration de l’organisme payeur ne devrait participer aux travaux du Comité, à moins qu’il ne s’agisse d’un représentant du public. »

Des autres mémoires, retenons que les institutions financières (banques, caisses, sociétés de placement) s’opposent aux changements et souhaitent plutôt arrimer le FISF aux mécanismes déjà existants dans le reste du Canada. Notons au passage que la Royal Bank of Canada, de même que Quadrus Investments et Mackenzie Corporation ont soumis leurs papers en anglais seulement… leurs affaires étant probablement négligeables au Canada français.

Pour les années 2010 et 2011, l’AMF a porté plus de 4000 chefs d’accusation et sanctionné près de 2000 personnes et sociétés. Sur ce lot de fraudes et de malversations, j’ai compté moins d’une dizaine de conseillers inscrits. Les autres sont des émules d’Earl Jones! Ça vous coûte une fortune de cotisations, mais vous êtes un risque négligeable dans le processus.

Le directeur de l’indemnisation des premières années de l’AMF qui a vécu tout le dérapage Norbourg était Mario Albert. On souhaite que le nouveau directeur de l’indemnisation, Patrick Déry, économiste de formation et ancien sous-ministre adjoint aux politiques fédérales-provinciales et financières du ministère des Finances du Québec, connaisse mieux l’industrie que le juge de la Cour du Québec Michel Bellehumeur…

Je vous laisse apprécier à quel point un juge peut méconnaître notre industrie. Dans son jugement du dossier Mount Real sur la pratique et les placements illégaux, il écrit à propos d’Yves Tardif, un prétendu conseiller : « Si on n’a pas la capacité, la formation, les outils, les papiers légaux, le bagage ou même l’intérêt professionnel pour agir à titre de conseiller ou de courtier en valeurs mobilières, on doit s’abstenir. Lorsque l’on accepte comme l’accusé l’a fait de placer de l’argent pour autrui, de conseiller ses clients, de donner des informations sur des garanties de placement, on a la responsabilité d’effectuer un minimum de vérifications qui dans le présent dossier ne semblent pas avoir été faites. »

Aurait-il libellé son jugement de la même manière si l’usurpateur avait, disons, produit un faux acte notarié? Si même un juge ne comprend pas le travail du conseiller, comment peut-on procéder à l’indemnisation sans avoir de conseillers siégeant au comité d’indemnisation?

Enfin, l’indemnisation devra être universelle et imposée comme le fut l’assurance-automobile. Et comme pour cette forme d’indemnisation, ça prendra une Lise Payette pour la porter à bout de bras, sinon le statu quo prévaudra.

Yves Bonneau, rédacteur en chef yves.bonneau@objectifconseiller.rogers.com

Cet article est tiré de l’édition de mai du magazine Conseiller. Consultez-le en format PDF.

Yves Bonneau