Va-t-on vers une société sans cash?

Par La rédaction | 4 mars 2016 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
6 minutes de lecture

Les billets de banque, et plus encore les pièces de monnaie, sont en passe d’être détrônés par le paiement électronique, même si cela risque de poser certains problèmes, estime un ancien professeur d’économie à l’Université de Bordeaux (France) dans une tribune publiée par Le Monde.

Également coauteur de L’Arrogance de la finance. Comment la théorie financière a produit le krach (éditions La Découverte, 2009), Henri Bourguinat souligne d’emblée qu’« à tous les niveaux, on s’acharne à décourager les règlements en espèces, de plus en plus considérés comme ringards, pour ne pas dire arriérés ».

Bien sûr, cela se comprend, ajoute-t-il, en raison de « la commodité et de la rapidité sans cesse accrue d’une société de plus en plus pénétrée par le numérique ».

UNE VOLONTÉ AVANT TOUT POLITIQUE

Sans compter que la disparition du cash permettrait d’épargner « les frais de la traque de la fausse monnaie ou de l’installation des coûteux automates bancaires », en plus « d’entraver fortement les opérations illicites » en matière de drogue, de prostitution, de commerce des armes, d’évasion fiscale et de travail au noir, notamment.

Toutefois, insiste le chercheur, la volonté « de plus en plus manifeste » de vouloir restreindre la place de l’argent liquide dans la société ne s’explique pas seulement par la quête de commodité, ou d’économie. En réalité, elle est « directement liée à l’inefficacité de la politique monétaire de surliquidité » menée par les États-Unis entre 2010 et 2014, puis par la Banque centrale européenne (BCE).

Mais « comme on arrive à la limite des taux d’intérêt proches de zéro », la place des taux négatifs risque de s’étendre. Ainsi, sur les 9 000 milliards d’euros d’obligations émises par les pays de l’Union européenne, déjà 2 000 milliards le sont à taux négatifs, précise Henri Bourguinat.

« C’EST LE MONDE À L’ENVERS QUI S’INSTALLE »

« Partout on s’endette, non pas en payant un intérêt mais en recevant une rémunération, constate-t-il. C’est le monde à l’envers qui s’installe. Jusqu’à la BCE elle-même qui, pour reprendre d’une main ce qu’elle a donné de l’autre, exige que les déposants acquittent un taux d’intérêt de 0,3 %. »

Le problème, soutient l’économiste, c’est que cette politique provoque des dégâts. En effet, les taux d’intérêt négatifs ayant cessé d’être « des signaux pertinents pour l’affectation des ressources », ils « renforcent l’addiction à l’endettement et pénalisent l’épargnant, sans, notablement, entraîner l’économie réelle », tandis que « l’inflation tant désirée n’est pas non plus au rendez-vous ».

C’est là que la « croisade anti cash » prend tout son sens, croit Henri Bourguinat. « Avec l’argent détenu en espèces, la population disposerait d’un recours : entre des avoirs en billets ou en pièces qui ne rapporteraient rien et ceux qui seraient soumis à des taux négatifs qu’on leur imposerait pour garder leur argent en banque, l’arbitrage au profit du cash serait vite évident ».

UN MOYEN DE « CONTRÔLER TOUT LE SYSTÈME »

Dans ces conditions, il n’est guère étonnant qu’un nombre de plus en plus important d’institutions financières vantent les « avantages » du tout numérique, note le chercheur. « N’hésitons pas à faire en sorte que le minimum d’encaisses tangibles reste aux mains de la population, faisons en sorte que le maximum aille vers des formes modernes », réclament-elles en chœur.

Avant d’en arriver là, « un motif majeur, outre les dangers du taux négatif », devrait pourtant retenir l’attention des gouvernements, met en garde Henri Bourguinat. En effet, « la société sans cash qu’on nous promet grâce au numérique donnerait aux décideurs – sans possibilité d’échappatoire pour les particuliers, faute d’avoir assez d’argent liquide – les moyens de contrôler tout le système ».

Sa conclusion? « Il serait bien préférable de ne pas essayer de bousculer le cash, tout en laissant la technique faire son œuvre. On éviterait ainsi de trop encourager les taux négatifs, qui finiront, si l’on n’y prend garde, par miner la confiance qu’on doit avoir dans la monnaie. »

La Banque Nationale veut en finir avec l’argent liquide

L’institution financière québécoise souhaite la disparition du papier monnaie et elle l’a fait savoir au gouvernement provincial en novembre dernier, rapportait récemment Le Devoir.

L’objectif? Suivre l’exemple de certains pays, comme la Suède et le Danemark, qui ont décidé d’opter, à terme, pour une monnaie exclusivement électronique.

DES AVANTAGES POUR LES BANQUES ET LES COMMERÇANTS

« Les avantages d’une telle révolution seraient considérables, à la fois pour les banques, les gouvernements et les commerçants », écrit le quotidien, qui cite un rapport de la firme McKinsey publié en 2013.

Ainsi, « dans un monde sans billets ni monnaie, nul besoin de produire, de récolter ou de conserver de l’argent », tandis que « le paiement électronique fait diminuer les coûts de transaction et permet aux autorités de consacrer à d’autres fins les sommes investies pour freiner la contrefaçon ».

Si l’on en croit cette étude, les « coûts de l’argent » ont représenté 0,47 % du produit intérieur brut des États-Unis entre 2007 et 2011, soit une facture équivalant à 490 $US par ménage.

« UNE MENACE POUR LES PERSONNES VULNÉRABLES »

Au pays, 35 % des transactions effectuées en 2014 l’ont été avec des billets ou de la monnaie, comparativement à 24 % pour les cartes de débit et 21 % pour les cartes de crédit, selon les plus récentes données de l’Association canadienne des paiements. La proportion de paiements en argent a néanmoins baissé de 16 % par rapport à 2011, tandis que les cartes de débit et de crédit enregistraient une hausse (+18 % et +26 %, respectivement).

Le souhait de la BN n’est cependant pas partagé par tout le monde. La présidente de l’Association québécoise de défense des droits des personnes retraitées et préretraitées, Judith Gagnon, y voit par exemple une « menace » pour les aînés et les personnes vulnérables.

La rédaction vous recommande :

La rédaction