Vers un Nouveau Monde?

1 novembre 2011 | Dernière mise à jour le 1 novembre 2011
4 minutes de lecture

La crise de 2007-2008, presque sans précédent dans son mixte de veulerie, d’incompétence, d’arrogance et d’impact catastrophique sur le plus grand nombre, et ce, dans les pays les plus développés de la planète, ne veut pas nous quitter. La Californie, espace de tous les futurs, est grevée d’un taux de chômage (officiel bien sûr!) de 12 %, le deuxième plus élevé aux États-Unis après le Nevada. L’heure est grave.

QE1, QE2, un éventuel QE3 aux États-Unis, sommets Merkel-Sarkozy, des politiques monétaires plus qu’accommodantes, rien n’y fait. Le rôle des économies émergentes lui-même est remis en question. Plusieurs experts croient que nous sommes destinés à vivre une lente progression à long terme. Les plus cyniques parlent de stagnation ou de stagflation. Quels impacts peut-on déjà anticiper quant à la gestion d’avoir? Voyons un peu.

1er impact : des rendements laminés En matière de placements, le chiffre magique a toujours été de l’ordre de 7 % à 8 %. Les caisses de retraite, pour honorer leurs passifs, doivent produire sur le long terme des rendements nominaux de cet ordre. Il en va de même d’ailleurs pour les fondations et les fonds de dotations, qui visent à produire des rendements réels de l’ordre de 5 % par an. Par contre, de telles valeurs réfèrent à un monde financier « normal », avec justement un taux d’inflation de 2 % à 3 %, une croissance du PIB de 2 % à 3 % par année, un taux de chômage « normal  » (environ 5 % ou 6 % aux États-Unis par exemple), etc. Avec un Fed Funds Rate américain tendant vers zéro depuis trois ans, un chômage sans précédent, des perspectives de croissance glauques, peut-on toujours affirmer que l’on peut maintenir de 7 % à 8 % par an à long terme? On peut en douter.

2e impact : des risques accrus Par risque, on veut dire volatilité des marchés et des placements. Nous sommes maintenant entrés dans un régime de plus haute volatilité générale, suite à la débâcle de 2007-2008. Certains pointeront du doigt les spéculateurs comme étant la source principale de ces vicissitudes. Ainsi, certains manipulateurs pourraient contrôler la destinée des marchés par leurs positions à découvert et par le levier.

Toutefois, l’explication est autre et beaucoup plus macroéconomique : les conditions de « easy money » du début de la décennie suite à l’éclatement de la bulle techno, la facilité avec laquelle les institutions ont pu recycler ces liquidités, plus qu’abondantes, auprès d’emprunteurs inexpérimentés et inadéquats (on pense au subprime ici), la recherche de rendements supérieurs grâce à des instruments financiers complexes et obscurs, etc. L’écrasante majorité des intervenants dans la triste histoire de 2007-2008 ne sont pas des spéculateurs : ce sont des travailleurs (prêts hypothécaires), les banques d’investissement les plus importantes au monde (émission de produits structurés), les grandes caisses de retraite, bref, à la fois d’honnêtes citoyens et des institutions financières qui auraient dû savoir ce qu’elles faisaient.

Quoi qu’il en soit, la gestion de portefeuille se complique : rendements plus faibles, volatilité accrue, tout cela accroît la pression sur les gestionnaires et semble prescrire une gestion plus active (à savoir, les gestionnaires doivent plus activement gérer les phases baissières, plus fréquentes, des marchés). On apprend que cette année est celle durant laquelle les gestionnaires de fonds communs de placement ont eu le plus de mal à battre les indices. La volatilité accrue, manifestement, complique le travail de gestion active de portefeuille.

3e impact : des corrélations contraignantes La mondialisation est un fait avéré! L’interaction des marchés financiers sur la planète n’a jamais été aussi grande. On sait que la diversification des portefeuilles est un « faux ami » : lorsque les marchés sont en débandade, nous courons tous aux abris (titres de revenu fixe sûrs, liquidités), ce qui a pour effet de pousser les coefficients de corrélation au plafond (qui est de 1, soit 100 %, soit dit en passant). Or, avec une mondialisation accrue, ce phénomène n’en est qu’exacerbé.

Conclusion : la tâche des gestionnaires de portefeuille n’a jamais été si exigeante. Naviguer dans les eaux actuelles est complexe, d’autant plus que les rendements possibles pour les investisseurs sont réduits. Ce sont les investisseurs qui doivent envisager maintenant les impacts négatifs de ces contraintes accrues, et les conseillers doivent leur en faire part.

Pierre Saint-Laurent, CFA, CAIA, FRM, CFE, est chargé de formation à HEC Montréal. On peut le joindre à pierre.saint-laurent@HEC.ca.

Cet article est tiré de l’édition d’octobre du magazine Conseiller. Consultez-le en format PDF.