Vos commissions sont-elles éthiques ?

Par Steven Lamb | 21 juin 2010 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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Ce n’est pas d’hier que les défenseurs des droits des investisseurs contestent la rémunération des conseillers en services financiers, jugeant les commissions intégrées aux produits en conflit d’intérêts avec les intérêts du client.

On ne saurait leur donner tort, de l’avis de Dan Ariely, auteur de « C’est (vraiment ?) moi qui décide » et de James B. Duke, professeur d’économie comportementale à la Duke University, en Caroline du Nord, mais l’industrie des services financiers n’a pas l’exclusivité de ces conflits. En fait, ils se retrouvent fréquemment dans des situations critiques.

« Tant que vous êtes en position de conflit d’intérêts, vous êtes voués à l’échec, non pas du fait que vous soyez une mauvaise personne, mais parce que tout le monde peut céder à la tentation, a déclaré M. Ariely lors du 63e congrès annuel du CFA Institute, à Boston. La question qui se pose est : comment allez-vous, en tant qu’industrie, lutter contre le problème omniprésent de conflit d’intérêts, surtout quand personne n’estime en être affecté ? »

Pour illustrer son propos, M. Ariely a demandé aux participants quelle serait leur réaction s’ils devaient être jugés par un magistrat payé en fonction des amendes qu’il impose. « Cela n’a aucun sens, n’est-ce pas ? Mais si vous vivez aux États-Unis, vous consultez des médecins rémunérés en fonction des tests qu’ils vous font subir et vous avez recours à des conseillers financiers payés selon le même principe. J’ai de la difficulté à comprendre que nous soyons relativement conscients de cet état de fait sans y avoir jamais réagi. Jusqu’à présent, le principal dispositif employé pour gérer le problème des conflits d’intérêts est d’encourager les gens à les dénoncer », affirme M. Ariely. Mais il ajoute que le risque de retour de flamme nous pend au nez.

Lorsqu’un conseiller présente deux options à un client en indiquant que l’une est plus rémunératrice pour lui, il peut en résulter deux choses, poursuit M. Ariely. Soit le client accorde moins de crédit à l’opinion du conseiller qu’il considère partial, soit, pire encore, le conseiller se sent justifié de mettre l’accent sur le produit le plus lucratif puisqu’il a mis carte sur table.

« Laquelle de ces deux forces aura le dessus ? Le client accordera-t-il moins d’importance au conseiller; le conseiller s’estimera-t-il en droit de faire primer ses propres intérêts encore davantage ? La réponse, explique M. Ariely, est que les conseillers sont prêts à modeler la réalité dans une mesure nettement supérieure à la capacité des clients à faire fi de leur avis. Aujourd’hui, les conseillers qui annoncent la couleur ont moins de scrupules à promouvoir leurs propres intérêts. »

Jason Zweig, rédacteur d’une chronique sur les finances personnelles dans The Wall Street Journal, fait remarquer qu’il est dans la nature humaine de se blâmer en cas de malheur, comme la victime d’une agression qui déclare « c’est de ma faute, j’aurais dû éviter de passer par cette ruelle ». Cette propension à s’en prendre à soi permet à l’individu d’éluder une réalité autrement insupportable : sa ville est complètement désorganisée et la criminalité y sévit.

La tendance à l’autoflagellation était assez courante lorsque la bulle des point.com a éclaté, note-t-il, des investisseurs s’accusant du péché d’avidité. Ayant fait le serment de ne plus recommencer, ils ont décidé d’agir dans leur « intérêt personnel rationnel », principe qui est la pierre angulaire de la plupart des théories sur les marchés financiers.

Cependant, en 2008, ils sont nombreux à avoir perdu des plumes avec ce principe. Selon M. Zweig, les investisseurs savent pertinemment qu’ils ne sont pas responsables de la déconfiture de leurs portefeuilles cette fois, et ils crient vengeance.

M. Ariely estime que cette démarche tout à fait naturelle est le fondement des relations de confiance entre humains. Le fait de savoir que l’autre cherchera à se venger empêche généralement de trahir sa confiance. Il cite en exemple l’expérience suivante.

Deux individus sont installés dans deux pièces séparées. On remet 10 $ au sujet A en lui expliquant qu’il peut soit partir avec cet argent, soit le remettre au sujet B. En choisissant de donner l’argent au sujet B, le montant en jeu sera quadruplé et le sujet B aura alors le choix de garder ces 40 $ ou d’en remettre la moitié au sujet A. M. Ariely a constaté qu’une majorité écrasante des sujets A ont choisi de faire cadeau des 10 $ au sujet B escomptant, nous le supposons, qu’ils obtiendront le double quand le sujet B leur remettra la moitié des 40 $.

Ce qui est encore plus surprenant, c’est qu’ils ont eu raison de faire confiance à l’autre, et le sujet B a effectivement renvoyé l’ascenseur. Rien ne saurait être plus opposé à l’intérêt personnel rationnel voulant que le sujet B empoche les 40 $ point final. M. Ariely en déduit que le sujet B ne veut pas trahir la confiance du sujet A.

La nature humaine tend à être irrationnelle mais elle démontre que l’espèce a un comportement plus honorable que ne l’exige d’agir dans son intérêt personnel rationnel.

Depuis quelque temps, le désir de vengeance a pris le devant de la scène, incarné par des leaders politiques populistes qui réclament d’imposer taxes et pénalités à ceux qui ont tiré profit de la débâcle de 2008.

M. Ariely fait cependant remarquer qu’il est préférable d’attendre que l’émotivité soit dissipée avant de prendre des décisions aussi graves.

Sur le plan pratique, cela signifie que les conseillers devraient reporter la révision du portefeuille à la fin de la rencontre puisque les rendements antérieurs, bons ou mauvais, auront une influence sur la décision du client.

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Steven Lamb