Ya-t-il un froid dans votre couple?

Par Caroline Fortin | 1 mars 2016 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
16 minutes de lecture

• Ce texte est paru dans l’édition de janvier 2002 de Conseiller. Il est aussi disponible en format PDF. Vous pouvez également consulter l’ensemble du numéro sur notre site Web.


Il est peut-être temps d’inscrire votre couple à l’ordre du jour. Un célibataire échaudé, deux heureux ménages et deux experts en témoignent.

Alain Tremblay admet lui-même qu’il est du genre excessif. Et que sa dernière copine a eu raison de vouloir le quitter. «Je travaillais jusqu’à deux, trois heures du matin, je travaillais les fins de semaine et, un bout de temps, je ne parlais que de mes placements… ça ne peut pas fonctionner avec personne! Je ne pouvais participer aux activités sociales de ma blonde, je la décevais.

À sa place, je n’aurais pas accepté ça», concède-t-il, une lueur traversant ses yeux. Ce directeur en développement des affaires dans la mi-trentaine, à l’emploi de la Standard Life depuis 13 ans, passe le plus clair de son temps à gérer des millions de dollars, à négocier des contrats, et, oui, à divertir des clients. Parfois jusqu’à tard le soir. Et il adore cela. Sa conjointe, elle, ne pouvait supporter. Et encore moins comprendre, d’abord parce qu’elle possédait une tout autre philosophie de vie, et ensuite parce qu’elle n’avait aucune idée de la réalité de son partenaire, expose-t-il. Leurs désirs respectifs constamment insatisfaits ont eu raison de leur couple après deux ans.

Il y a des couples québécois qui ne voient pas souvent leurs enfants. L’Institut de la statistique du Québec estime le temps passé avec les enfants du ménage à 1 h par jour, la semaine, pour les hommes (2,7 h le week-end) et à 1,4 h par jour de semaine pour les femmes (2,5 h le week-end).

Microdonnées de l’Enquête sociale générale 1998, moyenne quotidienne passée à divers endroits, population de 15 ans et plus, en emploi à temps plein, selon le sexe et le moment de la semaine.

Selon une large part des études menées sur le sujet, les principales causes de rupture sont l’infidélité, les conflits, la jalousie, le sexe et le boulot. En y regardant bien, les quatre premières insatisfactions pourraient plausiblement découler de la cinquième. Vous souvenez-vous de la dernière fois où vous avez susurré à votre douce moitié combien vous l’appréciez ou, encore, la dernière fois où vous avez fait une sortie interactive agréable en famille? Pas facile de finir sa journée à 17 h quand il faut calmer des clients, boucler des dossiers REER, gérer ses comptes et sans cesse se surpasser. Surtout que les temps sont éprouvants présentement avec l’économie qui chancelle, la guerre, les fusions, les mises à pied, le stress, et… les enfants qui font leurs dents.

Pour sa part, il a fallu que son cœur s’emballe pour qu’Alain Tremblay réalise qu’il (s’)en faisait trop. Sa relation battait de l’aile, il avait perdu de l’argent en Bourse, la maison qu’il cherchait était trop cossue pour les besoins simples de sa conjointe, ce qui a occasionné moult disputes, et il travaillait 65 heures et plus par semaine. Un après-midi, au bureau, il a senti ses pulsations s’accélérer, s’est senti mal. À l’hôpital, on lui diagnostique une crise de tachycardie. «J’étais sûr que c’était la fin», confie cet actuaire de formation, attablé devant une chaude assiettée, la fourchette suspendue dans le vide. «Mais j’ai pris cela comme une deuxième chance, un signe qu’il fallait que je change beaucoup de choses dans ma vie.»

« La détérioration de la situation économique d’un ménage entraîne l’instabilité au sein de l’union. De plus, il semble qu’une hausse des gains personnels augmente les probabilités d’assister à une dissolution de l’union, et ce, tant chez les hommes que chez les femmes en cohabitation.» Voilà les résultats auxquels sont parvenus deux chercheurs en sociologie de l’Université de Victoria, en Colombie-Britannique, au terme de leur étude intitulée «Situation économique et stabilité de l’union libre», produite dans le cadre des documents de travail de la Dynamique du revenu et du travail de Statistique Canada.

S’il a depuis légèrement ralenti son rythme, sa carrière n’a rien perdu de son importance. «J’ai compris le message que m’envoyait mon corps, mais je ne me mettrai pas à arriver plus tôt pour pouvoir aller au parc jouer au ballon! Pour le moment, ça ne me ressemble pas!» Lorsqu’il tombera à nouveau amoureux, conclut-il, il s’assurera que sa compagne connaisse son travail, ses objectifs à long terme, ses attentes, son horaire. Il la questionnera et la laissera s’exprimer, aussi. «Ma dernière expérience m’a appris que, si l’on ne s’entendait pas sur les principes de base, la suite allait être difficile. Vaut mieux être avec quelqu’un qui comprenne ta philosophie de vie.»

QUAND CARRIÈRE ET RELATION RIMENT AVEC PASSION

Au rayon des tourtereaux, Marcellin Lussier et Caroline Tranchemontagne en éclipsent plusieurs. Tous les deux âgés d’à peine 30 ans, ils vivent ensemble depuis trois années, dont une à dorloter leur rayon de soleil officiel, le petit Anthony. Comme il arrive souvent dans les entreprises, c’est sur leur lieu de travail qu’ils se sont rencontrés. Et c’est en grande partie parce qu’ils bossent dans le même domaine que leur relation de couple fonctionne, selon eux. Respectivement conseiller financier associé et adjointe administrative au sein d’équipes distinctes chez Merrill Lynch Canada, au centre-ville de Montréal, Marcellin et Caroline ont tous les deux des horaires chargés «mais flexibles» et une carrière bien amorcée qui les passionne. Six mois après la naissance du bébé, Caroline avait d’ailleurs hâte de retourner travailler. Quant à Marcellin, après avoir passé une journée entière seul avec le poupon, il avait «hâte que [sa] blonde revienne!» rigole-t-il en la regardant d’un air complice.

Le temps de ce couple actuel est organisé en fonction de leur bébé, et ils se sont entendus pour que Caroline prenne le petit à la garderie – située en face du boulot – chaque soir et s’en occupe jusqu’à ce que Marcellin arrive pour prendre la relève. Celui-ci n’aura parfois pas le plaisir de le voir éveillé. «Ce qui est fantastique avec Caroline, c’est qu’elle comprend que j’ai des clients à voir le soir. Je n’ai pas à fournir des explications interminables pour rester au bureau», explique-t-il sans affectation.

4,6 millions d’Américains consultent chaque année un conseiller conjugal, contre 1,2 million en 1980.

Centre pour la Famille de l’Université de Chicago, 1995

Même s’ils travaillent au même endroit, ils ne se croisent pas constamment, ce qui fait qu’ils se retrouvent souvent à parler de leur travail le soir. Car Caroline en est aussi mordue que lui. «Si je vois que Marcellin doit préparer une présentation une soirée, au lieu de lui reprocher de travailler trop, je vais l’aider. On échange nos idées, je lui apporte le point de vue de la clientèle puisque je traite avec elle chaque jour; c’est enrichissant. Je sais que ce sera bénéfique pour tout le monde. Et ça nous permet de nous entraider sur le plan professionnel.»

La fin de semaine, ils se réservent du «temps de qualité» et décrochent du boulot. «C’est important de prévoir des moments à deux, mais aussi pour chacun, en dehors du travail, d’avoir d’autres champs d’intérêt, d’autres activités», croit Marcellin. L’important dans un couple, synthétisent-ils à l’unisson, c’est l’écoute et la compréhension. À cet égard, le conseiller est comblé. «J’ai déjà eu des conjointes qui ne voulaient rien savoir de mon emploi. Elles ne pouvaient pas m’encourager au retour du travail quand, par exemple, l’atmosphère était lourde au bureau au pire des marchés, ou quand un gros client s’en allait. Je sens que Caroline me comprend plus profondément, car elle vit ces situations elle aussi par ricochet.» Et sa charmante compagne affirme n’avoir aucun ressentiment parce qu’elle est davantage à la maison que son conjoint.

Dans plus de la moitié des familles du Québec, au moins un des parents travaille le soir, la nuit ou le week-end. Les horaires atypiques sont devenus la réalité des foyers à deux revenus. Une enquête faite à partir des données de Statistique Canada et réalisée par trois démographes montréalaises a démontré que, sur les deux années étudiées, les couples dont un des conjoints avait un horaire hors normes ont été deux fois plus nombreux à se séparer que ceux qui travaillaient de neuf à cinq.

Travaux de Me Nicole Marcil-Gratton, Céline Le Bourdais et Évelyne Lapierre-Adamcyk cités par André Pratte dans La Presse du 4 octobre 2000.

LE SECRET : PARLER

Membre de l’Association des psychothérapeutes conjugaux et familiaux du Québec, Madeleine Roy reçoit énormément de couples en consultation. Beaucoup dont les deux membres ne sont pas souvent à la maison. Pris dans leur tourbillon professionnel et familial, ils négligent leur relation amoureuse et s’affligent ensuite d’éprouver des frictions. Selon elle, bien des conflits pourraient être évités s’ils étaient d’abord exprimés. «Ça soulage la moitié du malaise, explique-t-elle en entrevue. Se parler de nos attentes, de nos idéaux, de nos projets – et non pas uniquement de ce qui nous tracasse au travail –, c’est nécessaire pour définir l’identité du couple et savoir où l’on s’en va.»

C’est en identifiant et en verbalisant nos expectatives que l’on peut éviter des sources de conflits. «Il est possible pour une femme d’être heureuse même si son mari arrive tard le soir parce qu’elle s’attend à cela, elle en est prévenue. Mais ils doivent s’en parler, et aussi avoir une vision d’ensemble et à long terme de leur relation. Dans le même exemple, les conjoints devraient réciproquement s’entendre sur le temps minimal dont ils ont besoin avec l’autre, ce qui leur manque quand l’un est absent, la façon dont ils aimeraient que l’autre montre sa présence. Mettre les choses en perspective, aussi. Leur idéal, quand ils se sont rencontrés, c’était quoi? Et se voient-ils continuer ainsi pendant cinq ans? Il ne faut pas avoir peur des confrontations, parce que, si on prétend à l’harmonie, on risque de se buter à la dure réalité», fait valoir Mme Roy.

Pour susciter des discussions franches, suggère la psychothérapeute, servez-vous de vos temps d’attente – en train, dans le métro par exemple – pour lire des articles ou des livres sur la vie à deux. Présentez-les ensuite à votre conjointe ou conjoint en lui démontrant votre intérêt, ou laissez-les traîner sur la table… «On doit toujours garder son sens critique, prévient-elle, mais c’est un bon moyen de déclencher un échange.»

RAPPEL AMOUREUX

Appliquer ces huit conseils permettrait de préserver la passion au sein du couple.

  • Dites ce que vous pensez
  • Exprimez-vous au «je» au lieu de reprocher au «tu»
  • Gardez-vous des moments d’intimité
  • Cherchez souvent à faire plaisir à l’autre par des attentions simples
  • Continuez à faire des compliments
  • Mettez-vous dans la peau de l’autre
  • Soignez votre personne
  • Choisissez vos amis

Tiré et adapté de «Notre principal conseil : essayez d’éviter la séparation» sur le site français www.divorceoumonop.com/articles/ evitez/evitez.html.

LA VIE À DEUX… SUR TROIS DÉCENNIES

Extérioriser l’insatisfaction, les Julien connaissent. Après 32 ans de vie commune, ils en ont traversé des épreuves. Et, si leur bonheur est aujourd’hui palpable, c’est qu’ils ont su garder le fort. Fondateur de Courvie et représentant en assurance-vie depuis plus de 25 ans, Rodrigue Julien a consacré d’innombrables heures à sa carrière. Quand il s’est lancé dans cette entreprise, en 1983, il a tenu à confier la gestion à son associé et à se concentrer sur le service. Ce qui impliquait du temps passé à l’extérieur du foyer.

«Je travaillais quatre soirs par semaine, je devais cibler ma clientèle comme représentant, trouver quel créneau représentait le plus de potentiel. J’en rencontrais, des clients!» raconte-t-il sous l’œil attentif de sa femme. «On ne pouvait jamais faire d’activités avec d’autres couples parce qu’il travaillait. Quand on a eu les enfants, j’ai fait le choix de rester à la maison. Lui, il faut lui donner cela, s’organisait pour venir souper à la maison tous les jours, donner le bain aux enfants, les coucher, puis il repartait. Je me suis adaptée», ajoute Louise Julien.

Puis, il y a quelques années, la firme de courtage en assurance a commencé à péricliter. Et M. Julien, à se faire du mauvais sang. «Il était très préoccupé, il écourtait ses vacances l’été, lui pour qui les vacances étaient sacrées. En plus, il a toujours eu de la difficulté à évaluer son temps. Il me disait qu’il arriverait dans cinq minutes, alors que je le voyais poindre au bout d’une, deux heures. Au début, c’était très frustrant, surtout quand les enfants étaient jeunes. Je me suis alors organisée. Pour moi, ce n’était pas une question de contrôle, mais de planification. Maintenant, je ris quand il me dit qu’il s’en vient dans pas longtemps!» précise Mme Julien, faisant sourire son époux.

Tout ce stress a cependant coûté cher : Rodrigue Julien a perdu temporairement l’usage de son œil gauche et a dû rester à la maison pendant de longs mois. À partir de ce moment, il a repensé sa philosophie de vie. «Je courais moins, je laissais aller mon imagination. J’ai découvert le pouvoir de la réflexion. Tôt le matin, quand je me lève, je prends désormais une heure pour préparer mentalement ma journée, voir où je m’en vais, ce que je pourrais améliorer. Parce que je me suis rendu compte qu’on est tellement dans le feu de l’action que l’on n’est plus conscient de ce qui nous entoure. Méditer me rend plus efficace, et fait baisser ma pression! C’est mon truc depuis dix ans, et il a fallu que je tombe en invalidité pour prendre conscience de tout cela…», avoue sereinement cet homme aujourd’hui rayonnant de santé.

Selon son expérience, le tournant de la quarantaine a été l’un des moments les plus difficiles. «On traversait une autre crise et, en même temps, à 37, 38 ans, on se disait qu’il n’était pas trop tard pour refaire sa vie avec quelqu’un d’autre», débute M. Julien. «On s’est arrêtés et on s’est demandé quels étaient nos problèmes. Divorcer, cela aurait été tout aussi difficile et cela n’aurait pas réglé nos patterns. Alors, on a décidé, conjointement, de consulter un spécialiste», enchaîne Mme Julien. Sans cette thérapie, ils ne seraient plus ensemble, croit le couple, qui déplore que les partenaires s’engagent trop souvent sans se connaître.

Après quelques années à développer son expertise et ses affaires, obtenir le succès enivre, c’est un fait. La carrière prestigieuse, les soupers six services, les soirées de reconnaissance, il est très facile de se laisser emporter. «Tu es comme sur un nuage, mais tu ne remarques pas que tu ne vois plus ta famille. Sans compter qu’on ne se réalise pas du jour au lendemain, il faut y mettre les efforts. Il y a un lot de responsabilités qui viennent avec la décision d’avoir des enfants. Tu te sens tiraillé entre ta carrière et ton ménage, et ça demande une force de caractère notable pour mettre un frein à ta réussite professionnelle», poursuit M. Julien. Sa conjointe complète : «Mon mari a réalisé qu’il n’était pas aussi présent qu’il l’aurait souhaité. Mais on ne peut pas être à deux endroits en même temps. Et moi, j’ai appris à accepter son travail. Quand on a 30 ans, on ne conscientise pas cela, c’est après qu’on s’en rend compte. Moi, me faire pardonner ses absences avec des fleurs, ça n’aurait pas pris! Je suis une fille qui verbalise, je dis ce que j’ai à dire. Lui, au début, était du type qui ne parle pas. Maintenant, il s’exprime.»

Le couple a mis en place plusieurs pratiques facilitant l’espace et… les retrouvailles de chacun. Chaque année, ils visitent ensemble mais aussi séparément des destinations soleil pour se requinquer. Et pas de jalousie mal placée : après tout, on n’a pas besoin d’aller au Club Med pour tromper son partenaire, comme le fait remarquer M. Julien. Aussi, quand le représentant devait se rendre fréquemment à Montréal, Mme Julien, restée à Québec, en profitait pour faire une activité avec ses deux fils. «Ça devenait un événement pour nous deux! C’était comme une fête pour ma femme de se retrouver seule avec les enfants. Puis moi, j’aimais discuter avec des courtiers autour d’un bon repas. Quand je revenais en ville, on était contents de se voir», analyse-t-il.

Ils ne se gênent pas non plus pour aller au cinéma ou au théâtre quand cela leur chante, même si l’autre préfère rester à la maison.

En outre, Mme Julien a longtemps reçu un revenu quand elle était au foyer, notamment parce qu’elle avait eu une boutique franchisée. Elle n’avait donc pas besoin de quémander de l’argent à son mari. Et lui ne se mêlait pas de la façon dont elle employait son temps. Se consacrer aux enfants, lire, suivre des cours, fréquenter ses amies, Louise Julien s’occupait amplement.

Leur façon d’aborder leur relation est simple mais sage : ainsi que l’illustre M. Julien, c’est dans les épreuves que l’on grandit… et aussi que l’on reconnaît la valeur des gestionnaires. «C’est la même chose pour un couple. Si ton travail est menacé, tu vas tout faire pour le sauver, en te donnant des outils. On devrait mettre autant d’efforts dans notre relation. Personne ne laisserait couler son entreprise sans rien faire.»

C’est grâce à de telles réflexions et de tels actes que l’on solidifie une union. Et le jeu en vaut la chandelle. «À 50 ans, quand on est en santé, c’est la plus belle période. On peut voyager, les garçons débutent leur carrière, on est plus libres», souligne Rodrigue Julien, le regard vif. «Désormais, on mange à la table parce que tout le monde est là. Et l’atmosphère est beaucoup plus relaxante. Même si on a chacun nos occupations, on est plus unis que jamais», conclut sa femme d’un sourire entendu.

Caroline Fortin