Investir lorsque les taux grimpent

Par Nathalie Côté | 11 avril 2018 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Denis Ismagilov / 123RF

La ­Banque du ­Canada a haussé en janvier son taux directeur pour la troisième fois en six mois. À quoi ­faut-il s’attendre pour l’avenir et quelles en seront les conséquences pour vos clients?

Malgré les récentes chutes boursières, les bonnes nouvelles économiques restent nombreuses partout dans le monde depuis l’an dernier. La ­Réserve fédérale américaine a d’ailleurs réduit ses mesures pour soutenir l’économie. D’autres banques centrales devraient lui emboîter le pas. Bien que l’inflation demeure basse, elle est tout de même en hausse au ­Canada, aux ­États-Unis et dans plusieurs pays. De plus, les risques d’une récession à court terme demeurent très faibles.

Si la tendance se maintient, la ­Banque du ­Canada devrait donc hausser de nouveau son taux directeur dans les prochains mois, alors qu’il s’élève actuellement à 1,25%.

«­On avance dans le cycle économique et l’économie mondiale va tellement bien que ça permet à l’inflation de gagner du terrain, explique ­Sébastien ­Lavoie, économiste en chef à la ­Banque ­Laurentienne. Ça renforce la confiance envers l’économie de la ­Banque centrale du ­Canada, qui commence à enlever un peu de stimulus monétaire. Il sera toutefois difficile d’augmenter le taux de manière aussi fréquente prochainement que lors des derniers mois. Surtout que la ­Banque du ­Canada a dit vouloir maintenir son taux sous le taux neutre, soit environ 3%. Si on vit trois hausses de 0,25% dans les 24 prochains mois, on atteindrait un taux de 2%. Il serait étonnant qu’on dépasse cette limite.»

«­Il y aura ­peut-être d’autres hausses [en 2018], mais je pense que ce sera dans la deuxième moitié de l’année», avance de son côté ­Stéfane ­Marion, économiste et stratège en chef à la ­Banque ­Nationale.

Les experts surveillent cependant avec attention les négociations entre le ­Canada, les ­États-Unis et le ­Mexique au sujet de l’Accord de ­libre-échange ­nord-américain (ALENA). Si elles devaient mal tourner, cela changerait certainement leurs prévisions.

« En période de hausse de taux d’intérêt, s’il y a une catégorie d’actif où on ne veut pas être investi, c’est lesobligations.»

Jean-Philippe Tarte, maître d’enseignement au Département de finance de HECMontréal

QUELLES RÉPERCUSSIONS? 

La bonne situation économique et les hausses de taux directeur réalisées et à venir entraînent différentes conséquences pour les produits financiers. En voici les principales. Obligations : «­Lorsque les taux sont à la hausse, le prix des obligations est à la baisse, explique ­Jean-Philippe ­Tarte, maître d’enseignement au ­Département de finance de ­HEC ­Montréal. Ça s’est déjà fait sentir sur les titres obligataires à court terme. En période de hausse de taux d’intérêt, s’il y a une catégorie d’actif où on ne veut pas être investi, c’est les obligations.»

Les détenteurs de ces titres ne sont cependant pas automatiquement perdants, souligne ­David ­Truong, conseiller au ­Centre d’expertise de ­Banque ­Nationale ­Gestion privée 1859.

«­Les obligations ont une échéance et leur prix varie pendant la période où on les détient, ­explique-t-il. Donc lorsque les taux montent, il est vrai que le prix des obligations va être à la baisse. Mais si on les garde jusqu’à terme, on va recevoir ce qui était prévu malgré tout, puisque le montant versé à l’échéance d’une obligation est fixé au moment où l’investisseur y souscrit. C’est comme une dette.» ­En souscrivant une obligation, on prête en effet un montant prédéterminé à l’organisme émetteur, qui le rembourse au terme, en plus de verser des intérêts annuels.

Actions : «­Dans la dernière décennie, les taux d’intérêt étaient en chute libre, rappelle M. Tarte. Bien des investisseurs, plutôt que de rester dans les obligations qui versaient des intérêts faméliques, ont migré vers des actions à dividendes élevés. La demande a fait grimper leur prix. Quand les taux vont se stabiliser, le prix des obligations va cesser de descendre et on va voir la migration inverse. Mais nous n’en sommes pas là.»

Les actions de croissance devraient quant à elles continuer de grimper tant que l’économie se porte bien, selon lui.

Pour ce qui est des fonds de fiducies de placement immobilier, ils devraient souffrir de la hausse des taux d’intérêt. «­Cela va augmenter les coûts de financement dans l’immobilier, note M. Tarte. C’est une catégorie d’actions qui verse habituellement des dividendes élevés, mais ­ceux-ci risquent d’être réduits.»

Certains secteurs, eux, deviennent plus attrayants. «Historiquement, quand l’inflation s’accélère, certains secteurs ont tendance à faire mieux que d’autres, signale ­Eric ­Corbeil, économiste principal à la ­Banque ­Laurentienne. On recommande donc à nos clients de surpondérer les actions des secteurs comme l’énergie, la finance, les matériaux et produits industriels. Le problème, c’est qu’à un moment donné, les taux d’intérêt vont monter au point où ils vont étrangler la croissance économique. On ne sait pas quand on va atteindre ce stade, mais lorsque ce sera le cas, les secteurs cycliques comme ­ceux-là risquent de ­sous-performer.»

D’un point de vue géographique, les marchés canadiens et émergents devraient offrir de meilleures performances que les marchés américains et internationaux. «­Les actions canadiennes sont encore très bon marché par rapport aux actions américaines, note M. Corbeil. Les conditions demeurent idéales pour les marchés émergents. […] ­Leurs banques centrales ont de la marge de manœuvre pour assouplir leur politique monétaire : l’écart de taux réel[1] entre les marchés émergents et développés demeure exceptionnellement élevé et le besoin de défendre la valeur de leur devise se fait moins grand. Les bénéfices prévisionnels des marchés émergents sont également en hausse par rapport aux marchés développés, autre facteur qui joue en faveur des actions des marchés émergents. Ces derniers devraient aussi tirer parti du raffermissement des prix des produits de base.»

« En période de hausse de taux d’intérêt, s’il y a une catégorie d’actif où on ne veut pas être investi, c’est lesobligations.»

Jean-Philippe Tarte, maître d’enseignement au Département de finance de HECMontréal

Certificats de placement garanti : ces produits demeurent destinés aux épargnants qui veulent absolument éviter le risque. «­Ils vont se retrouver avec une hausse de taux d’intérêt et c’est intéressant pour eux, souligne M. Truong. Mais je ne suis même pas certain qu’ils vont finir par battre l’inflation. Pour une clientèle qui tolère un peu de risque, les marchés demeurent plus intéressants.»

Assurance : «­Essentiellement, les hausses de taux vont avoir un effet positif pour les compagnies d’assurance, indique M. Tarte. ­Celles-ci prennent l’argent des assurés, le placent et le retournent aux assurés par la suite. La hausse des taux d’intérêt leur permettra d’être plus compétitives et de réduire les primes à moyen et long terme.»

Rentes viagères : «­Lorsque les taux d’intérêt sont à la hausse, l’achat d’une rente viagère est moins onéreux, souligne M. Truong. [Pour plusieurs produits, dont les rentes], les compagnies d’assurance doivent détenir des obligations à long terme et leur prix baisse en contexte de hausse de taux. Elles coûteront donc moins cher aux assureurs, qui pourront refiler l’économie à leurs nouveaux clients.»

Régimes de retraite : «­Si les taux d’intérêt continuent de grimper à moyen et long terme, on peut espérer que les cotisations des prestataires de régimes de retraite seront réduites parce que les rendements seront plus élevés», souligne M. Tarte.

QUELLES STRATÉGIES POUR VOS CLIENTS?

En principe, les placements de vos clients devraient correspondre à leurs objectifs et à leur profil d’investisseur. Ils devraient aussi être bien diversifiés. Vos clients devraient donc s’en tenir au plan de match que vous avez établi ensemble.

«­Normalement, on ne devrait pas changer la stratégie, souligne M. Truong. Si le client était surpondéré ou ­sous-pondéré dans une catégorie, on peut faire de petits ajustements, mais sans transformer le plan général. En 2008, par exemple, ceux qui avaient un profil croissance ont vu la valeur de leur portefeuille chuter. Certains investisseurs ont été tentés d’aller vers quelque chose de plus sécuritaire, mais ce n’est pas la chose à faire. Ceux qui ont conservé la même stratégie ont vu la valeur de leurs placements remonter relativement rapidement.»

Les audacieux profitent déjà des conditions actuelles, signale M. Tarte. «­Dans les deux dernières années, ils étaient déjà dans les bonnes catégories d’actif.»

Quant aux plus prudents, ils devront se montrer patients, mais cela finira par payer. «­Ceux-là investissent davantage dans les obligations et ça a déjà commencé à faire mal, note M. Tarte. Mais à long terme, il va y avoir un effet bénéfique sur les rendements. Les taux d’intérêt étant à la hausse, les intérêts sur leurs placements vont augmenter.»

1,9% L’indice des prix à la consommation a augmenté de 1,9% entre décembre 2016 et décembre 2017. Il se situe donc dans la fourchette d’inflation que vise la ­Banque du ­Canada (de 1 à 3 %).

(Sources : Statistique Canada et Banque du Canada)


[1] C’est-à-dire le taux d’intérêt corrigé des effets de l’inflation et du niveau de risque.


• Ce texte est paru dans l’édition d’avril 2018 deConseiller.

Nathalie Côté