Jean-Guy Desjardins : à la conquête de la finance québécoise

Par Frédérique David | 22 juin 2017 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Photo : 123rf

Le parcours du fondateur de Fiera Capital, Jean-Guy Desjardins, en est un de recommencement. Après avoir vendu une première entreprise à contrecœur, il bâtit patiemment une nouvelle firme de placement, qui deviendra l’une des plus importantes au Québec. C’est cette histoire de persévérance que l’on peut découvrir dans sa biographie récemment publiée.

Paru aux Presses de l’Université du Québec, l’ouvrage Jean-Guy Desjardins, le phénix de la finance révèle en effet le chemin hors du commun suivi par ce financier québécois des plus déterminés.

Chercheure associée à la Chaire de leadership Pierre-Péladeau de HEC Montréal et auteure de neuf biographies de gens d’affaires, Jacqueline Cardinal n’avait jamais rencontré Jean-Guy Desjardins avant d’entreprendre l’écriture de sa biographie. Elle connaissait TAL et Fiera Capital, les deux entreprises de gestion d’actif qu’il a créées, et souhaitait découvrir ce qui a mené à l’ascension de celui qu’elle qualifie de « phénix de la finance ».

« Comme beaucoup de gens d’affaires, Jean-Guy Desjardins est un homme discret qui ne cherche pas du tout les projecteurs, mentionne la biographe. Toutefois, il se sent redevable envers les HEC. Il dit que c’est là qu’il a trouvé la boîte à outils qui lui a permis de réussir dans la vie. Il aimait donc l’idée que son leadership soit mis en valeur pour les étudiants, que cela ait une valeur pédagogique. »

C’est pourquoi il a accepté de participer au projet et de rencontrer Jacqueline Cardinal.

L’AMBITION D’UNE MÈRE

La première partie du livre relate l’enfance mouvementée de celui qui s’est fait mettre à la porte de plusieurs écoles en raison de son « comportement rebelle et de ses piètres résultats scolaires. […] Il n’écoutait que lorsque le professeur réussissait à l’intéresser à la matière ». Jean-Guy Desjardins raconte comment sa mère, une femme intelligente et ambitieuse, est parvenue à le remettre sur le droit chemin.

« Il est très conscient qu’il lui est redevable, mentionne Jacqueline Cardinal. Elle l’a sorti du lit à 16 ans en lui disant qu’il n’était pas question qu’il se fasse entretenir. Il est revenu le soir-même avec son premier emploi. »

Quelques mois plus tard, le jeune homme est bien décidé à retourner sur les bancs d’école. « C’est un homme entier, passionné, confie Jacqueline Cardinal. Son objectif était d’aller aux HEC quatre ans plus tard et il n’avait pas fait son cours classique. Yvette Desjardins avait confié son ambition à son fils. Il n’était pas question que ses enfants n’étudient pas. Il n’a plus jamais arrêté ensuite. »

SORTIR DES SENTIERS BATTUS

La biographie de Jean-Guy Desjardins dresse le portrait d’un homme avant-gardiste, qui n’a pas hésité à tourner le dos aux méthodes traditionnelles de gestion pour adopter une approche scientifique. Ses professeurs des HEC, qui arrivaient de Harvard, l’ont initié entre 1966 et 1969 à la théorie moderne du portefeuille (Modern Portfolio Theory) développée par le Nobel d’économie Harry Markowitz en 1952.

Cette dernière permet de mesurer la performance des portefeuilles et de comparer leur évolution avec plus de précision grâce à de nouvelles techniques (notamment l’étude de ratios et de coefficients). Les méthodes traditionnelles se fondaient plutôt sur les « rencontres avec les dirigeants d’entreprises concernées, analyse de leurs bilans passés, étude de leurs dossiers de planification […] », souligne l’auteure.

« Jean-Guy Desjardins voyait le potentiel immense de cette nouvelle approche scientifique de placement, explique Jacqueline Cardinal. Il a essayé de l’implanter en 1967 lors de son premier emploi d’été dans une maison de courtage chez Placements Collectifs, mais [ses patrons] n’étaient pas prêts à l’adopter. »

Après quelques années à la Sun Life, Jean-Guy Desjardins a finalement appliqué la théorie dans ses propres quartiers, chez TAL, firme de gestion d’actif qu’il a créée en 1987. Il y a également développé ses fameuses « joutes intellectuelles », qui consistent à encourager les discussions et les échanges d’idées au sein de ses équipes de placement.

« C’est ce qui le distingue de ses concurrents, estime la biographe. Cette joute intellectuelle, il en a même fait son slogan : « Le pouvoir de penser ». Il dit que pour être capable d’expliquer à un client en quoi consiste un produit complexe, il faut l’étudier à fond, il faut « penser jusqu’à ce que cela fasse mal », selon l’expression de son entraîneur de football, l’absorber, l’intégrer et le ressortir dans des termes compréhensibles. »

L’homme d’affaires n’est sans doute pas le seul à encourager de telles pratiques, mais elles demeurent un incontournable de son style de gestion.

LA VENTE DE TAL

Les rencontres de Jacqueline Cardinal avec M. Desjardins ont mis au jour des moments charnières et des ruptures, qui ont révélé à l’homme d’affaires ses capacités. « Dans le cas de Jean-Guy Desjardins, la grande rupture fut la vente de TAL [à CIBC], mentionne-t-elle. Il avait l’ambition de conquérir le monde de la finance et, avec 65 G$ d’actif au moment de sa vente, TAL était sur sa lancée. »

En 2001, Jean-Guy Desjardins a pourtant été contraint de mettre un terme à 30 années à la tête de cette entreprise de placement d’envergure internationale. Les pressions de la CIBC, de certains associés et même des employés étaient trop fortes.

« À cause d’une politique encourageant les employés à acheter des parts de l’entreprise, beaucoup d’entre eux avaient des actions et ils ont su qu’il y avait une offre avantageuse sur la table, explique Jacqueline Cardinal. La décision a été très douloureuse pour Jean-Guy Desjardins. »

Avec les sommes considérables qu’il a touchées (la CIBC a versé 350 M$ aux principaux dirigeants de TAL lors de l’acquisition), l’homme d’affaires aurait pu se contenter de faire du vélo (sa passion) et de voyager, mais il n’est pas fait de ce bois-là. « Il voulait réparer ce qu’il considérait comme un échec », explique la biographe. En 2003, à l’âge de 58 ans, il envisage donc un nouvel avenir.

« Il était divorcé depuis 13 ans et ses trois enfants étaient adultes, indique Jacqueline Cardinal. Il a décidé de se remarier, de refonder une famille [il a eu deux filles de cette union], et de lancer une nouvelle entreprise. » jean_guy_desjardins_couverture_livre_150x186L’ASCENSION DE FIERA CAPITAL

L’auteure du livre décrit cette dernière comme « le prolongement » de Jean-Guy Desjardins, une entreprise qui lui ressemble et qui a adopté son style de gestion. Afin de ne pas revivre un fin semblable à celle de TAL, l’homme d’affaires s’est assuré de détenir 51 % des parts de l’entreprise.

Quatorze ans après sa création, grâce à des acquisitions stratégiques, Fiera Capital gère plus de 117 milliards de dollars d’actif. « Jean-Guy Desjardins a appris de ses erreurs. Il se sent plus fort. Il est convaincu qu’il parviendra à atteindre les 250 G$ requis pour être important dans l’univers de la finance internationale, ajoute Jacqueline Cardinal. Pour Montréal, c’est extraordinaire! »

Jacqueline Cardinal, Jean-Guy Desjardins, le phénix de la finance, Presses de l’Université du Québec, 2017, 230 pages.

Frédérique David