La bonification du RRQ rate-t-elle la cible?

Par Pierre-Luc Trudel | 8 Décembre 2016 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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En voulant à tout prix réduire l’écart de coût entre le Régime de rentes du Québec (RRQ) et le Régime de pension du Canada (RPC), Québec a perdu de vue l’objectif de base de la bonification du RRQ, ont affirmé lundi deux experts lors d’un midi-conférence de l’Association de la retraite et des avantages sociaux du Québec (ARASQ).

Selon le scénario de bonification du RRQ envisagé par le ministre des Finances Carlos Leitão, les premiers 27 450 $ de revenu, soit 50 % du maximum des gains admissibles (MGA), seraient exonérés de la hausse des cotisations et de la bonification des rentes, explique Michel Lizée, économiste retraité de l’Université du Québec à Montréal.

Pour les revenus se situant entre 27 450 $ et 62 600 $, le taux de remplacement passerait à 33,3 %, contre 25 % actuellement, affirme Retraite Québec. Michel Lizée soutient toutefois que cet énoncé est inexact. Le taux de remplacement maximal serait en réalité plus bas, à 29,6 %, en raison de l’exemption sur la première tranche de 27 500 $ de revenu, explique-t-il.

Du côté des cotisations, un taux de 2 % s’appliquerait sur les gains réalisés entre 27 450 $ et 54 900 $, tandis qu’il atteindrait 8 % entre 54 900 $ et 62 600 $.

« Peu importe le niveau de revenu, la prestation du RRQ serait nettement moindre que la prestation du RPC », affirme M. Lizée. Ainsi, la rente maximale du RPC bonifié atteindra 19 912 $, comparativement à 17 736 $ dans le scénario de bonification du RRQ envisagé par Québec. À l’heure actuelle, la rente maximale du RPC et du RRQ se chiffre à 13 110 $.

« L’amélioration du taux de remplacement du revenu pour la classe moyenne, qui était l’objectif même de l’exercice, est devenue une simple considération parmi d’autres », déplore Michel Lizée.

Selon l’économiste, l’objectif premier de Québec dans l’élaboration d’un scénario de bonification a été de réduire l’écart entre le RRQ et le RPC concernant le taux de cotisation et les prélèvements sur la masse salariale des entreprises. Le contexte démographique moins favorable du Québec ainsi que des considérations économiques auraient également alimenté la réflexion gouvernementale.

LA CLASSE MOYENNE PERDANTE

Les individus ayant un revenu se situant entre 27 500 $ et 54 900 $ sont les moins bien desservis par le système de retraite canadien, et ce sont également eux qui seront le plus pénalisés par la faiblesse de la bonification du RRQ proposée par le ministre Leitão, indique Ruth Rose, professeure associée au département de sciences économiques de l’UQAM.

Pourquoi? La plus grosse partie de l’augmentation de leur rente servira à réduire leur Supplément de revenu garanti (SRG), explique-t-elle.

Ce groupe d’individus ne bénéficiera pas non plus de la hausse de la Prestation fiscale pour le revenu de travail (PFRT). Seuls les salariés à faible revenu pourront en tirer profit « C’est ce groupe qui aurait dû être ciblé en priorité par la bonification du RPC et du RRQ », se désole Mme Rose.

Les individus gagnant entre 54 900 $ et 82 350 $ ont également de la difficulté à maintenir leur niveau de vie une fois à la retraite, poursuit-elle. Or, le RPC et le RRQ, même bonifiés, remplaceront une trop faible portion de leur revenu d’avant la retraite.

PROBLÈMES D’ÉQUIVALENCE À PRÉVOIR

La décision de Québec de ne pas adhérer à l’entente sur la bonification du RPC pourrait avoir des conséquences plus insoupçonnées. À l’heure actuelle, une entente entre Québec et Ottawa fait en sorte que les années cotisées au RRQ et au RPC sont intégralement reconnues comme équivalentes, ce qui s’avère bien pratique pour les citoyens ayant travaillé au Québec et dans d’autres provinces au cours de leur carrière.

Lorsque les bonifications entreront en vigueur, les deux régimes ne seront toutefois plus équivalents, ce qui nécessitera une négociation distincte. « On peut s’attendre à ce que les années cotisées au Québec ne soient pas reconnues intégralement dans le cas d’une rente à être versée par le RPC », indique Michel Lizée.

Les employés québécois sous compétence fédérale, qui devaient à l’origine participer au RPC et non au RRQ, pourraient aussi réclamer le droit d’être traités équitablement avec leurs homologues des autres provinces en participant au régime le plus avantageux, soit le RPC. Des recours juridiques ne sont pas impossibles, souligne M. Lizée.

IMPACT SUR LES RÉGIMES COMPLÉMENTAIRES

Face à une bonification du RRQ, certains promoteurs de régimes de retraite privés pourraient décider de ne pas apporter de modification aux modalités de leur régime de retraite, ce qui se traduirait par une hausse du taux de remplacement du revenu à la retraite.

Mais Michel Lizée est d’avis que de nombreux promoteurs choisiront plutôt de réduire les cotisations à leur régime de façon à ce que les participants conservent le même taux de remplacement du revenu à la retraite. Concrètement, cela pourrait engendrer la fermeture de certains régimes peu généreux, estime-t-il.

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Pierre-Luc Trudel