La difficile quête du recouvrement

Par Pierre-Luc Trudel | 13 avril 2016 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Les amendes occupent une place de choix dans la boîte à outils des organismes de réglementation, qui y ont recours pour asseoir leur autorité et dissuader les potentiels auteurs de crimes économiques. Mais ces amendes sont-elles réellement payées par les contrevenants ?

L’Autorité des marchés financiers (AMF) n’a récupéré que 9 % des amendes pénales qu’elle a imposées au cours des dix dernières années, selon les données que Conseiller a obtenues auprès de l’organisme de surveillance.

Les taux de recouvrement sont en revanche plus élevés pour les sanctions administratives imposées par l’Autorité elle-même (96,7 %) et les pénalités administratives imposées par le Bureau de la décision et de révision en valeurs mobilières (46 %).

Les sommes en jeu dans ces deux dernières catégories d’amendes, qui varient de quelques centaines à quelques milliers de dollars, sont toutefois largement inférieures à celles des amendes pénales imposées par les tribunaux.

Ainsi, pour l’année 2014, l’AMF n’a perçu que 2,36 millions des 11,3 millions de dollars qu’elle a réclamés au total en amendes pénales et administratives, soit un taux de recouvrement d’environ 21 %, selon les données contenues dans le rapport annuel 2014-2015 de l’organisme.

Puisque les amendes ne sont pas forcément payées au cours de l’année financière où elles ont été émises, le taux de recouvrement varie d’année en année et peut augmenter au fil du temps, mais demeure assez stable à long terme, soutient l’AMF.

Si l’organisme de réglementation ne perçoit en réalité qu’une faible portion des amendes qu’elle inflige, c’est généralement parce que les contrevenants déclarent faillite. « Les individus se disent non solvables ou n’ont plus d’actifs à leur nom, explique Sylvain Théberge, directeur des relations médias à l’AMF. Il s’agit souvent d’infractions en placement illégal où il ne reste plus d’argent dans les comptes, des pyramides de Ponzi, par exemple. »

Taux de recouvrement des amendes administratives et pénales imposées par l’Autorité des marchés financiers
Année Taux de recouvrement
2014 21 %
2013 10 %
* Source : Rapports annuels 2013-2014 et 2014-2015 de l’AMF. Il a malheureusement été impossible d’obtenir des données pour les années antérieures.

LES AMENDES NE S’ÉVAPORENT PAS

Si l’AMF recouvre elle-même certaines amendes (généralement celles impliquant de petits montants) en concluant des ententes avec les contrevenants, elle se tourne vers le Bureau des infractions et amendes (BIA) pour se faire payer dans les cas plus lourds, ce qui inclut les amendes pénales.

Relevant du ministère de la Justice du Québec, le BIA s’occupe du recouvrement des amendes et des frais judiciaires imposés par jugement, mais non acquittés dans les délais prescrits par le tribunal. Pour récupérer les sommes dues, le BIA travaille en collaboration avec différents intervenants, comme Revenu Québec et le ministère des Finances.

Si le débiteur ne paye toujours pas son amende à l’AMF, le BIA tentera de saisir ses biens. « Le BIA fait tout ce qu’il est légalement possible de faire pour recouvrer les sommes. Il y a certaines limites à notre action. Si malgré toutes ses investigations, le BIA ne trouve aucun actif, il ne peut pas procéder à une saisie. Il faut aussi mentionner que les montants des amendes pénales imposées par l’AMF sont généralement très élevés », explique Paul-Jean Charest, porte-parole du ministère de la Justice.

28 C’est le nombre de recours judiciaires devant les tribunaux intentés par l’AMF du 1er avril 2014 au 31 mars 2015.

Dans de telles circonstances, le contrevenant peut faire l’objet d’une transformation de peine, en travaux communautaires, par exemple. En dernier recours, le BIA peut demander l’imposition d’une peine d’emprisonnement à défaut du paiement de l’amende.

« Ce n’est pas parce que l’individu déclare faillite que l’amende s’évapore, insiste Sylvain Théberge. Il aura toujours une dette envers la société et les tribunaux pourront le traîner en justice aussi longtemps que nécessaire. »

Les sommes que l’AMF parvient malgré tout à rapatrier dans ses coffres sont allouées entièrement au Fonds d’indemnisation des services financiers ainsi qu’au Fonds pour l’éducation et la saine gouvernance.

« Ce n’est pas parce que l’individu déclare faillite que l’amende s’évapore. Il aura toujours une dette envers la société. »

Sylvain Théberge, AMF

LA CSF S’EN TIRE MIEUX

« Notre taux de récupération des amendes est très élevé. On ne laisse rien passer », affirme de son côté Marie Elaine Farley, présidente et chef de la direction de la Chambre de la sécurité financière (CSF).

En 2014, l’organisme d’autoréglementation a récupéré 71 % des 248 000 $ d’amendes qu’elle a imposées. Entre 2011 et 2014, le taux de recouvrement moyen s’est chiffré à 83 %, alors qu’il a atteint 95 % en 2012.

« Puisque les amendes ne sont pas toujours payées immédiatement, suivant des ententes d’échelonnement de paiement, par exemple, il est difficile de quantifier le taux de perception dans un exercice comptable. Les montants perçus peuvent augmenter au fil des années. Ce n’est pas parce qu’une amende n’a pas été payée dans une année donnée qu’elle ne le sera jamais », précise-t-elle, ajoutant que malgré ces variations annuelles, la tendance demeure stable à long terme.

« Notre taux de récupération des amendes est très élevé. On ne laisse rien passer.  »

Marie Elaine Farley, Chambre de la sécurité financière

La CSF peut par ailleurs user de nombreux leviers pour faire respecter les décisions de son comité de discipline, soutient Mme Farley. « La Chambre a le pouvoir de s’assurer de recouvrer les amendes qu’elle impose en utilisant tous les moyens légaux mis à sa disposition. »

POUVOIR D’EXÉCUTION FORCÉE

Les individus mis à l’amende sont d’abord contactés par la CSF. En l’absence de collaboration, elle peut faire homologuer les décisions de son comité de discipline par le tribunal et, donc, intenter des procédures de recouvrement pouvant mener à une saisie. Il s’agit cependant de mesures « exceptionnelles », indique la présidente de la Chambre.

Intenter une telle procédure de recouvrement est une démarche coûteuse. C’est pourquoi l’organisme tente d’abord de conclure une entente de paiement avec l’individu mis à l’amende. « S’il déclare faillite, on n’est pas plus avancé, c’est pourquoi nous privilégions ce type d’arrangement », souligne Mme Farley, qui ajoute que bien des contrevenants paient leur amende rapidement pour éviter d’avoir à débourser des intérêts. À un taux de 5 %, ceux-ci s’appliquent dès que la cour rend son jugement sur la procédure d’homologation.

47 C’est le nombre d’amendes imposées par la CSF en 2014.

À noter que les membres radiés peuvent autant faire l’objet de ces mesures d’exécution forcée que les membres actifs. Un conseiller ne peut donc pas éviter de payer son amende simplement en quittant l’industrie.

En résumé, la CSF dispose des mêmes recours que les « vrais » ordres professionnels pour recouvrer ses créances. À titre de comparaison, l’Ordre des comptables professionnels agréés (CPA) a récupéré en moyenne 95 % des amendes qu’il a imposées entre 2012 et 2015 pour des infractions liées à la pratique illégale et à l’usurpation de titres.

À l’instar de l’AMF, la faillite ou l’insolvabilité sont les principales raisons évoquées par la Chambre pour expliquer le non-paiement des amendes.

Les sommes recouvrées par la CSF, que Marie Elaine Farley qualifie de « non significatives » dans le budget d’exploitation de l’organisme, contribuent notamment aux efforts de protection du public.

Taux de recouvrement des amendes imposées par la Chambre de la sécurité financière

Année Taux de recouvrement
2014 71 %
2013 75 %
2012 95 %
2011 92 %
* Source : Chambre de la sécurité financière.

• Ce texte est paru dans l’édition d’avril 2016 de Conseiller. Il est aussi disponible en format PDF. Vous pouvez également consulter l’ensemble du numéro sur notre site Web.

Pierre-Luc Trudel