La finance dans l’éprouvette de l’économie réelle

Par Pierre Saint-Laurent | 15 octobre 2013 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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La finance de marché est intrinsèquement liée à la finance relative aux sociétés et, plus encore, le secteur financier ne peut en aucun cas fonctionner sans une économie réelle solide. D’entrée de jeu, je tenais à rappeler cette vérité première, alors qu’il est si facile de l’oublier lorsqu’on est plongé quotidiennement dans l’étude des marchés.

Cela nous impose, intervenants du secteur financier, de reconnaître l’importance de la macroéconomie mondiale. Or, quels sont les constats?

* Europe : difficultés inégalées dans les 60 dernières années; * Chine : ralentissement marqué, transition vers une réelle demande intérieure; * Pays émergents : mis à mal par les ralentissements des pays développés; * États-Unis : résilience traditionnelle, sur fond d’endettement sans précédent.

Puisque les marchés financiers sont ainsi réellement tributaires des économies susmentionnées, ces réalités macroéconomiques constituent l’essentiel du portrait futur pour l’ensemble des investisseurs qui ont des horizons de placement de long terme et des aversions au risque moyennes.

Les marchés financiers ont une étonnante résilience… tant qu’ils ne « cassent » pas. À très long terme, et analysés de façon macroéconomique, on le sait, ils ne peuvent que progresser. Le secteur financier est le catalyseur qui permet à l’économie réelle de s’exprimer.

Si vous êtes d’accord avec ce tour d’horizon, vous serez également d’accord quant à la nécessité d’ajuster les attentes et, bien sûr, le travail est déjà entamé.

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Risques à neutraliser

Nous avons découvert le risque de longévité, et fini par reconnaître que la durée des retraites est passée d’une dizaine à une trentaine d’années en deux générations.

Nous avons vécu une réelle liquéfaction des marchés, dont nous sentons toujours les contrecoups très réels (étant donné l’ampleur sans précédent de la dette américaine, nous continuerons d’en ressentir les effets pendant longtemps).

Nous avons vu l’apparition de produits financiers plus complexes les uns que les autres : CDO, PCAA, FNB et autres acronymes, dont certains, au final, n’ajoutent aucune valeur (je reste très diplomate ici). Est-ce raisonnable de penser que la volatilité dans les marchés n’a pu qu’être exacerbée par toutes ces vicissitudes? D’un point de vue de gestion des risques, je plaide en faveur d’une certaine prudence à long terme.

Que faire? Garder à l’esprit la probabilité d’événements extrêmes et gérer les portefeuilles en conséquence. On peut considérer le « tail risk » (le risque provenant de la « queue de distribution » des rendements) comme assurable. On peut ainsi acheter des options de vente sur le S&P 500 américain ou des FNB à découvert sur le marché canadien. Mais cela coûte très cher. C’est qu’une telle position constitue une police d’assurance. Or, une police d’assurance coûte plus cher que ce qu’elle « rapporte » (ce qu’elle donne en probabilité). Si, en plus, une stratégie passive aux risques de marché graves semble nuire aux rendements à long terme des portefeuilles, que reste-t-il?

Une stratégie active pourrait donc être utile.

Dans le document Chasing Your Own Tail, les gestionnaires d’AQR Capital, Nielsen, Villalon et Berger1, en présentent cinq. Bien que leur analyse porte sur le marché américain, la vérification des résultats corrélés pour le marché canadien pourrait s’avérer intéressante!

  • Diversifier selon le risque et non pas selon les rendements. Ainsi, dans un portefeuille standard (60 % actions, 40 % obligations), 90 % du risque vient des actions. On peut diversifier autrement ce risque, tel qu’expliqué dans les points qui suivent.
  • Gérer la volatilité de manière active : c’est que la volatilité est persistante, et selon les auteurs une moyenne de volatilité sur les trois mois passés prédit assez bien la volatilité sur le mois à venir.
  • Envisager les placements (dont les placements alternatifs) à faible corrélation, en particulier les contrats à terme gérés (managed futures).
  • Concentrer le compartiment actions sur les titres à faible bêta, ceux-ci présentant un rapport rendement/risque supérieur tout en permettant d’obtenir la prime de marché.
  • Développer un plan de gestion du risque pour le portefeuille avant que la crise ne frappe.

Comme l’économie réelle est préoccupante, nous devons impérativement intégrer une stratégie active, de même que les risques extrêmes, dans notre façon de réfléchir aux marchés financiers et à la construction de portefeuilles… Enfin, je le crois. Et vous?


Pierre Saint-Laurent, CFA, CAIA, FRM, CFE, est maître d’enseignement et responsable du DESS en professions financières à HEC Montréal. On le joint à Pierre.Saint-Laurent@HEC.ca.

1 Lars Nielsen, Daniel Villalon et Adam Berger, Chasing Your Own Tail (Risk). AQR Capital Management, été 2011.

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Pierre Saint-Laurent