La finance, moins diabolique qu’il n’y paraît

Par Christine Bouthillier | 8 janvier 2016 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Froide, calculatrice, insatiable. Les qualificatifs peu enviables pour décrire la finance ne manquent pas. Mais est-ce là tout ce qu’elle représente? Non, répond l’auteur Pierre de Lauzun. Dans La finance peut-elle être au service de l’homme?, le délégué général de l’Association française des marchés financiers tente de démontrer qu’elle peut être du côté du bien commun.

Conseiller : Commençons par LA question. La finance peut-elle vraiment être au service de l’homme?

Pierre de Lauzun : Oui, à condition qu’on le veuille. Je récuse l’idée que les marchés résultent de forces naturelles. Ils sont plutôt le fait d’ordres passés par des gens responsables de leurs actes.

Le marché ne nous déresponsabilise pas. Il n’est pas automatiquement efficient. Au lieu de dire, « je n’y peux rien », je dois me sentir responsable à mon niveau. Si je constate quelque chose de mal, je m’abstiens d’acheter ou je le dis.

Bien sûr, il est normal que l’on ait envie de faire de l’argent. C’est légitime, mais pour que ce soit moral, faire du profit doit avoir une valeur ajoutée. Toute opération financière modifie la réalité économique, a une incidence sur la société réelle. C’est pourquoi on doit aussi regarder les composantes autres que pécuniaires : le rapport de l’entreprise avec son personnel, les investisseurs, bref, son comportement. Le raisonnement est le même qu’avec l’achat responsable. En achetant ce café, je valide ce produit, je montre que j’ai été satisfait.

Autre exemple, lorsqu’on achète des actions à un prix trop bas, on pose un geste utile. En effet, en se procurant un titre sur un marché, on tend à pousser le prix vers le haut. Si le cours était trop bas, il est collectivement plus juste qu’il se rapproche de sa valeur réelle.

C : Pour assurer le bon fonctionnement du marché, vous insistez sur le respect des règles (par exemple, ne pas frauder). L’humain étant ce qu’il est, est-ce réellement possible?

PdL : Cela suppose deux choses : la réglementation et le comportement éthique. Un seul ne suffit pas. Par exemple, dans un sport, il faut fixer des règles, sinon ça ne fonctionnera pas. Au foot [soccer], on a beau avoir les joueurs les plus éthiques qui soient, on doit décider d’un nombre de joueurs précis. C’est la même chose pour le marché. On a besoin de règles, même dans un système qui serait très éthique.

Mais les règles ne sont pas toujours élaborées par des gens très compétents, notamment certains dirigeants politiques. Et même s’ils sont compétents, ils ne peuvent pas prévoir l’avenir et donc toutes les règles qui pourraient s’appliquer. D’où l’importance du comportement éthique.

C : Vous misez également sur une législation internationale pour plus de transparence et d’uniformité. Mais peu de gouvernements sont prêts à laisser aller leur pouvoir étatique… Comment surmonter ce problème?

PdL : Il n’existe pas d’autorité politique internationale. Sous l’égide du G20, on retrouve notamment le Conseil de stabilité financière et Bâle. Ils donnent des avis et des propositions de règles communes. C’est imparfait, mais au moins, c’est commun. Si tous appliquent la même législation, ça évite le déplacement du marché vers des pays sans réglementation nationale [par exemple, les paradis fiscaux].

Mais il y a un double obstacle : d’abord, ces autorités ne font que proposer des règles, que les États sont libres de suivre ou pas; ensuite, l’action internationale n’est pas opérationnelle. Il n’y a pas d’autorité internationale ayant capacité à décider avec force exécutoire. Le problème réside aussi dans le fait que les discussions internationales sont des négociations plus que des décisions techniques. L’idéal est facile à décrire, mais la mise en œuvre est plus difficile.

Pierre de Lauzun, essayiste et délégué général de l'Association française des marchés financiers - AMAFI.

Pierre de Lauzun, essayiste et délégué général de l’Association française des marchés financiers – AMAFI.

C : Le bien passe-t-il par la finance publique?

PdL : La finance publique gère une telle masse d’argent qu’elle influence nécessairement l’économie. La dette, par exemple, joue un rôle important, dont je suis très critique. La dette publique n’a pas de sens. Les emprunts devraient être investis pour produire plus de richesse. Actuellement, la dette finance les dépenses courantes!

Une dette qui augmente systématiquement depuis 40 ans veut dire que nous n’avons pas, comme sociétés démocratiques, été capables de faire des choix. On peut diminuer les dépenses ou augmenter les impôts pour les payer.

C : La notion de maîtrise du risque est aussi présente dans votre ouvrage. Est-elle réellement possible?

PdL : Le seul qui peut maîtriser le risque est celui qui connaît le futur. Donc, en dehors de Dieu, je ne vois pas! Il faut mettre en commun les ressources du savoir pour analyser le risque et prendre la responsabilité de ses choix. C’est pourquoi les fonds propres sont une bonne option. [NDLR : on appelle aussi les fonds propres « capitaux propres » ou « actif net », soit le total des actifs d’une société diminué du total de ses dettes.]

Le financement avec des fonds propres permet la prudence. Si le rendement n’est pas au rendez-vous, on ne verse tout simplement pas de dividendes. En n’investissant pas avec des fonds empruntés, on évite l’effet d’entraînement à la baisse.

Il ne faut pas éviter le risque, mais l’assumer.

C : Et le rôle du conseiller dans tout ça?

PdL : Le conseiller a un rôle très important. Par l’information, il doit donner au client les moyens d’atteindre ses buts selon son éthique. Il ne remplace pas la décision, il donne des conseils. Ce n’est normalement pas son rôle d’être prescriptif, il ne fait que suggérer des avenues.

L’implication de l’investisseur est variable selon ses capacités, sa compréhension du monde financier. Si elle est limitée, il peut aller vers la gestion collective, mais même là, il doit choisir quel organisme lui convient (s’il veut plus de sécurité, s’il a beaucoup à investir, par exemple).

La responsabilité ultime, c’est le client qui l’a. Mais les représentants en services financiers, par leurs actions et leurs conseils, ont un impact sur les cours ou sur leur mode de fonctionnement. Tout avis peut influencer le marché, qui est une confrontation d’opinions, et tenter ainsi de le mettre au service de l’homme.


La finance peut-elle être au service de l’homme?, Pierre de Lauzun, Éditions Desclée de Brouwer.

Christine Bouthillier

Titulaire d’un baccalauréat en science politique et d’une maîtrise en communication de l’Université du Québec à Montréal, Christine Bouthillier est journaliste depuis 2007. Elle a débuté sa carrière dans différents hebdomadaires de la Montérégie comme journaliste, puis comme rédactrice en chef. Elle a ensuite fait le saut du côté des quotidiens. Elle a ainsi été journaliste au Journal de Montréal et directrice adjointe à l’information du journal 24 Heures. Elle travaille à Conseiller depuis 2014. Elle y est entrée comme rédactrice en chef adjointe au web, puis est devenue directrice principale de contenu de la marque (web et papier) en 2017, poste qu’elle occupe encore aujourd’hui.