La génération X est à votre porte

Par Hélène Roulot-Ganzmann | 20 octobre 2015 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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Ils sont nés entre 1960 et 1979[1], sont arrivés sur le marché du travail en pleine crise économique, n’ont pas un parcours de vie très rectiligne, mais commencent à penser à leur retraite… Tenez-vous prêts !

Invitée à s’exprimer lors du dernier congrès de l’Association des professionnels en services financiers (APCSF) un peu plus tôt cette année, Claude Di Stasio, vice-présidente Affaires québécoises de l’Association canadienne des compagnies d’assurances de personnes (ACCAP), prévenait ainsi les conseillers présents dans la salle : « Une récente étude démontre qu’en 2018 ce ne sont plus les baby-boomers mais bien la génération X qui détiendra la balance du pouvoir. Et vous feriez mieux de vous y préparer ! »

L’étude en question a paru mi-avril dans l’édition 2015 de L’état du Québec[2], ouvrage réalisé par l’Institut du Nouveau Monde et qui, chaque année, tente de faire ressortir les clés permettant de mieux comprendre vers où s’en va la province. Sous le titre « Poids électoral : la revanche de la génération X », François Gélineau, professeur au département de science politique à l’Université Laval, y explique qu’à compter des prochaines élections provinciales les boomers ne seront plus majoritaires dans l’isoloir. Cette année-là, en effet, ils ne formeront plus qu’un tiers environ de l’électorat, plus assez pour prétendre continuer à façonner la société à leur image. Après avoir tant attendu, la génération X aura enfin l’occasion de faire entendre sa voix.

En 2018 au Québec, la génération X détiendra la balance du pouvoir.

Source : L’état du Québec 2015

GÉNÉRATION PRAGMATIQUE

« Les X sont des pragmatiques, dépeint Stéphane Kelly, sociologue et auteur de À l’ombre du mur : Trajectoires et destin de la génération X[3]. Ils sont arrivés sur le marché du travail dans les années 80, en pleine crise et, du coup, ils ont tout fait plus tard que leurs parents. Terminer leurs études, s’installer en couple, acheter une maison, faire des enfants, etc. Aujourd’hui, ils sont obligés de travailler bien plus que la génération précédente pour atteindre le même niveau de vie. »

Ainsi, explique-t-il, alors qu’un chef de famille boomer travaillait quarante-cinq heures par semaine, il faut de nos jours deux salaires à temps plein pour prétendre vivre de la même façon qu’avec un salaire de l’époque. Et cela, alors même qu’il y a souvent de jeunes enfants à la maison, qu’il faut rembourser l’hypothèque, les dettes contractées pour faire des études, que les X changent de boulot très souvent et qu’ils sont bien plus nombreux que les boomers à être travailleurs autonomes, parfois par choix, mais souvent aussi parce qu’ils ne l’avaient justement pas, le choix.

« Bref, autant dire qu’ils n’ont pas vraiment le temps de penser à leur argent », conclut-il.

Dans ces conditions, comment les rejoindre ? Et comment les convaincre du bien-fondé de monter un budget et d’épargner ?

Règle numéro un : utiliser les nouvelles technologies, avec lesquelles ils sont particulièrement à l’aise. Bien plus connectée que la précédente, cette génération privilégie en effet la communication numérique et suit la valeur de ses portefeuilles sur internet. Qui veut la rejoindre aura tout intérêt à rendre l’information facilement disponible sur le web, donc accessible à tout moment du jour et de la nuit.

CELI, REER, REEE, IMMOBILIER

Pour ne pas lui faire perdre de temps, il faudra également fournir des éléments précis, simples à comprendre et qui mettent de l’avant les avantages à court, moyen et long termes sur les plans personnel et familial. Démontrer que certains produits, comme les assurances vie, santé ou maladies graves, sont plus abordables lorsque pris à un âge moins avancé et que l’on peut épargner à son rythme, sans faire trop de sacrifices.

Yves Saint-Maurice

« Le CELI est un produit très utile pour la génération X.  »

– Yves Saint-Maurice

« Le CELI est un produit très utile pour la génération X, estime par exemple Yves Saint-Maurice, membre du Comité des politiques publiques de l’Association des économistes québécois et ex-économiste en chef adjoint du mouvement Desjardins. Ce sont des gens qui ont des besoins, ils ont de jeunes enfants, viennent de contracter une hypothèque, ont parfois des dettes, doivent se tenir à la page sur le plan technologique. Tout ça coûte cher et le CELI leur permet de placer de l’argent à l’abri de l’impôt tout en ne le bloquant pas définitivement ou presque, comme c’est le cas avec le REER. »

Gaëtan Veillette, planificateur financier au Groupe Investors, tient à rappeler que le CELI est plafonné, mais aussi qu’il pourrait devenir moins généreux et même être remis en question. Il conseille vivement aux plus jeunes X, souvent nouveaux parents, le régime enregistré d’épargne-études (REEE).

«Les subventions des gouvernements, minimum 30% du capital, contribuent avantageusement à l’enrichissement du patrimoine, explique-t-il. Les économies ainsi réalisées au moment où les enfants entreprendront leurs études postsecondaires permettront d’investir plus d’argent dans les régimes de retraite, voire dans l’immobilier.»

Un X sur 4 seulement défend l’État providence, contre un sur 3 chez les boomers et les Y.

Source : L’état du Québec 2015

Sur ce dernier point, on le sait, les avis sont mitigés. Pour M. Saint-Maurice, acheter une résidence est un placement pour l’avenir. M. Veillette estime lui aussi que l’immobilier est un incontournable, mais souligne également que les conditions ne sont pas très favorables aujourd’hui.

Quoi qu’il en soit, les conseillers vont avoir intérêt à se montrer ingénieux, avertit Claude Di Stasio, avant de dépeindre une génération individualiste, qui en appelle à moins d’interventionnisme de l’État.

DES PRODUITS PLUS MODULABLES

Claude Di Stasio

« Pourquoi ne pas imaginer vendre aux employés des produits individuels en complément des assurances collectives proposées par les entreprises ? »

– Claude Di Stasio

La vice-présidente de l’ACCAP recommande ainsi aux conseillers de repenser les couvertures pour aller vers des produits plus modulables, adaptables aux besoins de chacun.

« Prenons l’exemple de l’assurance, illustre-t-elle. Pourquoi ne pas imaginer vendre aux employés, au sein même de leur entreprise, des produits individuels en complément des assurances collectives proposées par les employeurs ? Ça s’est fait il y a quelques années, et puis, sans qu’on ne sache trop pourquoi, la pratique s’est perdue. La génération X étant très hétérogène et mobile, sans doute faudrait-il y revenir. »

D’autant que, sur le plan personnel aussi, les parcours de vie des X sont beaucoup moins rectilignes que ceux de leurs aînés.

Stéphane Kelly

« En plus de l’insécurité professionnelle, les X vivent une insécurité intime qu’il ne faut pas négliger. »

– Stéphane Kelly

« Il s’agit par exemple de la première grande génération du divorce, rapporte Stéphane Kelly. Or, la famille, ce n’est pas seulement un projet amoureux, c’est la mise en commun de ressources. Si ça avorte, les conséquences peuvent être désastreuses sur le plan des finances personnelles. En plus de l’insécurité professionnelle, les X vivent une insécurité intime qu’il ne faut pas négliger. »

«De nos jours, les membres de la génération X sont associés à plusieurs unités familiales, confirme Gaëtan Veillette. Il est requis d’être bien organisé sur bien des plans : convention d’union de fait, testament, procuration, mandat en cas d’inaptitude, désignation de bénéficiaires sur les régimes de pension, polices d’assurance, produits financiers émis par les sociétés d’assurance… Les bons papiers font les bons amis.»

FINANCE COMPORTEMENTALE

Autant d’arguments que Nathalie Bachand reprend à son compte. « Nous mettons de plus en plus l’accent sur la finance comportementale pour aider les planificateurs à mieux comprendre leurs clients, explique la présidente de l’Institut québécois de planification financière (IQPF). Dans ce cadre-là, nous parlons de l’aspect générationnel car il y a des tendances lourdes : le fait que les X soient entrés tard sur le marché du travail en est une, comme le fait qu’ils vivront plus vieux que leurs aînés, ou qu’ils ne bénéficieront pas de régimes de retraite aussi favorables. Tout ça me fait dire qu’ils auront, sans doute encore plus que leurs parents, besoin de consulter un planificateur financier. Ils sont encore jeunes. Mais ils frapperont bientôt à nos portes. »

Ce jour-là, conseillers et planificateurs seront-ils prêts à les accompagner et à leur proposer des solutions intéressantes et innovantes ? Claude Di Stasio ne veut pas en douter.

Nathalie Bachand

« Ils auront, sans doute encore plus que leurs parents, besoin de consulter un planificateur financier.»

– Nathalie Bachand

« Je leur fais confiance, affirme-t-elle. Seulement, c’est maintenant qu’il faut s’en préoccuper car ces gens-là vont arriver avec un passif et des besoins très différents de ceux de la clientèle habituelle. »


[1] Selon la classification des historiens états-uniens William Strauss et Neil Howe, que nous avons retenue. D’autres chercheurs estiment que la génération des baby-boomers ne prend fin qu’en 1965. [2] Del Busso Éditeur [3] Éditions du Boréal


• Ce texte est paru dans l’édition d‘octobre 2015 de Conseiller. Il est aussi disponible en format PDF. Vous pouvez également consulter l’ensemble du numéro sur notre site Web.

Hélène Roulot-Ganzmann