La gestion indicielle se diversifie, mais reste au sommet

14 Décembre 2016 | Dernière mise à jour le 16 août 2023
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• Ce texte est paru dans l’édition de novembre 2005 de Conseiller. Il est aussi disponible en format PDF. Vous pouvez également consulter l’ensemble du numéro sur notre site Web.


La gestion indicielle n’est ni parfaite ni exempte de contradictions, mais elle constitue une voie de plus en plus empruntée pour éviter le « risque actif ».

ON LEUR DEMANDE d’apporter une valeur ajoutée et de faire mieux que le marché. Or, année après année, ils ne sont qu’une poignée à battre leur indice de référence. Ces gestionnaires de portefeuille engagés à fort prix sont devenus ce que la firme Standard & Poor’s appelle un «risque actif».

Avec cette gestion active répondant difficilement aux attentes, on peut mieux comprendre la popularité de la gestion indicielle, gestion dite passive qui n’est cependant pas sans comporter ses limites.

Le pourcentage peut varier d’un rapport à l’autre, mais le constat, lui, demeure. Trimestre après trimestre, les cartes de pointage SPIVA (pour Standard & Poor’s Indices Versus Active Funds Scorecard) concluent à la supériorité des indices. Selon le rapport du deuxième trimestre de 2005, l’indice composé S&P/TSX a fait mieux que 80 % des fonds d’actions canadiennes à gestion active. Aux États-Unis, l’indice de référence S&P 500 a surpassé 68 % des fonds d’actions amé- ricaines. À la fin du premier trimestre, ces pourcentages s’établissaient à 77% et à 62% respectivement. «Sur une période plus longue, nous observons toujours que les indices donnent de meilleurs résultats que la majorité des fonds actifs. Au cours des cinq dernières années, 42,5% des fonds d’actions canadiennes à gestion active ont fait meilleure figure que l’indice composé S&P/TSX, 30,6% des fonds de titres canadiens à faible capitalisation ont eu de meilleurs résultats que l’indice de faible capitalisation S&P/TSX, et 21,5% des fonds d’actions américaines ont mieux fait que l’indice S&P 500», précise la firme dans un communiqué.

Pour Steve Rive, vice-président des Services des indices canadiens de Standard & Poor’s, ce que l’on veut mesurer ou montrer avec SPIVA, c’est le «risque actif», soit «le risque que le fonds que vous choisissez aujourd’hui ne batte pas l’indice durant la période au cours de laquelle vous prévoyez le détenir». Les probabilités que le gestionnaire fasse moins bien que son point de repère sont fortes. «Comme ce pourcentage est élevé et qu’on ne peut déterminer au départ quel gestionnaire va battre l’indice, nous pouvons alors parler d’un risque dont l’investisseur doit tenir compte.»

DES SITUATIONS PARADOXALES

«Le choix d’un gestionnaire se fait à l’aide d’un processus de sélection rigoureux. Or, une fois retenu, le candidat se fait dire : “Voici ton benchmark.” Du coup, il se fait imposer au moins 80 % de son portefeuille, de son risque», illustre Mario Lavallée. Le président de la société-conseil en finance Finlab considère que ce modèle de comparaison peut devenir très limitatif. Une méthode qui, résumée simplement, prend la forme d’une gestion indicielle active. Ce faisant, «tu ne demandes plus à un gestionnaire de bâtir un portefeuille. Tu lui demandes plutôt de créer un indice qui va refléter l’évolution boursière, l’humeur du moment, qui va suivre les modes.»

Des situations paradoxales se produisent, inexorablement, tel ce gestionnaire qui se réjouit d’avoir obtenu un rendement négatif de 4% parce qu’il a fait 400 points de base de plus que son indice de référence, qui avait reculé de 8% dans l’intervalle. «Ce gestionnaire va même recevoir un boni à la performance. Mais, en bout de piste, son client a perdu de l’argent», renchérit M. Lavallée.

Il faut dire également que, dans ce jeu des comparaisons, le gestionnaire part avec deux prises contre lui. Plus imagé, M. Rive considère qu’«il a les deux pieds dans la cave». Le spécialiste chez Standard & Poor’s fait allusion ici aux frais, qui oscillent entre 2,5 et 3 % pour la gestion active, contre 1 % pour un fonds indiciel pur et moins de 0,2 % pour un fonds négocié en Bourse (FNB). «S’il veut battre l’indice, le gestionnaire doit donc, au départ, faire au moins du 3%.

De plus, si on accepte que la valeur des actions dans le marché renferme l’ensemble de l’information et des connaissances du moment, que cette valeur représente, finalement, l’intelligence collective, cela veut dire que le gestionnaire doit être plus intelligent pour battre l’indice.» En définitive, on en revient à l’affirmation voulant que si l’on additionne ou combine tous les portefeuilles, qu’ils soient indiciels ou non, on obtient au cumul un portefeuille indiciel. Sous un autre angle, en retenant les agrégats ou les grands ensembles, «on remarque que certains fonds battent leur indice de référence et d’autres non: il en résulte alors un jeu à somme nulle».

Ce constat de M. Rive explique l’origine des fonds indiciels et la croissance, plus récente, des FNB. Une origine remontant aux années 1970, avec l’apparition de la théorie d’efficience des marchés. Sur cette base, «si les marchés sont efficients, la gestion indicielle est indiquée. D’autant que la gestion passive est très peu coûteuse», souligne M. Lavallée.

Le rôle des indices a donc évolué. Partant d’une mesure de l’activité boursière, d’un segment ou d’une composante, ils sont devenus un étalon de performance servant à évaluer la performance d’un gestionnaire actif, pour ensuite se transformer en un portefeuille passif accessible à l’ensemble des investisseurs. Dans cette logique évolutive, «la gestion indicielle est tout à fait appropriée si les marchés sont efficients et si la théorie du modèle d’évaluation des actifs financiers (capital asset pricing model) tient», répète le président de Finlab. Il faudrait alors retenir que «les coûts sont minimes, puisque aucune sélection de titres n’est faite, que la performance sera égale à l’indice et qu’avec les indices pondérés selon la valeur marchande, très peu de rééquilibrages sont nécessaires».

TOUT N’EST PAS PARFAIT

Mais tout n’est pas parfait. «Qui a dit qu’un indice représentait un portefeuille approprié?» lance M. Lavallée. Il donne l’exemple du S&P/TSX, dont le poids des secteurs de l’énergie et des services financiers compte présentement pour plus de la moitié. Il y a danger de concentration, de surconcentration. On ne peut que se rappeler l’action de Nortel, qui, à son apogée, comptait pour près du tiers du TSX. On connaît la suite.

La diversification n’est donc pas optimale. D’autant que les indices renferment un biais en donnant plus de poids aux grandes entreprises, aux sociétés à forte capitalisation ou aux titres à cours élevé. Pour reprendre l’expression du président de Finlab, «à valeur intrinsèque égale, un titre sur- évalué aura plus d’influence qu’un titre sous-évalué». En d’autres termes, l’indice va refléter les surévaluations, voire les exagérations du moment, alors que, dans ces cas, il faudrait peut-être regarder davantage du côté des secteurs sous-évalués ou boudés. Si on copie ou clone les indices, on en copie ou clone également les excès! Sans oublier qu’au Canada le marché est moins vaste et qu’un petit nombre de secteurs sont surreprésentés, alors que des pans entiers de l’économie ne font pas partie de l’indice. Pensons au secteur de la santé, public au Canada, privé aux États-Unis.

Entre les deux va s’insérer la gestion indicielle dite active. On pense ici à des gestionnaires qui vont essayer d’ajouter de la valeur à leur portefeuille en jouant sur les moments d’achat et de vente des actions qui le composent.

À cette plus-value potentielle que n’offrent pas les FNB et à l’attrait général du fond indiciel vont venir se greffer une mise de fonds moindre, souvent 50 $ par mois, une volatilité moindre, parfois du simple au double, et une incidence fiscale plus légère, la fréquence de négociation ou de roulement des titres étant généralement plus faible.

En contrepartie, les parts de fonds indiciels ne sont achetées ou vendues qu’en fin de journée, tandis qu’un FNB, comme une action négociée en Bourse, peut être acheté ou vendu en tout temps au cours de la séance. Et le FNB est plus transparent encore. «Il n’y a pas de contrainte ni d’intervention humaine, même minimale. Tu sais exactement ce que tu as», résume M. Rive.

COMMENT ÉVITER CES BIAIS?

Il y a donc des biais, que l’on peut contourner si l’on exerce une gestion indicielle plus dynamique. Pour Keith Matthews, partenaire et gestionnaire de portefeuille associé de PWL Capital, une dizaine de règles ou de principes viennent encadrer l’investissement, et le produit indiciel n’est que l’un d’eux. «Nous pré- férons parler de stratégie de portefeuille. D’une stratégie qui peut inclure un panier de 9 ou 10 catégories d’actifs.» Dans la composition d’un portefeuille, l’auteur du livre The Empowered Investor : A Guide To Building Better Portfolios s’en remet aux produits indiciels, parce que les frais sont minimes et qu’il n’y a pas de surprise. «Il n’y a pas de gestionnaire qui bouge subitement. L’exposition de ces produits est pré- cise, et ces derniers sont plus efficaces du point de vue de l’impôt. Nous pouvons orienter les portefeuilles vers des valeurs précises, vers des marchés spécifiques ou vers des capitalisations plus petites, ce qui était impossible de faire à peu de frais il y a de cela cinq ans.»

La flexibilité est grande. «On ne parle plus de gestion active, passive ou dynamique, dit M. Matthews, c’est un débat dépassé. L’investisseur veut entendre parler de plus en plus de stratégie de portefeuille, et moins de produits.» Il y a des biais, que l’on peut contourner, mais également des solutions de rechange qui se précisent.

GESTION PASSIVE ÉVOLUTIVE

M. Lavallée pousse la réflexion plus loin en se demandant également pourquoi la gestion dite passive ne serait qu’indicielle. Ici, deux grandes démarches sont proposées. L’une d’elles implique que, si l’on n’a pas d’opinion sur les rendements, on peut en avoir sur les risques. Ainsi, par le jeu des corrélations, cette démarche consiste à minimiser les risques. Selon les simulations retenues par le président de la société- conseil, les portefeuilles construits sur ce principe ont produit un rendement moyen supérieur de 250 points de base à l’indice de réfé- rence, et ce, selon les pays et les périodes de temps retenus. Avec une volatilité réduite de 4 %, en moyenne. Ces portefeuilles à risque minimal vont généralement s’inspirer d’une répartition équipondérée, par opposition à la très grande majorité des indices boursiers actuels, qui sont pondérés selon la valeur marchande. On contourne ainsi une partie des contraintes mentionnées pré- cédemment, un indice équipondéré donnant un poids égal à chacun des titres sous-jacents, comme si on investissait un dollar dans chaque titre. Il aura toutefois comme inconvénient de nécessiter un rééquilibrage des titres à chaque période de calcul.

La deuxième démarche permettant de contourner les biais inhé- rents aux indices traditionnels consiste à établir des portefeuilles dont le poids des titres est déterminé par des facteurs fondamentaux. M. Lavallée parle ici de six variables : la valeur comptable, les flux monétaires, les revenus totaux moyens, les ventes totales, les dividendes et le nombre d’employés. Même constat que précédemment. «Une étude récente conclut que les portefeuilles pondérés en utilisant des facteurs fondamentaux offrent plus de rendement pour moins de risque que les portefeuilles pondé- rés selon les capitalisations boursières.» On le voit bien, la gestion passive n’a pas fini d’évoluer.


• Ce texte est paru dans l’édition de novembre 2005 de Conseiller. Il est aussi disponible en format PDF. Vous pouvez également consulter l’ensemble du numéro sur notre site Web.