L’affaire KPMG suscite l’indignation

Par La rédaction | 10 mars 2016 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Les réactions fusent après que l’amnistie secrète offerte par l’Agence du revenu du Canada (ARC) à certains clients de KPMG ait été révélée.

Mardi, Radio-Canada a dévoilé sur son site web une copie de l’entente passée entre l’ARC et une vingtaine de très riches clients du cabinet comptable. Aux termes de cet accord, ces personnes, qui avaient caché des millions de dollars dans des sociétés-écrans enregistrées à l’île de Man, dans la mer d’Irlande, devaient échapper à toute pénalité ou accusation criminelle.

Mais depuis, plusieurs groupes de citoyens, des politiciens et des experts sont montés au créneau et réclament des comptes au gouvernement fédéral.

COMME DONNER L’ABSOLUTION

Interrogé par Radio-Canada, l’expert en droit fiscal André Lareau, professeur à l’Université Laval, juge par exemple que la ministre du Revenu national Diane Lebouthillier devrait revenir sur cet accord.

« L’offre devrait être retirée », affirme-t-il, ajoutant que cette amnistie équivalait à dire aux contribuables fortunés qu’on leur donnait l’absolution.

De son côté, Thomas Mulcair appelle le premier ministre Justin Trudeau à ouvrir une enquête sur cette affaire. « Arrêtez de protéger les riches et commencez à défendre un système fiscal équitable pour tous », exige le chef du Nouveau parti démocratique.

Directeur de l’organisation Canadiens pour une fiscalité équitable, Dennis Howlett veut lui aussi qu’Ottawa agisse : « Je voudrais appeler le nouveau gouvernement à lancer une enquête complète. Qui était responsable? Quels genres de transactions ont été faites? À quel niveau? »

Le sous-commissaire de l’ARC responsable des programmes d’observation, Ted Gallivan, a néanmoins rejeté l’idée d’une enquête publique. Nommé récemment à ce poste, il a assuré ne pas être au courant de l’offre de règlement de l’Agence aux clients de KPMG.

TRUDEAU PROMET D’ÉTUDIER LE DOSSIER

Sollicités par Radio-Canada, la ministre du Revenu national et le bureau du premier ministre se sont refusés à tout commentaire. Toutefois, la chaîne d’information précise que durant la période des questions à la Chambre des communes mardi, Justin Trudeau a promis qu’il allait étudier ce dossier.

« Il est important pour nous que les Canadiens, tous les Canadiens, paient leur juste part d’impôts et nous allons veiller à ce que cela continue d’être le cas dans l’avenir. Si les décisions prises sous un gouvernement précédent sont erronées, nous allons assurément les examiner », a-t-il déclaré.

REVENU QUÉBEC LIÉ PAR LES ENTENTES

Interrogé lui aussi sur cette affaire, le ministre des Finances provincial, Carlos Leitao, a indiqué hier que Revenu Québec était lié par les ententes conclues par l’ARC pour amnistier les contribuables fraudeurs. Il a néanmoins précisé que l’agence québécoise avait été approchée par KPMG, mais qu’elle avait refusé de conclure tout accord avec la firme comptable.

« Revenu Québec avait décliné, après ça, c’est l’ARC qui a pris d’autres décisions. Généralement, l’agence de revenu du Québec doit suivre les décisions ou les arrangements qui ont été pris. Mais les détails de ces arrangements, je ne les connais pas », a-t-il expliqué en point de presse.

Enfin, le député de Québec solidaire, Amir Khadir, a réclamé la publication des règlements en vertu desquels le fisc québécois est soumis aux ententes conclues par l’agence fédérale. Il estime aussi que le gouvernement québécois doit trouver un moyen de se soustraire aux contraintes qui l’empêchent de percevoir les sommes dues à cause de stratagèmes comme celui mis en place par KPMG.

LA TWITTOSPHÈRE S’EN MÊLE

Cette affaire a fait réagir plusieurs internautes sur Twitter, notamment des politiciens et syndicalistes, unanimes dans leur condamnation de l’entente secrète entre l’ARC et KPMG.

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Présidente de la Centrale des syndicats du Québec, Louise Chabot s’indigne de ce qu’elle nomme un « passe-droit » et dénonce un système fiscal à deux vitesses.

« Avez-vous déjà fait une erreur sur votre déclaration de revenus? Assez rapidement, dès que l’erreur est constatée, vous recevrez une lettre vous indiquant de payer le montant dû. Si vous ne vous acquittez pas à temps de cette dette, le ministère du Revenu vous facturera rapidement les intérêts et se servira à même votre futur remboursement d’impôt, le cas échéant. »

« À moins que vous ne soyez un multimillionnaire assisté d’un cabinet comptable spécialisé et que vous ayez caché vos millions dans un paradis fiscal notoire. Dans ce cas, vous pouvez dormir sur vos deux oreilles, vous serez amnistiés et n’aurez aucune pénalité à payer! »

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Pour sa part, l’auteur spécialiste des paradis fiscaux Alain Deneault estime qu’« on se trouve face à deux catégories de contribuables, puisque les riches nantis peuvent négocier » et que « l’État ne joue pas son rôle ».

Sa conclusion : il faut donner plus de moyens à l’ARC pour qu’elle fasse son travail de lutte contre la fraude fiscale.

Les commentaires du public ne sont guère plus amènes, comme on peut en juger à la lecture de ces quelques exemples.

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« Si le Parti libéral se soucie de la classe moyenne, il changera sa position en ce qui concerne les clients de KPMG et transformera ce cas en exemple », espère quant à lui Jacob S.

L’ARC RIPOSTE

« L’affaire KPMG est un dossier actif, et le travail de l’ARC n’est pas terminé. Toutefois, cette affaire étant devant la cour, l’ARC ne peut pas faire d’autres commentaires. Cela serait non seulement contraire à la loi, mais pourrait également compromettre les actions en justice en cours », se défend l’agence fédérale dans un communiqué publié mardi en fin de journée.

« La position de l’ARC est que toute personne participant à des stratagèmes d’évasion fiscale ou d’évitement fiscal à l’étranger doit être identifiée et qu’il faut l’obliger à respecter toutes ses obligations fiscales », ajoute-t-elle, en assurant qu’elle « poursuivra ces personnes dans toute la mesure du possible en fonction du droit et des faits propres à chaque cas ».

« L’ÉQUITÉ EST ESSENTIELLE »

« L’équité envers les contribuables est essentielle dans de tels cas. L’ARC n’accordera aucun traitement préférentiel à l’égard de certains contribuables […] par rapport à d’autres. Les lois pertinentes et les mesures d’observation sont appliquées de manière uniforme et sans favoritisme ».

« Les causes judiciaires liées à des questions fiscales peuvent être complexes et parfois longues. Lorsque cela est approprié et en consultation avec le ministère de la Justice, […] l’ARC tente d’en arriver à une entente de règlement fondée sur les faits et conforme à la loi. Le règlement rapide des différends est dans l’intérêt du public. Un litige est coûteux pour tous et les litiges fiscaux complexes peuvent être infructueux. »

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